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connaissons que par une copie, cette signature doit-elle être considérée comme une marque de fausseté si chaque phrase est bien telle qu'a pu l'écrire la Bruyère ? Or nous n'apercevons dans le texte aucune raison de suspicion. Nous publions donc la lettre sous le n° xx. Elle se présente comme une réponse aux doléances que Santeul aurait fait entendre après avoir lu le caractère de Théodas, où chacun le reconnaissait et qui avait paru dans la 6 édition. L'achevé d'imprimer de cette édition étant du 1er juin 1691, cette lettre pourrait être du même mois. A en juger par le post-scriptum, Santeul aurait lu la réflexion dans un exemplaire qui ne lui appartenait pas, avant d'avoir reçu celui qui lui était destiné.

L'un des correspondants de la Bruyère a été Jérôme Phélypeaux, fils du chancelier Pontchartrain. Il a été retrouvé dans les archives du ministère de la Marine, déposées aujourd'hui aux Archives nationales, la copie de deux lettres de ce personnage (ci-après, no XXII et XXIII), et à la Bibliothèque nationale, le texte original d'une lettre que lui a écrite la Bruyère (n° xxv). Ainsi qu'il a été noté dans l'Avertissement du tome I de la présente édition, nous avons publié dans le tome IV, imprimé avant celui-ci, un Appendice auquel il nous faut renvoyer le lecteur; cet Appendice contient deux lettres inédites adressées à Le Vayer, l'une du 18 novembre 1694, l'autre du 23 janvier 1698.

On a parfois cité1 comme authentiques des lettres de la Bruyère fabriquées par des faussaires. Il est aujourd'hui devenu superflu d'en discuter la valeur comme nous l'avons fait en 1865 et il nous suffira de rappeler ci-après, p. 526, note I, les ouvrages qui les contiennent : nul critique désormais ne saurait les attribuer à la Bruyère.

citée et dans huit lettres à Condé ; le plus souvent la lettre initiale, même lorsqu'elle est grossie à titre de capitale, affecte la forme d'une minuscule.

1. Voyez la Comédie de J. de la Bruyère par Éd. Fournier, 2o édition, p. 21, 31 et 32, 177, 219, 465, 548, 588 et 59o. Des trois fausses lettres qu'a citées Fournier, une seule, la lettre à Fontenelle, lui a paru douteuse; il ne s'est pas résigné toutefois à ne jamais s'en servir comme d'un document authentique : voyez notamment p. 177.

LETTRES.

I

LA BRUYÈRE A CONDÉ.

MONSEIGNEUR,

Comme mon unique application est d'avancer les études de Monsieur le duc de Bourbon, et que je travaille à cela à Versailles du matin au soir sans nul relâchement, ma plus grande joie aussi est d'en rendre compte à Votre Altesse Sérénissime. Je m'abstiens souvent de lui écrire afin de ne point tomber en des redites, et j'attends quelquefois que nous ayons passé à des choses nouvelles, afin qu'elle en soit exactement informée, et de tout le chemin que nous faisons. J'entrerai demain dans l'histoire de Charles VIII; la vie de Louis XI nous a menés1 au delà de ce que je pensois, soit par le nombre et l'importance des évènements, soit aussi faute de temps, que je partage avec bien des maîtres. Je fais voir l'Italie à Son Altesse, pour la mener de là en Hongrie, en Pologne et dans les États du Turc en Europe; je lui ai appris ces derniers jours la Suède, le Danemarck, la Scandinavie, et l'Angleterre avec l'Écosse et l'Irlande, assez scrupuleusement. Nous avons achevé de M. Descartes ce qui concerne le mouvement. J'ai rebattu les généalogies

1. Mené, sans accord, dans l'autographe.

2. C'est-à-dire la seconde partie des Principes de philosophie: voyez

que je lui ai déjà enseignées, et vais entrer dans celles. des maisons de Saxe, Lorraine, Hostein, Savoie, et peu d'autres qui sont entrées dans votre branche de Bourbon. Des fables, nous en sommes au huitième livre1, et il les retient avec la facilité ordinaire. Il avance aussi beaucoup dans la connoissance de la maison du Roi, du moins par la lecture de l'État de la France. L'on marche également dans toutes ces différentes études, et nulle n'est privilégiée, si ce n'est peut-être l'histoire, depuis que vous me l'avez recommandée ; car quelque idée qui me vienne, et quelque nouvel établissement que je fasse au sujet des études de Monsieur le duc de Bourbon, je déménage sans peine pour aller où il plaît à Votre Altesse.

ci-après, p. 483, lettre 1. Cet ouvrage, publié pour la première fois en 1644, avait d'abord paru en latin. La traduction en a été faite par Picot et revue par Descartes en 1647; on l'a souvent réimprimée dans les années suivantes.

1. Il s'agit des Métamorphoses d'Ovide voyez ci-après, p. 496

et note 2.

2. L'État de la France était alors publié en deux volumes. Dans le premier, qui parfois était réimprimé séparément et formait ainsi un ouvrage complet, on trouvait sur la maison du Roi tous les renseignements qu'il importait de connaître à ceux qui devaient vivre à la cour. L'éditeur de l'État de la France (dont il paraissait à peu près tous les deux ans une édition nouvelle) était alors un abbé Besogne, de la chapelle du Roi, qui eut un instant, en 1696, la pensée de solliciter la place de la Bruyère à l'Académie. Il était l'un des prédicateurs dont parle la Bruyère dans la remarque 100 du chapitre des Jugements (ci-dessus, p. 119); il lui était arrivé, en 1675 environ, de demeurer court dans un sermon prêché devant le Dauphin.

3. La Bruyère a oublié de mettre le mot étude au pluriel.

4. Après un séjour de trois mois à Chantilly, où sans doute ses maîtres l'avaient accompagné, le duc de Bourbon était revenu à Versailles dans les premiers jours de janvier 1685. Il s'était aussitôt installé, ainsi que les Pères jésuites qui prenaient part à son éducation, dans l'hôtel de Condé; nous ne savons si la Bruyère y avait aussi trouvé place dès son arrivée à Versailles. L'établissement définitif des maîtres du jeune duc dans l'hôtel n'eut lieu que dans le cou

Une lettre qu'elle a écrite il y a bien quinze jours à Monsieur le Duc a fait ici le mieux du monde : je m'en suis trouvé soulagé par un renouvellement d'attention qui m'a fait deviner, Monseigneur, que vous aviez parlé sur le ton qu'il faut, et Monsieur le Duc me l'a confirmé. Dès que l'application tombera, je vous en avertirai ingénument, car je sens de la peine à tromper ceux qui se reposent sur moi de quelques soins, et je ne commencerai point par Votre Altesse Sérénissime1 à faire un effort qui me coûte et qui lui déplaise. Je voudrois de toute mon inclination avoir six grandes heures par jour à bien employer auprès de Son Altesse je vous annon

rant de février, quelques jours après celui où fut écrite cette lettre. On enleva de l'hôtel tout ce qui appartenait au prince de la Roche-sur-Yon, et les jésuites choisirent leurs chambres parmi celles que laissait libres ce déménagement. La Bruyère prit une chambre à côté des leurs*. S'il n'avait pas habité l'hôtel de Condé dès son retour de Chantilly, c'était son troisième déplacement dans l'espace de six semaines. Encore n'avait-il pas l'entière possession de sa chambre, puisqu'on en pouvait disposer au profit d'une des personnes de la suite de Condé, pendant les séjours de Monsieur le Prince à Versailles.

1. Ici, comme très souvent, surtout sur les adresses de ses lettres, la Bruyère écrit Sérénissime en abrégé : S. S.

« S. A. Mgr. le Duc, » écrit le P. du Rosel à Condé, le 18 février, « a passé une grande partie de l'après-dîner dans l'hôtel de Condé avec S. A. S. la Duchesse. Comme il n'y a plus rien ici de ce qui étoit à M. le prince de la Roche-sur-Yon, Son Altesse est venue régler toutes choses pour les chambres et offices de Mgr. le duc de Bourbon. Elle a tout visité avec Mgr son fils. Nous avons bien de l'obligation à Son Altesse, qui nous a donné le choix de tout ce qui s'est trouvé de meilleur; nous avons pris les chambres de M. le chevalier d'Angoulême (au bout de la galerie, dit-il plus loin), et une autre qui est voisine, afin d'être près l'un de l'autre, avec une garde-robe pour un valet. M. de la Bruyère a aussi pris une chambre auprès des nôtres.... J'oubliois de dire à Votre Altesse que Mgr le Duc a déclaré à tous ces Messieurs pour qui il a fait marquer des chambres, que quand Votre Altesse viendra à Versailles, ils céderont leurs appartements à ceux qui viendront avec elle. » (Lettre du P. du Rosel à Condé, du 18 février 1685, Archives du Musée Condé.)

cerois d'étranges progrès, du moins pour mon fait et sur les choses qui me regardent. Et si j'avois l'honneur d'être chargé de tout, comme j'ai eu le plaisir de le croire, j'en répondrois aussi sûrement; mais j'ai des collègues, et qui font mieux que moi et avec autant de zèle. Vous devez du moins être très persuadé, Monseigneur, que le peu de temps que j'use auprès de Monsieur le duc de Bourbon lui est fort utile, qu'il sait très bien ce que je lui ai appris, qu'il n'est pas aisé même de le mieux savoir, et que je viserai toujours à ce qu'il emporte de toutes mes études ce qu'il y a de moins épineux et qui convient davantage à un grand prince. Je suis avec toute la soumission et tout le respect que je dois,

Monseigneur,

de Votre Altesse Sérénissime

le très humble et très obéissant serviteur,

Ce 9. janvier [1685], à Versailles.

DELABRUYÈRE1

Au dos: A Son Altesse S. S. Monseigneur le Prince; et de la main d'un secrétaire : M. de la Bruyère, 9 février 1685.

1. Ce nom est toujours écrit en un seul mot par la Bruyère dans ses lettres à Condé.

2. La Bruyère, sans nul doute, a écrit par distraction janvier, au lieu de février, et la date exacte est celle qui a été donnée par le secrétaire à sa lettre. « Je n'ai point manqué, écrit le 10 février le P. Alleaume à Condé, de dire à M. de la Bruyère ce que Votre Altesse Sérénissime m'avoit ordonné de lui dire, et je dirai la même chose à M. Sauveur, dès que je le verrai. Le premier me répondit qu'il avoit prévenu l'ordre de son Altesse Sérénissime et qu'il avoit eu l'honneur de lui écrire ce même jour. »

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