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firmer la voix du peuple dans le choix qu'il fait de ses ministres. Il ne se décharge pas entièrement sur eux du poids de ses affaires; lui-même, si je l'ose dire, il est son principal ministre. Toujours appliqué à nos besoins, il n'y a pour lui ni temps de relâche ni heures privilégiées : déjà la nuit s'avance, les gardes sont relevées aux avenues de son palais, les astres brillent au ciel et font leur course; toute la nature repose, privée du jour, ensevelie dans les ombres; nous reposons aussi, tandis que ce roi, retiré dans son balustre, veille seul sur nous et sur tout l'État. Tel est, Messieurs, le protecteur que vous vous êtes procuré, celui de ses peuples.

Vous m'avez admis dans une Compagnie illustrée par une si haute protection. Je ne le dissimule pas, j'ai assez estimé cette distinction pour desirer de l'avoir dans toute sa fleur et dans toute son intégrité, je veux dire de la devoir à votre seul choix ; et j'ai mis votre choix à tel prix, que je n'ai pas osé en blesser, pas même en effleurer la liberté, par une importune sollicitation'. J'avois d'ailleurs une juste défiance de moi-même, je sentois de la répugnance à demander d'être préféré à d'autres qui pouvoient être choisis. J'avois cru entrevoir, Messieurs, une chose que je ne devois avoir aucune peine à croire, que vos inclinations se tournoient ailleurs, sur un sujet digne, sur un homme rempli de vertus, d'esprit et de connoissances, qui étoit tel avant le poste de confiance qu'il occupe, et qui seroit tel encore s'il ne l'occupoit plus 2. Je me

1. C'est peut-être, de tout le discours, le passage que le Mercure relève avec le plus d'aigreur (p. 273): « Après avoir tâché de prouver que les places de l'Académie ne se donnoient qu'au mérite, il a dit que la sienne ne lui avoit coûté aucunes sollicitations, aucune démarche, quoiqu'il soit constant qu'il ne l'a obtenue que par les plus fortes brigues qui aient jamais été faites. >>

2. Simon de la Loubère (1642-1729), gouverneur du fils de Pontchartrain. Il s'était occupé de mathématiques, et avait composé

sens touché, non de sa déférence, je sais celle que je lui dois, mais de l'amitié qu'il m'a témoignée, jusques à s'oublier en ma faveur. Un père mène son fils à un spectacle : la foule y est grande, la porte est assiégée; il est haut et robuste, il fend la presse; et comme il est près d'entrer, il pousse son fils devant lui, qui sans cette précaution, ou n'entreroit point, ou entreroit tard. Cette démarche d'avoir supplié quelques-uns de vous, comme il a fait, de détourner vers moi leurs suffrages, qui pouvoient si justement aller à lui, elle est rare, puisque dans ses circonstances' elle est unique, et elle ne diminue rien de ma reconnoissance envers vous, puisque vos voix seules, toujours libres et arbitraires, donnent une place dans l'Académie françoise.

Vous me l'avez accordée, Messieurs, et de si bonne grâce, avec un consentement si unanime, que je la dois et la veux tenir de votre seule magnificence. Il n'y a ni poste, ni crédit, ni richesses, ni titres, ni autorité, ni faveur qui aient pu vous plier à faire ce choix: je n'ai rien de toutes ces choses, tout me manque. Un ouvrage qui a eu quelque succès par sa singularité, et dont les fausses, je dis les fausses et malignes applications pouvoient me nuire auprès des personnes moins équitables et moins éclairées que vous, a été toute la médiation que j'ai employée, et que vous avez reçue. Quel moyen de me repentir jamais d'avoir écrit ?

quelques poésies. Chargé de diverses missions, dont l'une l'avait conduit à Siam en 1687, il fit paraître en 1691 un livre intitulé: du Royaume de Siam. Il publia la même année un Traité de l'origine des jeux floraux de Toulouse. L'admission de la Bruyère à l'Académie retarda peu la sienne: il fut reçu, à la place de Tallemant l'aîné, au mois d'août 1693.

1. « Ses circonstances » est le texte de toutes les anciennes édi tions. La plupart des éditeurs modernes ont substitué ces à ses.

LETTRES

NOTICE.

Les dix-sept premières lettres de ce recueil ont pour objet de tenir le grand Condé au courant du travail de son petit-fils. Conservées aujourd'hui dans les archives du Musée Condé, elles se trouvaient à Twickenham en Angleterre lorsque M. le duc d'Aumale voulut bien nous en faire parvenir la copie.

La dix-huitième lettre, autographe comme les précédentes, est adressée à Ménage : nous n'avons pu l'examiner, mais nous l'acceptons comme authentique : le texte ne soulève aucune objection, non plus que la signature, que donne un fac-simile.

La Correspondance de Bussy Rabutin nous a fourni les lettres XIX et xx que suivront deux lettres à Santeul, l'une maintes fois imprimée au XVIIIe siècle, l'autre publiée, en 1901, par M. l'abbé Urbain dans la Revue d'Histoire littéraire de la France. Nous avons admis sans hésitation la première parmi les lettres de la Bruyère ; devons-nous accepter la seconde avec la même confiance? Plus d'un lecteur sans doute y verra, et telle avait été notre première impression, l'œuvre habile d'un lettré s'amusant à composer une épître que l'on pût prêter à la Bruyère. Après nouvel examen, nous inclinons à partager l'opinion de M. Urbain, qui ne met pas en doute son authenticité, l'ayant rencontrée dans un recueil formé à l'abbaye de Saint-Victor. La signature La Bruyère, à la vérité, n'a jamais été celle de notre auteur qui a toujours signé Delabruyère ou DelaBruyère1; mais ici, à l'égard d'une lettre que nous ne

1. Dans la réflexion 14 du chapitre de Quelques usages, tome III, p. 169, la Bruyère a séparé son nom en trois mots, mais presque partout sa signature autographe est d'un seul mot, même lorsque le B est majuscule. Quant au D, il est quelquefois majuscule comme le D imprimé dans la première rédaction de la réflexion précédemment

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