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NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

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Connais-toi toi-même (yvõtɩ σeautòv), disaient les sages de la Grèce; et depuis plus de deux mille ans les moralistes et les médecins ont répété la célèbre inscription du temple de Delphes, sans que la plupart des hommes pensent à acquérir cette connaissance, si intéressante et surtout si nécessaire. Seraitce parce que cette étude est entourée de dif ficultés insurmontables? Alors Pascal, ce sévère moraliste, aurait eu raison de s'écrier:

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Quelle chimère est-ce donc que l'homme! quelle nouveauté ! quel chaos! quel sujet de contradiction! Juge de toutes choses, imbé cile ver de terre, dépositaire du vrai, amas d'incertitudes, gloire et rebut de l'univers : s'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible. » Pour moi, découragé par les paroles de ce puissant génie, j'ai voulu plus d'une fois briser ma plume, et renoncer à un travail dont le terme, semblable à l'horizon, me paraissait toujours s'éloigner à mesure

que je m'efforçais d'en approcher davantage. En vain j'avais demandé à nos grands peintres de mœurs, à nos meilleurs physiologistes, le mot de cette énigme, en apparence introuvable: aucun d'eux ne répondait d'une manière satisfaisante aux nombreuses questions qui se pressaient dans mon esprit. Relisant alors les chefs-d'œuvre de l'éloquent évêque de Meaux, dont le regard pénétra si avant dans les secrets de la nature humaine, je m'arrêtai sur ces lignes : « Qu'est-ce donc que l'homme? Est-ce un prodige? est-ce un assemblage monstrueux de choses incompatibles? est-ce une énigme inexplicable? Ou bien n'est-ce pas plutôt, si je puis parler de la sorte, un reste de lui-même, une ombre de ce qu'il était dans son origine, un édifice ruiné, qui, dans ses masures renversées, conserve encore quelque chose de la beauté et de la grandeur de sa première forme? Il est tombé en ruines par sa volonté dépravée; le comble s'est abattu sur le fondement : mais qu'on remue ces ruines, on trouvera, dans les restes de ce bâtiment renversé, et les traces des fondations, et l'idée du premier dessin, et les marques de l'architecte. >>

Cette pensée de Bossuet m'a servi plus d'une fois de guide dans mes recherches, en

m'expliquant toutes les contradictions qui règnent en nous et hors de nous; car je ne me suis pas borné à étudier l'homme dans sa nature; je l'ai aussi considéré dans son origine, dans ses rapports et dans son avenir.

J'admets d'abord en principe qu'il est composé d'un corps et d'une âme, unis de telle sorte que de leur réaction réciproque et harmonique dépend le parfait accomplissement de ses destinées. Comment s'opère cette union de la matière et de l'esprit? Mystère aussi impénétrable que les grandes lois de la nature: le suprême Architecte s'en est réservé le secret! Toutefois, nous sommes forcés d'avouer que l'âme est l'agent invisible dont notre corps révèle l'existence, comme Dieu est le créateur invisible dont l'univers publie la force, l'intelligence et l'amour.

Considéré sous le triple point de vue de l'hygiène, de la morale et de la religion, l'homme a des besoins à satisfaire et des devoirs à remplir; aussi a-t-il reçu en partage la sensibilité, l'intelligence et la liberté, facultés précieuses qui l'avertissent de ses besoins, lui en montrent l'importance, et le font recourir aux moyens qui doivent les contenir ou les satisfaire. Le savant auteur de la Législation primitive me paraît beaucoup

trop flatter l'homme, en le définissant «< une intelligence servie par des organes. » Peintre sublime, mais infidèle, il s'est complu à représenter l'homme tel qu'il devrait être, et non tel qu'il est : l'histoire de tous les temps ne nous montre, en effet, l'intelligence que comme une reine détrônée, et devenue l'esclave des sens, qu'elle était appelée à gou

verner en souveraine.

Pour tous les moralistes de bonne foi, l'homme est une intelligence unie à des organes, un animal doué de la raison. Pour le philosophe chrétien, c'est une intelligence déchue, luttant contre des organes. Cette lutte presque continuelle entre les besoins et les devoirs, entre les organes et l'intelligence, ou, si on l'aime mieux, entre la chair et l'esprit ; cette lutte est toute la vie de l'homme, que l'Écriture appelle avec tant de raison un combat Militia est vita hominis super terram; magnifique pensée, rendue par un vers d'autant plus heureux, qu'il nous montre en même temps la lutte glorieuse de l'homme contre ses passions, et le prix réservé à ses généreux efforts :

La vie est un combat dont la palme est aux cieux.
(C. DELAVIGNE.)

Ce combat, devenu encore plus dangereux

par les progrès mêmes de la civilisation exige une continuelle vigilance, si nous ne voulons pas nous laisser entraîner par les passions, ces perfides et redoutables ennemies de notre repos. Mais, pour leur résister avec avantage, il ne suffit pas de se bien fortifier sur un point, il faut se fortifier de tous les côtés, il faut être armé de toutes pièces. Cette armure, une éducation complète (et elle ne saurait l'être que par le christianisme) pourra seule la donner à l'humanité par la culture simultanée des facultés physiques, morales et intellectuelles des enfants. En veillant donc avec plus de soin sur l'éducation; en ne permettant pas de développer imprudemment une ou deux des facultés de l'élève au détriment des autres; en s'attachant, au contraire, à développer, à diriger, à satisfaire convenablement tous ses besoins, les gounements finiraient par rendre les hommes plus forts et plus intelligents, parce qu'ils seraient meilleurs; et en même temps meilleurs, parce qu'ils seraient plus intelligents et plus forts.

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