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CHAPITRE XX.

DU FANATISME, ARTISTIQUE, POLITIQUE ET RELIGIEUX.

Le mot fanatisme n'exprime pas seulement l'exaltation des opinions politiques et des croyances religieuses, il s'applique aussi à une admiration excessive pour les sciences, et surtout pour les beaux-arts. C'est ce qui m'a déterminé à le placer à la suite des manies, avec lesquelles il se confond.

On a d'abord appelé fanatiques les prétendus devins de l'antiquité, parce qu'ils rendaient leurs oracles dans les temples des dieux nommés fana. Depuis, confondant la religion avec l'abus qu'on en a fait, certains incrédules ont appelé fanatisme toute espèce de zèle pour la religion, et lui ont attribué une foule de maux qui n'étaient dus qu'aux plus viles passions: c'est une erreur, quand ce n'est pas une perfidie. Au reste, l'impiété et l'hérésie n'ont que trop souvent prouvé qu'elles ont aussi leur fanatisme. << Luther, dit Bergier, n'avait pas été tourmenté lorsqu'il alluma le feu dans toute l'Allemagne; les anabaptistes ne l'étaient pas lorsqu'ils mirent en pratique les maximes de Luther; les zuingliens ne l'étaient point en Suisse lorsqu'ils firent main-basse sur les catholiques; personne n'avait été persécuté en France lorsque les émissaires de Luther et de Calvin y vinrent briser les images, afficher des placards séditieux aux portes du Louvre, prêcher contre le pape et con

tre la messe dans les places publiques, etc. etc. Ce sont ces excès mêmes qui attirèrent les édits que l'on porta contre eux. Ils ne devinrent donc pas fanatiques parce qu'ils étaient persécutés, mais ils furent poursuivis parce qu'ils étaient fanatiques. >>

Le fanatisme est-il bien une passion? se demande Marc; ne serait-il pas plutôt une conception délirante? et alors n'exclurait-il pas toujours la liberté morale? L'opinion de ce médecin légiste paraît tout à fait fixée relativement au fanatisme religieux : aussi il n'hésite pas à le considérer comme d'autant plus excusable, que les actes qu'il détermine seront plus déraisonnables, plus atroces, et que les exécuteurs de ces actes seront plus superstitieux et plus ignorants.

Quant au fanatisme politique, l'opinion de Marc ne paraît pas aussi bien arrêtée: «Ses actes, dit-il, devront être appréciés avec plus de réserve; car, bien souvent, loin d'être le résultat d'une conception délirante impliquant la lésion consécutive de la volonté, il n'a du fanatisme que le nom, et doit être considéré comme le produit de l'orgueil, de l'ambition, et même de la cupidité: il y a donc alors perversité plutôt que désordre mental. » Dans ces cas mêmes, je réclamerais encore toute l'indulgence des juges en faveur des accusés politiques, si ces passions motrices avaient été poussées jusqu'au voisinage du délire, jusqu'à l'aveuglement, et surtout si les individus appelés à comparaître devant les cours souveraines y avaient été conduits par la funeste contagion de l'exemple, Il a existé, du reste, dans tous les temps de véritables fous politiques, auxquels

l'imputabilité ne saurait être appliquée, et notre dernière révolution en a beaucoup augmenté le nombre. Je ferai suivre ces courtes réflexions de trois observations appartenant à chacune des espèces de fanatisme que j'ai admises.

-Un peintre célèbre composait un Christ à l'agonie; le modèle posait admirablement; toutefois, sa figure ne parvenait pas à rendre les dernières angoisses de la douleur qui va s'éteignant avec la vie. Que fait le peintre? il saisit un poignard, en frappe son modèle, et le fixe mourant sur la croix : voilà le fanatisme artistique.

Parmi les nombreux exemples de folie produite par le fanatisme politique, je me bornerai à citer celui de la trop fameuse Théroigne de Méricourt, surnommée la belle Liégeoise (1).

Cette courtisane, née dans le pays de Luxembourg, débuta sur notre scène révolutionnaire en se livrant aux divers chefs du parti populaire, qu'elle servit utilement dans la plupart des mouvements insurrectionnels. Elle contribua surtout, en 1789, à corrompre le régiment de Flandre en conduisant dans les rangs des filles de mauvaise vie, et en faisant aux soldats de larges distributions d'argent.

Après une mission à Liége, où elle devait soulever le peuple, et une courte captivité dans une forteresse de Vienne, Théroigne fut mise en liberté par l'empereur Léopold, et s'empressa de revenir à Paris dans le mois de décembre 1791. A cette époque,

(1) Je reproduis ici, en grande partie, l'intéressante observation publiée par Esquirol dans son ouvrage sur les Kaladies mentales,

elle se fit remarquer sur les terrasses des Tuileries et dans les tribunes, haranguant audacieusement le peuple, pour le ramener au modérantisme et à la constitution. Mais bientôt les jacobins s'étant emparés d'elle, on la vit paraître un bonnet rouge sur la tête, un sabre au côté, une pique à la main, commandant une armée de femmes; et tout semble prouver qu'elle ne resta pas étrangère aux massacres de septembre 1792. On rapporte qu'elle se rendit alors dans la cour de l'Abbaye, le sabre nu, et qu'elle y trancha la tête à un malheureux que l'on conduisait au tribunal de cette prison: c'était un de ses anciens amants.

Après l'établissement du Directoire et la dissolution des sociétés populaires, Théroigne perdit tout à fait la raison, et fut provisoirement conduite dans une maison de santé du faubourg Saint-Marcel. On trouva, dans les papiers de Saint-Just, une lettre d'elle, à la date du 26 juillet 1794, dans laquelle se montraient déjà les signes d'une tête égarée.

Après sept années de séjour aux Petites-Maisons, Théroigne fut transférée à la Salpêtrière, en septembre 1807; elle pouvait alors être âgée de quarantesept ans. A son arrivée dans cet hospice, elle était fort agitée, injuriant, menaçant tout le monde, ne parlant que de liberté, de comités de salut public, accusant tous ceux qui l'approchaient d'être des modérés, des royalistes, etc. En 1808, un grand personnage, qui avait figuré comme chef de parti, étant venu visiter la Salpêtrière, Théroigne le reconnut, et l'accabla d'injures, lui reprochant d'avoir abandonné le parti populaire, et de n'être qu'un

modéré, dont un arrêté du comité de salut public devrait bientôt faire justice. Enfin, en 1810, elle devint plus calme, mais elle tomba dans un état de démence qui laissait encore voir les traces de ses premières idées dominantes. A cette époque, elle ne veut supporter aucun vêtement, pas même de chemise. Tous les jours, matin et soir, elle inonde son lit, ou plutôt la paille de son lit, avec plusieurs seaux d'eau, et se couche recouverte d'un simple drap en été, et d'une seule couverture en hiver. Lorsqu'il gèle, et qu'elle ne peut avoir de l'eau en abondance, elle brise la glace, et prend l'eau qui est au-dessous pour se mouiller le corps, et particulièrement les pieds.

Quoique dans une cellule petite, sombre, humide, et sans meubles, elle se trouve très-bien; elle prétend être occupée d'affaires de la plus haute importance; elle sourit aux personnes qui l'abordent, quelquefois leur dit brusquement: Je ne vous connais pas. Il est rare qu'elle réponde juste aux questions qu'on lui adresse; elle dit souvent: Je ne sais pas, j'ai oublié; si l'on insiste, elle s'impatiente, et articule des phrases entrecoupées des mots forfails, liberté, comités révolutionnaires, etc.; elle en veut toujours aux enragés de modérés.

Théroigne ne quitte presque pas sa cellule; si elle en sort, elle ramasse toutes les bribes qu'elle rencontre sur le pavé, puis les porte à sa bouche; on l'a surprise dévorant de la paille, de la plume, des feuilles desséchées, et des morceaux de viande imprégnés de boue. Enfin, elle boit l'eau des ruis

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