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carton seize billets de banque de mille francs, et dix autres mille francs de valeurs sur la banque de France.

III. Mort d'un avare paralytique et aveugle.

Le vénérable abbé Desjardins, ancien vicaire général du diocèse de Paris, fut appelé un jour, pendant qu'il était curé des Missions étrangères, chez un pauvre vieillard aveugle, qu'on lui dit être gravement malade, et qui demandait avec instance à le voir. Empressé de se rendre au désir qu'on lui exprimait, M. Desjardins court chez le mourant, et cherche à lui offrir les consolations de son ministère; mais celui auquel il s'adresse ne semble l'écouter qu'avec distraction, et l'interrompt bientôt pour lui demander s'il est le curé des Missions étrangères.

«Sans doute, lui répond M. Desjardins; n'est-ce pas moi que vous avez fait appeler? -Oh! oui, car vous êtes le seul homme en qui je puisse avoir confiance. Ainsi vous êtes bien M. Desjardins? Je vous l'atteste. - Sommes-nous seuls? Voyez, regardez si personne ne peut nous voir ou nous entendre. Nous sommes seuls, absolument seuls. Soyez tranquille, mon ami, la porte est fermée : vous pouvez parler sans crainte. >>

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Ici le malade paraît se recueillir, puis il s'efforce de se soulever.

« Restez, restez couché, reprend M. Desjardins, je vous entendrai parfaitement. » Pendant ce temps, le vieillard a tiré une clef de dessous son chevet.

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La voilà... dit-il d'un air mystérieux. Mais vous êtes bien M. Desjardins, n'est-ce pas, le curé des Missions étrangères? ----Je vous l'ai déjà affirmé; comment pouvez-vous en douter encore? Eh bien! avec cette clef, ouvrez, je vous prie, le coffre qui est là, au pied de mon lit. Tout au fond, vous trouverez un sac que vous m'apporterez; mais allez trèsdoucement, de peur qu'on ne vous entende. >>

Le curé suit les instructions qui lui sont données, et à la vue du sac, à son poids énorme, il se réjouit en songeant que la misère de ses pauvres va être soulagée; car il ne doute pas que le moribond ne leur destine quelque partie du trésor qu'il lui remet. Assis sur son grabat, le vieillard n'a pas plutôt touché le bienheureux sac, qu'il est saisi d'un transport de joie impossible à décrire.

« Enfin, je le tiens done! dit-il d'une voix étouffée, et en le pressant sur sa poitrine; mon Dieu, qu'il y a longtemps que je n'ai eu un tel bonheur ! Ah! du moins, je l'aurai goûté encore une fois avant de mourir! » Alors, déliant les cordons du sac, il plonge sa main au milieu de l'or qui s'y trouve contenu ; avec ses doigts desséchés, il palpe, il caresse, il compte son métal chéri, et retombe tout à coup sans mouvement la joie l'avait tué.

CHAPITRE XII.

DE LA PASSION DU JEU.

Le jeu est un gouffre qui n'a ni fond ni rivage.

THOMAS.

Sa définition, son ancienneté, son universalité, ses progrès en France.

La passion du jeu est un besoin habituel de livrer son bien aux chances du hasard, ou à des combinaisons incertaines, dans lesquelles l'habileté a plus ou moins de part. C'est le plus souvent une lutte où l'homme ne voit dans son semblable qu'une proie dont il faut qu'il s'empare pour n'en être pas luimême dévoré, où il se réjouit en proportion du mal qu'il fait, et où le revers enfante presque toujours la haine, sans que le succès amène l'affection.

La soif de l'or, l'espoir outré d'un gain facile, l'oisiveté, et la recherche d'émotions variées, tels sont les éléments que l'analyse découvre dans cette maladie morale, l'une des plus contagieuses et des plus funestes. Ce n'est pas que par lui-même le jeu ne soit un passe-temps aussi innocent qu'agréable, quand on s'y livre avec modération et dans le seul but de donner quelque délassement à l'esprit ; mais, du moment où l'on s'y sent porté avec trop d'ardeur, on doit prudemment y renoncer; sinon, l'habitude

en fait bientôt un besoin aussi impérieux que coupable.

Il y a des jeux de pur hasard, il y en a d'autres où le hasard est joint à l'habileté; il y en a aussi que l'on considère comme dépendant uniquement de l'esprit ou de l'adresse; le hasard, toutefois, entre encore pour quelque chose dans ces derniers, en ce que souvent on ne connait pas la force de son adversaire, qu'il peut survenir des coups qu'on ne saurait prévoir, et qu'enfin l'esprit comme le corps ne se trouvent pas toujours bien disposés. Quoi qu'il en soit, il est à remarquer que la plupart des joueurs se livrent de préférence aux jeux dans lesquels leur talent ne leur donne aucune supériorité : un gain certain et journalier a moins d'attrait pour eux que la chance d'une grande fortune dont le sort peut un jour les favoriser; c'est sans doute parce que, dans les jeux de hasard, où tous les coups sont décisifs, l'âme est tenue continuellement dans une sorte d'exaltation extatique, sans qu'elle contribue à son plaisir par une contention dont la paresse aime à se dispenser.

Dans cet article, consacré à la passion des jeux de hasard, je crois devoir simplement mentionner la Bourse, loterie politique tout aussi immorale que l'ancienne loterie royale de France; le commerce, loterie industrielle (1), qui, chez les païens, avait

(1) D'après le relevé des cahiers d'enregistrement, les faillites déclarées au tribunal de commerce de la Seine, depuis le 1er janvier 1840 jusqu'au 31 décembre de la mème année, sont au nombre de 826, représentant en résultat un passif de 49,595,986 fr. 15 c., et un actif de 32,886,073 fr. 98 c.; mais on sait que ce der

pour patron le dieu des voleurs; enfin la guerre, cette loterie sanglante, qu'un de nos écrivains a appelée un jeu de héros.

La manie du jeu remonte à la plus haute antiquité, et l'on en trouve des traces chez tous les peuples. Les Juifs, il est vrai, paraissent en avoir été exempts avant leur dispersion; mais elle les gagna dès qu'ils eurent fréquenté les Grecs, qui jouaient déjà avant le siége de Troie (1), et les Romains, qui devinrent joueurs longtemps avant la destruction de leur république. En vain les lois romaines dé fendirent de jouer au delà d'une certaine somme; en vain Juvénal s'attacha à flétrir ces hommes qui apportaient au jeu des cassettes pleines d'or pour les risquer en un seul coup de dés, la passion des jeux de hasard fit de tels progrès à Rome, que, vers

nier chiffre, en pareille circonstance, n'est qu'idéal. Du reste, le nombre des faillites déclarées en France de 1817 à 1826 était, année moyenne, de 1,237; et il s'est élevé en 1840 à 2,618. Cette dernière année, le dividende moyen de toutes les faillites prises ensemble a été de 25 pour 100.

La plus avantageuse des souscriptions avec primes n'était, en définitive, qu'une loterie déguisée, à laquelle les joueurs exposaient l'excédant de la valeur de l'ouvrage mis en souscription. Les emprunts avec primes, contractés par divers gouvernements, ne sont également autre chose qu'une loterie, où les porteurs d'obligations jouent la portion d'intérêts qu'ils ne reçoivent pas. Heureux si le vent des révolutions ne leur enlève pas intérêts et capital!

(1) Les Lacédémoniens seuls bannirent pendant longtemps le jeu de leur république. On rapporte que Chilon, ayant été envoyé pour conclure un traité d'alliance avec les Corinthiens, fut tellement indigné de trouver les magistrats, les femmes et les généraux occupés au jeu, qu'il s'en retourna sur-le-champ, en leur disant que Lacédémone, qui venait de fonder Byzance, ne voulait pas ternir sa gloire en s'alliant avec un peuple de joueurs,

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