Page images
PDF
EPUB

flegme impitoyable; c'était un brave homme que j'aimais beaucoup autrefois. >

Et lord G*** crut avoir satisfait à sa conscience en envoyant de l'or à la veuve de celui qui avait eu le malheur de se laisser devancer par un fiacre.

CHAPITRE IX.

DE L'AMBITION.

De toutes les passions humaines, la plus fière dans ses pensées et la plus emportée dans ses désirs, mais la plus souple dans sa conduite et la plus cachée dans ses desseins, c'est l'ambition. Saint Grégoire nous a représenté son vrai caractère, lorsqu'il a dit : «L'ambition est timide quand elle cherche, superbe et audacieuse lorsqu'elle a trouvé. »

Bossuet.

Définition et synonymie.

Ambition, en latin ambitio, dérive du verbe ambire (1), qui signifie aller à l'entour, briguer. Les Romains, en effet, appelaient, à proprement parler, ambitiosi (circonvenants) ceux qui briguaient les charges, parce qu'ils allaient autour de l'assemblée pour mendier les suffrages.

L'ambition est un désir violent et continuel de s'élever au-dessus des autres, et même sur leurs ruines. C'est une soif immodérée de la gloire, de la domination, des grandeurs et des honneurs, enfin, des richesses.

L'ambition de la gloire est un désir ardent, généreux quelquefois, mais presque toujours cruel

(1) Am, en ancien latin, siguifiait circum, à l'entour.

lement déçu, de vivre entouré de l'admiration, de la reconnaissance des hommes, et de transmettre son nom à la postérité.

L'ambition de la domination et du pouvoir veut, à tout prix, gouverner et étendre indéfiniment ses conquêtes; elle prétend que rien ne lui résiste; ses moindres volontés doivent être regardées comme des ordres sacrés. Cette ambition, jointe à celle de la gloire, fait la grandeur des États, ou consomme leur ruine. L'esprit de domination est beaucoup plus commun qu'on ne le pense; il se glisse dans tous les rangs, dans toutes les conditions, et jusque dans les jeux des enfants.

L'ambition des grandeurs et des honneurs aspire sans cesse à obtenir des places, à monter à des dignités de plus en plus élevées; il lui faut des titres et des distinctions qui assurent la considération et les hommages de la multitude.

L'ambition des richesses ressemble à l'avarice par son ardeur et par les moyens odieux qu'elle emploie pour accroitre sa fortune; mais, loin de thésauriser, ainsi que cette dernière passion, qui, dans son délire, regarde l'or et l'argent comme les seuls biens, elle ne les considère que comme des moyens de parvenir à son but.

Chez quelques individus on ne rencontre qu'une de ces espèces d'ambition; d'autres sont dévorés par toutes les quatre à la fois; c'est sur ces malheureux esclaves que cette passion exerce son empire de la manière la plus tyrannique.

Ne confondons pas l'ambition avec cette noble émulation « qui mène à la gloire par le devoir; la

naissance nous l'inspire, et la religion l'autorise : c'est elle, dit Massillon, qui donne aux empires des citoyens illustres, des ministres sages et laborieux, de vaillants généraux, des auteurs célèbres, des princes dignes des louanges de la postérité; au contraire, la mollesse et l'oisiveté blessent également les règles de la piété et les devoirs de la vie civile, et le citoyen inutile n'est pas moins proscrit par l'Évangile que par la société. »

Selon Duclos, « l'émulation et l'ambition different entre elles, en ce que la noble émulation consiste à se distinguer parmi ses égaux, et à chercher son bien-être; au lieu que l'ambition est un désir immodéré de remplir des places supérieures à ses talents celle-ci est crime, l'autre est vertu. >>

Causes.

Les sujets doués d'une constitution bilieuse ou bilioso-sanguine, ainsi que les individus mélancoliques, sont, en général, prédisposés à l'ambition. Cette passion se remarque beaucoup plus fréquemment dans l'âge mûr que pendant la jeunesse ou la vieillesse; les hommes en sont bien plus souvent atteints que les femmes.

De tous les sentiments moraux, l'orgueil, surtout quand il se rencontre avec une espérance excessive, est, sans contredit, celui qui favorise le plus le développement de cette soif d'honneurs, de pouvoir et de richesses, si commune et si ardente dans les gouvernements constitutionnels et républicains, où tout le monde peut arriver au pouvoir.

Nées de l'orgueil des classes moyennes (orgueil qui s'est depuis communiqué aux rangs inférieurs), ces deux formes de gouvernements ne semblent guère convenir au caractère français. Trop corrompus pour la république, nous sommes beaucoup trop turbulents et trop francs pour un ordre de choses équivoque. En travaillant à introduire parmi nous sa balance politique, la moderne Carthage espérait y répandre ses deux vices dominants, l'avarice et l'ambition: ses prévisions seront bientôt dépassées.

Caractère, marche et terminaison.

« L'ambition, dit Massillon, ce ver qui pique le cœur et ne le laisse jamais tranquille, cette passion qui est le grand ressort des intrigues et de toutes les agitations des cours, qui forme les révolutions des États, et qui donne tous les jours à l'univers de nouveaux spectacles, cette passion qui ose tout, et à laquelle rien ne coûte, est un vice encore plus pernicieux aux empires que la paresse même.

Déjà il rend malheureux celui qui en est possédé! L'ambitieux ne jouit de rien ni de sa gloire, il la trouve obscure; ni de ses places, il veut monter plus haut; ni de sa prospérité, il sèche et dépérit au milieu de son abondance; ni des hommages qu'on lui rend, ils sont empoisonnés par ceux qu'il est obligé de rendre lui-même; ni de sa faveur, elle devient amère dès qu'il faut la partager avec ses concurrents; ni de son repos, il est malheureux à mesure qu'il est obligé d'être plus tranquille: c'est un Aman, l'objet souvent des désirs et de l'envie

« PreviousContinue »