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l'occupation française, un de ces dépôts dans lequel il advint qu'on plaça, disposé selon la coutume, un militaire mort hydropique. Quelques heures après, au milieu de la nuit, le gardien, qui était couché dans une pièce attenante, fut tout à coup réveillé par une violente secousse de la sonnette mortuaire; épouvanté, il s'était brusquement dressé sur son lit, lorsqu'un nouveau coup de sonnette retentit à ses oreilles. Atterré alors et saisi d'effroi, il veut se lever, s'enfuir ses jambes fléchissent sous lui; appeler, et la voix lui manque; il tombe enfin sans connaissance. Cependant, attirées par le bruit de l'étage supérieur, sa femme et sa famille appellent au plus tôt un médecin. A l'arrivée de celui-ci (M. le docteur Bécœur, aujourd'hui chirurgien en chef de l'école de cavalerie de Saumur), il avait repris ses sens, mais il avait perdu la faculté de se mouvoir et d'articuler aucun son: il était frappé d'hémiplégie. Les yeux égarés et fixés sur la porte d'entrée de la salle des morts, il indiquait celle-ci par un mouvement de tête. On y pénétra, et on trouva que, comme il arrive assez souvent, l'hydropique s'était ce qu'on appelle vidé; l'affaissement survenu tout à coup avait entraîné, dans une double secousse, ses mains croisées sur le ventre, et à l'une desquelles était attaché le cordon de la fatale sonnette. Toutes ces circonstances rendaient, sans doute, suffisamment compte de ce qui venait de se passer: l'explication en fut donnée au malade, qui la conçut et en fut complétement rassuré. Mais le coup porté était irréparable; la paralysie persista, et la mort survint quelques semaines après. »

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CHAPITRE V.

DE LA PARESSE.

La pauvreté est compagne de la paresse; l'aisance est le fruit de l'activité.

Proverb., x, 4.

Définition et synonymie.

On donnait autrefois le nom de parésie à une paralysie légère, dans laquelle la privation du mouvement ne se trouve pas accompagnée de celle du sentiment. Du mot grec Tápeσis, relâchement, affaiblissement, nous avons formé notre substantif paresse, qui correspond à celui de pigritia des Latins.

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La paresse peut être définie : un penchant habituel à rester dans l'inaction et à s'y complaire. Selon Girard, « la paresse est un vice moindre que la fainéantise; elle semble prendre sa source dans le tempérament, et la fainéantise, dans le caractère de l'âme. D'après le même grammairien, « la paresse s'applique à l'action de l'esprit comme à celle du corps; la fainéantise ne convient qu'à cette dernière sorte d'action. Le paresseux craint la peine et la fatigue il est lent dans ses opérations, et fait trainer l'ouvrage. Le fainéant aime à être désœuvré, il hait l'occupation, et fuit le travail. »

La nonchalance, l'indolence et la fainéantise ne sont, selon moi, que trois espèces du

genre

PARESSE,

dont l'habitude constitue le paresseux. Par une disposition souvent involontaire, le nonchalant ne se remue qu'avec mollesse et lenteur; l'indolent n'agit qu'avec indifférence, tandis que le fainéant montre un éloignement prononcé pour le travail du corps aussi bien que pour celui de l'esprit ; on l'a vu se consoler de sa fin prochaine par la seule idée que bientôt il n'aurait plus rien à faire.

On peut dire d'une manière générale qu'on est nonchalant par défaut de forces, indolent par défaut d'énergie, et fainéant par défaut de forces physiques et morales.

Le désœuvrement, état des gens qui n'ont rien à faire; l'inaction, état des gens qui ne font rien, et l'oisiveté, abus du loisir, état des gens qui consument le temps dans des frivolités : voilà trois fléaux non moins dangereux pour les sociétés que la paresse elle-même, avec laquelle on les a quelquefois confondus.

« De tous nos défauts, dit La Rochefoucauld, celui dont nous demeurons le plus aisément d'accord (1), c'est la paresse: nous nous persuadons qu'elle tient à toutes les vertus paisibles, et que, sans détruire entièrement les autres, elle en suspend seulement les fonctions; mais, ajoute l'auteur des Maximes morales, si nous considérons attentivement son influence, nous verrons qu'en toute occa

(1) Comment! fort, jeune et bien portant comme vous êtes, ne rougissez-vous point de ne pas gagner votre vie plus honnêtement, disait un jour Saint-Lambert à un mendiaut

Ab! mon

sieur, lui répondit naïvement celui-ci, si vous saviez combien je suis paresseux!»

sion elle se rend maîtresse de nos sentiments, de nos intérêts et de nos plaisirs : c'est le remora qui arrête les plus gros vaisseaux; c'est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires que les écueils et les tempêtes. »

De toutes les passions, la paresse est peut-être celle que l'on rencontre le plus fréquemment. On ne saurait donc trop se préserver d'un penchant d'autant plus à craindre, que , que l'incurie, le repos et les douces rêveries qui l'accompagnent, sont l'une des situations les plus agréables que l'homme puisse rencontrer sur la terre. Il appartenait à la morale d'Épicure de prêcher la volupté de la paresse; le christianisme l'a justement frappée de réprobation, comme l'ennemie de la société, la rouille de l'intelligence, et la source de tous les vices.

Causes.

La paresse est inhérente à l'enfance, dont les premières années sont et doivent être exclusivement consacrées à la nutrition, au sommeil et au jeu. Elle tient à la jouissance intime de se sentir exister doucement et sans efforts. C'est aussi la raison pour laquelle les vieillards y sont plus enclins que les adultes, dont le corps est beaucoup plus agile et l'esprit plus actif.

De toutes les constitutions, celle qui prédispose le plus à la paresse est sans contredit la constitution lymphatique, que nous avons vue caractérisée par l'atonie de tous les systèmes et par un manque plus ou moins complet d'énergie. Les personnes d'une obésité excessive, ou bien d'une taille très-élevée

avec des membres grêles, sont beaucoup plus apathiques que les individus petits et trapus.

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Il ne me paraît guère possible de dire d'une manière absolue dans quel sexe on rencontre le plus de paresseux le genre de travail, l'éducation, la position sociale, rendent le résultat variable et l'appréciation par trop difficile. Je suis toutefois porté à croire que chez les pauvres les femmes sont en général plus laborieuses que les hommes, tandis que le contraire a lieu chez les riches. Quant à la classe moyenne de la société, elle m'a semblé présenter sous ce rapport un équilibre parfait.

Même difficulté se rencontre, s'il s'agit d'apprécier l'influence des professions sur la paresse. Enfin, sans admettre, avec mon spirituel et savant confrère, le docteur Munaret, que le paysan ne connait et ne commet que six péchés capitaux, j'avouerai que les habitants des villes sont beaucoup plus enclins au septième que les habitants des campagnes, chez lesquels le grand air rend le corps plus robuste, en même temps que l'habitude fait du travail un plaisir.

L'extrême froid et l'extrême chaleur nous plongent également dans un état d'engourdissement et de torpeur, qui peut enrayer les rouages de l'organisation, et finir par amener la mort.

Sans être situées sous l'équateur ou au voisinage des pôles, bien des contrées ont une température qui favorise évidemment la nonchalance, l'indolence ou la fainéantise: la mollesse des Orientaux, l'inactivité des créoles, et le sacrosanto far niente des Italiens, sont passés en proverbe.

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