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proches à ce sujet; mais, loin de l'écouter, M. de M*** s'écrie: «Il s'agit bien de cela, vraiment! Que viensje de voir! C'est abominable! J'ai traversé votre cuisine, c'est à faire pitié! J'ai vu des perdreaux, des poulets abîmés, massacrés. Et votre dinde truffée, quelle sotte tournure lui a-t-on donnée! C'était, ma foi, bien la peine que Jacques Cœur importât les dindons, en 1450, pour les voir réduire en pareil état! Décidément, votre cuisinier n'y entend rien ! Vous avez aujourd'hui le préfet à dîner avec plusieurs personnes de la maison du prince Borghèse; votre repas sera détestable; il va vous déshonorer! >>

Cette scène, faite avec le plus grand sérieux, parut si plaisante au directeur que, loin de s'en fåcher, il demanda à M. de M*** s'il consentait à faire son dîner ce jour-là. Ce fut alors sur la figure de l'amateur un épanouissement de joie que rien ne saurait rendre. Il courut à la cuisine, s'empara des casseroles et des fourneaux, et l'on dit qu'il se surpassa tellement, que les premiers cuisiniers du lieu ne purent s'empêcher d'envier la réputation qu'il se fit dans cette circonstance.

La vie culinaire de M. de M*** offre une foule de traits à peu près pareils. Il poussait si loin la manie gastronomique, qu'il engraissait de jeunes pigeons dans une marmite recouverte, afin que ces petits animaux, n'ayant jamais pris d'exercice, ni des ailes, ni des pattes, eussent les chairs plus tendres, lorsqu'ils seraient appelés à l'honneur de paraître sur sa table.

Un jour, présentant quelqu'un à sa sœur, il ne lui apprit ni le nom, ni la qualité de l'individu,

mais il lui dit : « Ma bonne amie, voilà monsieur que j'ai surpris il y a quelque temps à son diner; il avait sur sa table des perdreaux rôtis, piqués d'un côté, et non piqués de l'autre cela est fort bien entendu, parce que chacun peut être servi selon son goût. >>

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L'historien de M. de M***, à qui nous empruntons une partie de ces détails, l'ayant revu à Paris après la chute de Napoléon, alla lui faire une visite, rue Neuve-des-Capucines, et le trouva dans une espèce de donjon, où il se livrait avec une nouvelle ardeur à sa science favorite. Le logement était divisé en plusieurs pièces, dont la principale était consacrée à la cuisine, ou plutôt au laboratoire. C'est là que le visiteur fut d'abord conduit. Il raconte qu'en entrant, sa vue fut frappée d'un grand vase placé sur une table, et à moitié rempli d'une liqueur jaunâtre, où nageaient des oignons et des tronçons de carottes; au-dessus descendait du plancher un cerceau suspendu par une ficelle; autour du cerceau étaient attachés par le bec trois ou quatre oiseaux, qui trempaient à moitié dans la liqueur.

« Qu'est-ce que cela ?» demanda-t-il au moderne Apicius (1). «C'est, lui répondit très-sérieusement

(1) Nom de trois Romains célèbres dans les fastes de la gourmandise. Le premier, contemporain de Sylla, chercha dans la bonne chère une compensation aux violentes commotions de la guerre civile. Le dernier, qui vécut sous Trajan, trouva le secret de conserver les huitres dans leur fraicheur. Quant au second, qui est sans contredit le plus célèbre, on lui attribue un traité fort ancien, De Obsoniis et condimentis, sive de Arte coquinaria, Londres, 1705, in-8°, réimprimé à Amsterdam, 1709, in-12, avec le titre De

ce dernier, le problème du vanneati que je crois avoir résolu, et c'est une question fort délicate. Le vanneau, voyez-vous, est un oiseau très-fin; mais il a offert jusqu'ici de grandes difficultés. Ou le train de derrière est trop avancé, ou le train de devant ne l'est pas assez. J'ai réfléchi là-dessus, moi, et j'ai pensé qu'en faisant prendre au vanneau un demi-bain dans une saumure conservatrice, cela donnerait le temps à l'air d'agir sur les ailes, en proportion convenable, et qu'ainsi il serait également bon dans son entier. Si vous voulez venir demain diner avec moi, nous verrons si je suis sur la voie. »

Une pareille invitation était trop séduisante pour n'être pas acceptée. «Et voilà pourquoi, ajoute le narrateur, je puis aujourd'hui proclamer, en toute justice, M. de M*** comme ayant résolu le problème du vanneau. »

Re culinaria, sous lequel il parut pour la première fois à Milan en 1498, in 4o. C'est de cet Apicius que Sénèque, Pline, Juvénal et Martial ont tant parlé. Sénèque, dont il était le contemporain, nous apprend qu'il tenait une école de bonne chère, et qu'il avait ainsi dépensé deux millions et demi. Obligé enfin de mettre un peu d'ordre dans ses affaires, et voyant qu'il ne lui restait plus que deux cent cinquante mille livres, il s'empoisonna, dans la crainte que cette somme ne lui suffit pas pour vivre. Telle fut la fin qui couronna dignement la vie d'un homme à jamais célèbre, pour avoir inventé des gâteaux qui portèrent son nom, et imaginé un nombre immense de sauces, parmi lesquelles se trouvait peut-être la saumure de M. de M***.

ལའ་་་་་་་་

CHAPITRE III.

DE LA COLÈRE.

Les corps infirmes et ulcérés sont blessés par le plus léger contact: aussi la colère n'est qu'un vice de femmes et d'enfants. Mais les hommes eux-inêmes en sont susceptibles! c'est que les hommes ont souvent le caractère des femmes et des enfants.

SENEQUE, De la Colère, liv. 1, ch. 16.

Definition et synonymie.

Le mot colère dérive du grec zoλń, bile, parce que les anciens attribuaient la colère à l'agitation de ce fluide. Cette passion était donc, selon leurs idées, une passion bilieuse; il n'y a même pas encore longtemps qu'on la définissait « l'agitation d'un sang bilieux qui se porte au cœur avec rapidité. »

Horace appelle la colère « une folie de courte durée, ira furor brevis. »

Trois siècles avant lui, Philémon, poëte grec, avait dit dans une de ses comédies: « Nous sommes tous insensés lorsque nous sommes en colère. »

Selon Aristote, « la colère est le désir de rendre le mal qu'on nous a fait. »

Sénèque définit cette passion « une émotion violente de l'âme, qui, volontairement et par choix, se porte à la vengeance. »

« La cholere, dit Charron, est une folle passion qui nous pousse entierement hors de nous, et qui, cherchant le moyen de repousser le mal qui nous menace ou qui nous a desja atteinct, faict bouillir le sang en nostre cœur, et leve en nostre esprit des furieuses vapeurs qui nous aveuglent et nous precipitent à tout ce qui peust contenter le desir avons de nous venger. C'est une courte rage, min à la manie. »

que nous

un che

D'après de La Chambre, « la colère est une passion mixte, composée de la douleur l'injure reçue, et de la hardiesse

repousser. >>

que

que

l'on souffre pour l'on a pour la

Je définis la colère un besoin excessif de réaction, déterminé par une souffrance physique ou morale.

Cette passion, malheureusement si commune, et sujette à une sorte de périodicité, présente une foule de degrés, dont les principaux sont l'impatience, l'emportement, la violence, la fureur, la haine et la

vengeance.

L'impatience est une disposition habituelle à prendre de l'humeur à la plus légère contrariété. Elle se décèle par une vivacité inquiète et impérieuse, par des paroles vives et coupées, accompagnées de trépignements et d'une rapide contraction des muscles de la face. Au physique comme au moral, l'impatience est un signe de faiblesse. Il s'est grossièrement trompé celui qui a cru pouvoir appeler la patience la force des faibles : car il faut être bien fort pour être toujours modéré, toujours patient.

L'emportement est une propension à s'irriter au

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