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bronne; ce que j'ai fait est abominable on m'a condamné à mort, il n'y a rien de plus juste ; et il faut que je meure.

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Je te répète que tu ne mourras pas, que tu auras ta grâce, si tu me jures de ne plus te griser. Comment voulez-vous que je vous jure cela, si je continue à boire du vin? J'aime mieux me brouiller tout à fait avec lui.

-))

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-))

Te sens-tu capable d'une telle résolution? Oui, puisque vous êtes capable d'une si généreuse bonté. »

La chose étant ainsi convenue, Cambronne obtint sa grâce pleine et entière.

L'année suivante, le digne colonel quitta le service, et oublia le serment que lui avait fait Cambronne, qu'il ne revit que vingt-deux ans après, au mois d'avril 1815. A cette époque, l'intrépide général venait, comme on sait, d'accompagner Napoléon depuis Cannes jusqu'à Paris. Invité à dîner par son ancien colonel, qui avait appris son arrivée par les journaux, il se rend avec empressement à cette invitation. Après le potage, son hôte lui offre un verre de vin de Bordeaux qui avait vingt ans de bouteille.

<< Ah! mon commandant, s'écrie le général, qui continuait à donner ce nom par amitié à son ancien chef, ce n'est pas bien ce que vous faites là...

«<- Comment, ce n'est pas bien! si j'en avais de meilleur, je vous l'offrirais.

- Du vin! à moi ! Vous ne vous rappelez donc pas ce que je vous ai promis?

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Cambronne alors rappela à son libérateur l'engagement qu'il avait pris à Nantes, en 1793. « Depuis ce jour, ajouta-t-il, je n'ai pas bu une goutte de vin; c'était bien la moindre chose que je pusse faire pour l'homme qui m'avait sauvé la vie. Si je n'avais pas tenu mon serment, je me serais cru indigne de ce que vous avez fait pour moi. »

V. Ivrognerie radicalement guérie par un sentiment de honte et de regret, soutenu par la religion.

M. de R***, l'un des premiers magistrats d'une ville du département du Pas-de-Calais, était marié depuis un grand nombre d'années, lorsqu'il s'aperçut que sa femme, qui jusqu'alors s'était montrée d'une sobriété parfaite, prenait la funeste habitude des liqueurs spiritueuses. Quelques observations, faites avec beaucoup de délicatesse, ne la corrigèrent pas, seulement elles la rendirent beaucoup plus attentive à cacher son penchant. Mais la contrainte qu'elle s'imposait fit bientôt de ce penchant une passion très-vive, et madame de R***, ne pouvant toujours se procurer par elle-même les moyens de la satisfaire, finit par avoir recours à une de ses femmes, qui lui achetait secrètement de l'eau-de-vie.

Averti de ce désordre, et rougissant de honte pour celle qui portait son nom et qu'il aimait d'ailleurs tendrement, M. de R*** employa, sans aucun éclat, un moyen singulier pour la guérir: il fait venir chez lui une pipe d'eau-de-vie, et la place dans un caveau où l'on pouvait aller sans être vu des domestiques de la maison; puis, montant chez sa

femme, il lui dit avec gravité, en lui remettant la clef du caveau : « Madame, j'ai fait une ample provision de la liqueur que vous aimez, afin que désormais vous ne fussiez plus obligée d'en faire acheter clandestinement par votre femme de chambre. Lorsque cette provision sera épuisée, avertissez-moi. Que je sois du moins le seul confident d'une passion qui vous déshonore, et qui peut être du plus funeste exemple pour ceux qui vous servent... >>

Ces mots, prononcés avec l'accent d'une profonde douleur, produisent sur madame de R*** l'effet que son mari en attendait anéantie, elle n'ose d'abord lever les yeux; mais bientôt, lui saisissant la main : « Pardon ! mille fois pardon! s'écrie-t-elle, je vous ai affligé, je vous ai forcé de rougir de moi ; vous n'en rougirez plus, je vous l'atteste à dater de ce jour, je renonce à l'odieux penchant qui fait ma honte; pour m'en préserver, je n'aurai qu'à songer à la leçon que je viens de recevoir. >>

:

Aidée de la religion, qu'elle avait jusque-là abandonnée, madame de R*** a si rigoureusement tenu parole, qu'elle fut depuis citée comme un modèle de tempérance.

CHAPITRE II.

DE LA GOURMANDISE.

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Mille fois nous avons répété ce vieil adage : «La table tue plus de monde que la guerre. »

DE MAISTRE, Soirées de Saint-Pétersbourg.

Définition et synonymie.

Les dictionnaires les plus estimés définissent la gourmandise: intempérance dans le manger, amour raffiné et désordonné de la bonne chère, gloutonnerie, défaut de celui qui mange avidement et avec

excès.

Mécontent de ces définitions, qui confondent la gourmandise sociale avec la gloutonnerie et la voracité, l'aimable et savant auteur de la Physiologie du goût (1) propose aux lexicographes de réserver le nom de gourmandise à une préférence passionnée, raisonnée et habituelle pour les objets qui flattent le

(1) Brillat-Savarin (Anthelme), conseiller à la Cour de cassation, né à Belley le 1er avril 1755, mort à Paris le 2 février 1826. Nos lecteurs apprendront sans doute avec intérêt que l'auteur de la Physiologie du goût, ou Méditations de Gastronomie transcendante, était naturellement sobre : les repas les plus simples suffisaient à son robuste appétit.-Le spirituel auteur des charmants poëmes de la Gastronomie et de la Danse, Berchoux, avec qui j'ai eu le plaisir de diner plusieurs fois, poussait beaucoup plus loin la tempérance : il mangeait peu, ne buvait que de l'eau, et m'a assuré n'avoir jamais dansé.

gout. «La gourmandise, ajoute-t-il, est ennemie de tout excès: ceux qui s'indigèrent ou qui s'enivrent ne savent ni boire ni manger. »

Sous quelque rapport qu'il envisage la gourmandise, elle ne lui semble mériter qu'éloge et encouragement: sous le rapport physique, il la considère comme le résultat et la preuve de l'état sain des organes destinés à la nutrition. Au moral, c'est une résignation implicite aux ordres du Créateur, qui, nous ayant ordonné de manger pour vivre, nous y invite par l'appétit, nous soutient par la saveur, et nous encourage par le plaisir.

« La gourmandise devient-elle gloutonnerie, voracité, crapule, alors, dit le professeur, elle perd son nom et ses avantages, échappe à nos attributions, et tombe dans celles du moraliste, qui la traitera par ses conseils, ou du médecin, qui la guérira par ses remèdes. » (Méditation XI.)

C'est précisément de cette gourmandise pervertie que nous voulons nous occuper, et comme médecin et comme moraliste. Du reste, connaissant maints gastronomes fort estimables sous tous les rapports, nous nous empressons de déclarer ici que nous respecterons toujours leur préférence raisonnée, tant qu'elle restera raisonnable.

Avant d'entrer en matière, arrêtons bien la signification des différents synonymes que nous serons dans le cas d'employer: il n'y a en ce monde tant de confusion dans les choses que parce qu'on en laisse beaucoup dans les mots.

Nous donnerons indifféremment l'épithète de gourmets aux individus qui reconnaissent le terroir,

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