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«Si l'on compare entre eux ces différents degrés des altérations intellectuelles, on verra, ajoute M. Scipion Pinel, que leur distinction repose sur des signes bien sensibles. L'idiotisme est une maladie de naissance, caractérisée par la nullité morale et intellectuelle, mais présentant, dans cette dégradation, trois variétés fort distinctes: 1o l'abrutissement, état de dernière abjection humaine, où il n'y a ni sensations, ni sentiment des besoins physiques; 2o la stupidité, où l'on trouve quelques perceptions, et au moins le sentiment des besoins physiques; 3o la bêtise, se distinguant des deux états précédents par quelques fragments d'intelligence, et notamment par la possibilité de parler. Ces trois degrés forment l'idiotisme, qui, bien que de naissance et incurable, est néanmoins susceptible de quelque amélioration, et presque d'éducabilité.

« L'imbécillité a un caractère tout inverse, c'est-àdire qu'elle affecte des individus qui ont eu leur raison, et va toujours en s'aggravant.

« La démence diffère de l'état précédent par des efforts inutiles de mémoire et d'attention, et surtout par un trait unique, le sentiment, la conscience de cette impuissance et de sa propre dégradation. C'est un fait psychologique à graves conséquences.

« La monomanie, comme l'indique son nom, n'est qu'une folie partielle, un délire sur un seul objet.

« La manie, la fureur, est l'exaltation des principales facultés intellectuelles, surtout de la mémoire et de la conscience. En éprouvant le sentiment intime de leur exaltation, les maniaques en font une vanité de plus; mais, chez eux, pas de volonté ; elle

n'est qu'une explosion mobile et passagère, comme la rapidité des sensations.

« Entre ce délire complet et la raison, se place naturellement le délire de quelques moments, de quelques heures, le déraisonnement, dont l'ivresse, comme les violentes passions, présente tous les variables degrés : ira furor brevis.

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Vient enfin la raison, c'est-à-dire la volonté maitrisant toutes les facultés, et même la conscience, qui, sans elle, se laisse aller aux plus étranges illusions. >>

Ne distinguerait-on pas mieux les principaux degrés d'exaltation et de dépression de l'intelligence, en prenant le calme pour base d'une nouvelle classification? On aurait alors une sorte d'échelle thermométrique, qui s'appliquerait encore à la mesure de la passion, comme à celle de la maladie. Quelques mots suffiront pour faire comprendre ma pensée. Le calme, considéré sous le double point de vue physiologique et philosophique, est l'équilibre résultant des forces physiques et morales de l'humanité ce n'est pas l'immobilité complète, le repos absolu, l'inaction, mais un balancement doux et harmonique, qui contribue au bonheur de l'individu et à celui de la société : pour le corps, c'est la santé ; pour l'âme, c'est la vertu; pour ce qu'on appelle esprit, c'est la raison. Au-dessus et au-dessous du calme commencent la maladie, la passion et la folie. Le tableau qui suit traduira fidèlement mon idée, et me dispensera d'entrer dans des développements qui me conduiraient trop loin.

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Aux extrémités de chaque échelle se trouve la mort, au milieu le calme, c'est-à-dire la plénitude de la vie physique, de la vie morale, de la vie intellectuelle. Tant que l'on reste dans le calme, on possède santé, vertu, raison; perd-on le calme par excès ou par défaut d'activité, on avance plus ou moins dans la maladie, la passion ou la folie.

Nous avons vu précédemment que les passions ne diffèrent guère de la folie que par la durée. Et, en effet, n'observe-t-on pas la plus grande analogie dans leurs causes, dans leurs symptômes, dans leur terminaison? ne jettent-elles pas également le trouble dans tout l'organisme? ne présentent elles pas

aussi une exaltation, une diminution, une abolition ou une perversion des facultés intellectuelles et affectives?

En traitant des passions en particulier, j'aurai soin de signaler l'influence de chacune d'elles sur la production de la folie; je vais donc me borner ici à indiquer quelques autres causes de cette triste et fréquente maladie.

L'hérédité, dont on ne saurait nier la puissance sur le développement des passions, joue un rôle encore plus apparent dans l'aliénation mentale. De toutes les causes prédisposantes de cette affection, l'hérédité est sans contredit la plus fréquente, de même que les passions en sont la cause occasionnelle ou déterminante que l'on observe le plus habituellement (1).

Suivant Esquirol, le sixième des fous le sont devenus par hérédité dans les classes pauvres, et la proportion est encore plus considérable chez les riches. D'après le dernier Compte rendu sur le service des aliénés traités à la Salpêtrière et à Bicêtre, sur 8,272 individus, on n'en trouve que 736 dont la maladie soit attribuée à l'hérédité, ce qui formerait à peine le onzième des admissions; mais il faut dire qu'on voit figurer le chiffre de 1,576 sous le titre de causes inconnues. Du reste, nous avons pu constater, avec

(1) Sur 81 aliénés des deux sexes observés par Esquirol, 53 avaient perdu la raison à la suite de vives affections morales. Un autre relevé fait à la Salpêtrière, par le professeur Pinel, montre que, sur 611 femmes mélancoliques ou maniaques, 374 l'étaient devenues par l'effet de diverses passions. Enfin, dans l'excellent Rapport de M. Charcellay sur les aliénés de l'hospice général de Tours,

tous les observateurs, que les enfants conçus avant que les parents aient donné aucun signe de folie recueillent beaucoup plus rarement ce funeste héritage. Cette transmission est aussi moins fréquente chez les enfants issus de parents aliénés seulement du côté du père ou de la mère, que chez ceux dont le père et la mère seraient aliénés ou qui auraient des parents des deux lignées dans cet état.

Age. Nous avons déjà vu chaque âge avoir en quelque sorte sa passion particulière ; chaque âge a également un genre de folie qui lui est propre. L’idiotie, en effet, s'observe plus spécialement dans l'enfance, la mélancolie dans la jeunesse, la manie dans l'âge mûr, et la démence dans la vieillesse. Ainsi que l'orgueil et la vanité, les monomanies se rencontrent à tous les âges; on dirait la continuation de la passion dominante dans chacun d'eux.

Une analogie non moins remarquable, c'est que assez souvent l'aliénation mentale et les passions, qui en sont comme l'avant-scène, se manifestent chez les enfants vers la même époque de la vie, et presque sous les mêmes formes que chez les auteurs de leurs jours. Nous pourrions étendre cette influence de l'âge à plusieurs lésions du système nerveux; mais nous nous bornerons à citer une famille de Paris dont tous les membres, depuis trois genérations, sont atteints de surdité vers l'âge de quarante ans.

on trouve que sur 325 individus observés pendant les années 18391841, les causes physiques ont produit 139 fois l'aliénation mentale, et les passions proprement dites, 186. - Voir les savantes recherches de MM. Guislain, Ferrus, Leuret, Calmeil, Falret, Foville, Voisin, Parchappe, Bouchet, Carrier, etc.

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