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professions, ce ne sont pas simplement des doctrines théoriques, ni même les idées chrétiennes et philanthropiques, quoi qu'elles y aient, certes, puissamment contribué, qu'elles aient détruit les derniers restes de ce réseau d'entraves dont était garrottée la personne humaine. Mais le principe de cette émancipation graduelle, c'est dans la force des choses qu'il s'est rencontré, dans l'intérêt même des deux parties, dans la supériorité du travail libre sur le travail contraint, laquelle se faisait successivement connaitre dans divers champs de l'activité humaine et arrachait aux maîtres eux-mêmes des concessions. Il se créait ainsi peu à peu une atmosphère générale favorable à la liberté et antipathique à la contrainte. Il en a été ainsi, du moins, toutes les fois que les maîtres et les serviteurs n'étaient pas séparés par une différence de race ou de couleur qui créait entre eux une distinction naturelle manifeste. Dans ce dernier cas, la part des idées chrétiennes et philanthropiques pour amener l'affranchissement a été beaucoup plus prépondérante. D'autres facteurs de ce progrès furent encore les inventions, les découvertes, les voies de transports, les améliorations industrielles et techniques, qui comportaient moins qu'auparavant la rigidité des anciens. cadres.

Aujourd'hui, la liberté civile peut être considérée comme presque absolue dans l'Europe Occidentale. Elle est encore entourée de certaines restrictions dans l'Empire Russe, notamment pour l'exercice des professions et le droit d'aller et venir.

L'esclavage fut aboli de fait dans le vieux monde par l'invasion des barbares et par le christianisme. Il a disparu en 1833 des colonies anglaises, en 1848 des colonies françaises, en 1865 des États-Unis d'Amérique, puis successivement des Antilles espagnoles et du Brésil.

Les États musulmans et les petites tribus fétichistes du centre de l'Afrique restent seuls à méconnaître complètement la liberté individuelle, de même que certains méconnaissent encore en grande partie la propriété privée territoriale.

Quant au servage, dès 1256 on commence à l'abolir en Italie, à Bologne, dès 1298 on s'y met en France, et au XVIe siècle il ne restait plus guère de serfs dans notre pays; la Révolution de 1789 n'avait plus à en affranchir que quelques milliers. En Angleterre, on a vu plus haut que, commencée au XIVe siècle, l'émancipation des serfs y fut achevée au xvII. Cette élimination graduelle du servage, en dehors de toute influeuce des doctrines théoriques qui avaient alors peu de prise sur les gouvernements et sur les peuples, est le plus beau témoignage de la force pratique du principe de liberté; c'est la liberté qui s'est elle-même frayée graduellement et péniblement sa route, cheminant toujours, usant tantôt de l'appât de redevances qui séduisaient les maitres, tantôt du rachat, profitant de toutes les occasions, aussi bien des malheurs publics que des bonheurs publics, et finissant par s'imposer. En Russie, le servage fut aboli il y a maintenant un tiers de siècle (en 1861) par un acte de souveraineté, et vers 1910 il n'en restera plus trace, puisque les annuités de rachat auront alors disparu'.

Quant aux entraves secondaires à la liberté humaine, on trouvera quelques renseignements historiques sur ce sujet dans un chapitre ultérieur où nous traitons de la concurrence, de la réglementation et du monopole. Il suffit de dire que c'est au ministère de Turgot en France, en 1776, que revient le mérite de l'abolition des cadres forcés qui, sous le nom de maîtrises et de jurandes, violentaient la liberté industrielle. Ces organisations ayant été rétablies après la chute de Turgot, la Révolution de 1789 les supprima définitivement.

En Angleterre, le vieux système des guildes et des coutumes industrielles (old trade customs and gild regulations) fut démantelé par tous les progrès qui s'accomplirent dans l'industrie à partir de 1760 2.

1 L'État russe a payé aux propriétaires une indemnité dont il fait l'avance aux paysans qui la lui restituent en 49 annuités.

2 Un économiste anglais contemporain, Marshall, décrit ainsi ces progrès :

« Le quart de siècle qui commença en 1760 vit les améliorations (impro

Dans certaines localités, on les voulut maintenir; il advint alors que l'industrie abandonna ces places inhospitalières; les efforts pour les faire respecter en invoquant l'autorité publique furent vains et elles tombèrent en désuétude, sans qu'il fût besoin de texte de loi pour les abroger.

Peu à peu, dans le courant de quatre ou cinq décades d'années, toute l'Europe Occidentale et Centrale suivit l'exemple que la France avait donné. L'Allemagne elle-même se décida à reconnaître la pleine liberté de changer de domicile et de contracter mariage.

La liberté de coalition, les droits d'association et de réunion, la suppression de tout ce qui peut rappeler une attache quelconque, par exemple de l'obligation du livret pour l'ouvrier, viennent consacrer cette émancipation aujourd'hui à peu près complète, de l'individu.

Nous n'ignorons pas que des efforts sont faits pour le charger de chaines nouvelles, sous le prétexte de lui donner l'appui de la force collective, que les syndicats qu'on voudrait

vements) se suivre l'une l'autre dans les manufactures encore plus rapide ́ment que dans l'agriculture; citons durant cette période : les canaux de Brindley qui rendirent beaucoup moins coûteux le transport des marchandises encombrantes; la production de la force par la machine à vapeur de Watt et celle du fer par les procédés de Cort pour le puddlage et le lami nage (rolling) et par la méthode de Roebuck pour le fondre avec de la houille au lieu de charbon de bois devenu rare; Heargreaves, Crompton, Arkwright, Cartwright et d'autres qui inventèrent ou du moins rendirent plus économique la spinning Jenny, la mule Jenny et la machine à carder Wedgwood, qui donna une grande impulsion à l'industrie des poteries, laquelle déjà se développait rapidement; diverses importantes inventions pour l'impression sur étoffes au moyen de cylindres, le blanchiment avec des agents chimiques et autres perfectionnements. Une filature de coton fut pour la première fois mue par la machine à vapeur en 1783, la dernière année de cette période. Le commencement du x1x siècle vit les bateaux à vapeur et les presses à vapeur pour l'imprimerie, et l'usage du gaz pour l'éclairage des villes. Les transports par chemins de fer, la télégraphie, la photographie vinrent un peu plus tard. Notre propre âge a eu des améliorations innombrables et de nouvelles économies dans la production... Mais la base (groundwork) de tous ces changements qui se sont effectués depuis 1785 doit être cherchée principalement dans les inventions et découvertes de la période de 1760 à 1785. » (Marshall, Economics of Industry, page 18.)

rendre obligatoires feraient réapparaitre les anciennes corporations, que des essais ont déjà été tentés depuis quelques années en ce sens dans quelques pays. Ces tentatives peuvent avoir une action perturbatrice sur le développement écono mique et social. Elles ne semblent pas, cependant, destinées à triompher, notre structure industrielle et la rapidité des inventions et des découvertes, la mobilité qui s'ensuit dans les cadres de la production, ne permettant guère la restauration de ces organisations vieillies et qui sont tombées de décrépitude.

En tout cas, à l'heure présente, et malgré diverses menaces à l'horizon, la liberté reste, comme elle l'a toujours été, l'une des grandes conditions générales du développement de l'industrie et de l'individu.

CHAPITRE II

LA PROPRIÉTÉ

Nature et caractère de la propriété. Nécessité du jus abutendi. Force expansive de la propriété, son extension aux domaines les plus variés. Interdépendance de la liberté et de la propriété.

Genèse de la propriété. La propriété est un fait naturel et instinctif. La terre a toujours été propriété particulière.

Les diverses théories du droit de propriété.

Origine et évolution de la propriété foncière personnelle.

Ordre historique des propriétés.

La part sociale dans chaque propriété privée. La propriété n'est pas onéreuse a la société ni aux consommateurs dépourvus de biens.

La propriété privée peut être regardée comme une participation aux bénéfices établie par le cours naturel des choses.

Les charges spéciales à la propriété foncière compensent largement en général l'utilité primitive du sol pour la société, avant les capitaux qui y furent incorporés par les propriétaires successifs.

La propriéte privée est le fondement de l'existence nationale. La propri té des nations serait dépourvue de titres si ceux de la propriété personnelle n'étaient pas valables.

Raisons de la perpétuité de la propriété privée. Amoindrissement notable de la production et crises sociales profondes que susciterait toute limite de durée, si lointaine fût-elle, assignée à la propriété.

NATURE ET CARACTÈRE DE LA PROPRIÉTÉ. NÉCESSITÉ DU JUS ABUTENDI. — La propriété a suivi chez la généralité des peuples un développement analogue à celui de la liberté.

La propriété est le droit absolu d'un homme sur le produit de ses efforts, sur les choses qu'il est le premier à mettre en valeur et auxquelles il donne une forme durable, il confère une productivité permanente.

Elle a un lien indissoluble avec la liberté; aussi a-t-elle subi la même évolution.

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