Page images
PDF
EPUB

lui d'Ignace de Loyola, le fondateur de l'ordre auquel a appartenu Maimbourg. Il donne des détails comiques sur les études du saint; quelques-uns même bas et grossiers; mais ils sont publiés par ses disciples eux-mêmes et par conséquent avoués de l'ordre entier. A Zwingle, au contraire, Maimbourg ne peut rien reprocher, sinon qu'il fut pélagien, accusation qui est démentie par Bellarmin, et qu'il mourut comme un soldat.

II. Passant à Guillaume Brissonnet, évêque de Meaux, << dont ne sait que faire Maimbourg, » tout en constatant que « c'était un homme de qualité, de mérite et de bonnes mœurs,» Jurieu rappelle qu'il essaya vainement de réformer les mœurs du clergé, et montre ensuite dans la Renaissance des lettres à laquelle avait participé cet évêque, une des causes de la Réformation. Il trouve la confirmation même de cette opinion dans l'effroi qu'inspirait au clergé d'alors la connaissance des langues sacrées, l'étude du grec et de l'hébreu, dont l'ignorance avait laissé mettre la Bible en oubli et favorisé la formation de dogmes « monstrueux >> comme par exemple « la transsubstantiation. »

Contre Jacques Fabri, le sieur Maimbourg n'a rien à dire, sinon qu'il fut un des « premiers ministres de l'hérésie qui, au lieu de s'exposer en bons pasteurs pour leurs petits troupeaux et de prétendre à la gloire d'avoir été les premiers martyrs de la nouvelle secte, prirent promptement la fuite.» Jurieu, qui sera à son tour accusé comme J. Fabri, avoue que c'est quelquefois une faiblesse de se retirer devant la persécution, mais <«< qu'il y a aussi souvent de la prudence à se dérober à la fureur des persécuteurs pour pouvoir servir à l'Église dans un autre lieu ou dans un autre temps. » J. Fabri d'ailleurs se repentit chrétiennement à sa mort, de la fuite qui lui est reprochée; et la chasteté et la pureté de sa vie contrastent avec les mœurs honteuses du clergé de son temps autant que sa mort chrétienne avec celle de bien des papes et des persécuteurs.

III. Quant à Pierre Martyr (P. Vermigli, florentin), que Maimbourg accuse, en phrases interminables, d'apostasie pour avoir quitté l'ordre des chanoines réguliers de saint Augustin, et s'être marié à une religieuse, Jurieu ne le trouve pas plus apostat, pour avoir quitté cet ordre, que ne l'est Maimbourg luimême pour avoir quitté l'ordre des Jésuites, et il s'appuie de l'historien de Thou pour établir qu'on n'a point reproché à la femme de P. Martyr d'avoir brisé des vœux qu'elle n'avait jamais faits, mais seulement d'avoir été infectée d'hérésie comme

son mari. Puis il traite avec autant de verve que d'ampleur la question du vœu de célibat ecclésiastique, citant saint Jérôme, Cyprien, Athanase, les conciles et le droit canon, d'abord pour dévoiler les dangers et rappeler les hontes de tels vœux, ensuite pour démontrer que, tels que les entend Maimbourg, ils étaient inconnus à la pratique de l'Église et des Pères des quatre premiers siècles. Si Maimbourg l'ignore, c'est qu'il se contente des idées du vulgaire et de ses ridicules préjugés, copiant aveuglément, sans contrôle d'aucune sorte, ses prédécesseurs coupables de la même légèreté. Enfin, P. Martyr, que Maimbourg accuse encore, sur la foi de Florimont de Rémond, d'avoir été changeant en matière de croyances, a été au contraire d'une clarté et d'une fermeté admirable, en particulier sur la doctrine du sacrement de l'eucharistie.

IV. Le reproche qu'à propos de ces prétendues variations de P. Martyr, Maimbourg fait aux protestants d'être partagés en Luthériens, Zwingliens, Calvinistes, etc., oblige ici Jurieu à aborder l'idée de l'unité de l'Église. Il serait beau, selon lui, qu'elle fût visible, cette unité. Cependant, si les divisions que combat l'Église ne laissent pas néanmoins de se multiplier, il faut bien en conclure qu'elles ne sont pas absolument contre la volonté de Dieu. Elles résultent évidemment « des passions humaines, que la grâce ne détruit point, et des sentiments humains qu'elle n'anéantit pas. » La parabole de l'ivraie et du bon grain nous enseigne en effet que Dieu veut sur la terre le mélange des réprouvés et des élus. Les réprouvés protègent l'Église en dissimulant en quelque sorte le petit nombre des élus dans la multitude des appelés; ils empêchent qu'ils soient méprisés au sein de la masse. D'un autre côté, la vue de leur infime minorité effrayerait les élus eux-mêmes. Enfin l'Église, qui est ainsi cachée et sauvée dans la foule de ses faux membres, ne pourrait se conserver si «< elle n'agissait souvent par des maximes humaines. >> Elle aurait péri dans les persécutions si, dans ces massacres, on avait tué autant d'élus qu'on a égorgé de chrétiens. On peut encore dire que les réprouvés sont nécessaires dans l'Église. non seulement pour exercer les élus à la vigilance, mais encore pour relever par leur ombre l'éclat de la lumière des élus mêmes. C'est par de telles considérations que Jurieu s'explique et croit expliquer à son adversaire « qu'il est de l'intention de Dieu qu'il y ait dans l'Église des divisions, des schismes, des hérésies.» Une autre raison encore, selon lui, de ces divisions, c'est

que « Dieu voulant avec une très grande sagesse qu'il y ait des réprouvés en même temps que les élus dans l'Église,» fait servir, ces divisions, de pierres d'achoppement pour les réprouvés; son but suprême étant la séparation des élus d'avec eux. Mais nous goûtons mieux, nous l'avouons, sa dernière raison, qui est aussi la meilleure à ses propres yeux, à savoir que les divisions résultent de la «< différence infinie qu'il y a entre le ciel et la terre, entre l'état de l'Église militante et celui de l'Église triomphante. » La parfaite union de l'Église, non plus que sa paix souveraine, n'est point de la terre; nous sommes ici-bas dans la demeure des hommes et non dans celle des anges. Y poursuivre l'union parfaite, c'est une erreur de l'Église romaine, erreur qui, remontant aux premiers siècles de l'Église chrétienne, se montre continuellement dans son histoire par l'apparition de nouvelles

sectes.

Qu'après cela, on reproche au protestantisme ses divisions, Jurieu les reconnaît; mais il oblige aussitôt son adversaire à se rappeler qu'il y en avait aussi dans l'Église primitive. Qu'on reproche donc tant qu'on voudra au protestantisme les sectes qui sont sorties de son sein, il y verra, lui, son apologiste, une preuve de plus de la sainteté et de la vérité de la Réformation, car, puisqu'elles en sont sorties, on ne peut avec justice les en faire des membres. Elles ne lui appartiennent pas plus en propre que les sectes des trois premiers siècles ne sont comptées comme des membres de l'Église primitive. Au surplus, il y a une si parfaite conformité entre la première naissance du christianisme et sa seconde naissance au seizième siècle : conformité « dans leurs premiers ouvriers et disciples pour la plupart sans science, sans caractère, sans appui et sans distinction; » et conformité dans les oppositions qui leur ont été faites, les calomnies dont on les a poursuivis, les persécutions qu'ils subirent et les prétendues abominations qui leur furent imputées, que cette conformité même montre avec évidence « que c'est le même esprit qui a combattu autrefois les chrétiens, qui nous combat encore aujourd'hui. » Tellement que loin de « former un préjugé contre nous, les sectes en forment un pour nous. »

V. De la défense du protestantisme au point de vue des divisions, Jurieu passe à l'attaque de l'Église romaine au même point de vue. Chez elle, l'union de ses membres entre eux consiste en leur adhésion aveugle ou passive et leur adhérence extérieure au Saint-Siège. A côté de cela, ils ont liberté complète

d'opinion; permission de douter de tout. Aux réformateurs euxmêmes, elle aurait tout accordé et tout permis, s'ils avaient consenti à flatter le pape en le reconnaissant pour chef spirituel et temporel de l'Église. «Par cette voie, nous pourrions aussi nous vanter d'être unis; car nous avons un principe dont nous, protestants, nous convenons tous, et auquel nous sommes inséparablement attachés. L'Église romaine tient au pape comme juge des controverses; nous tenons à l'Écriture à laquelle nous donnons le même nom. C'est là le centre de notre unité et le lien de notre union. » Mais ce principe n'empêche pas que les sentiments ne soient partagés parmi nous sur des choses plus ou moins essentielles. En est-il donc autrement dans le catholicisme, au milieu même de cette uniformité de culte qui rend, dit-on, « sa face si belle et si semblable à elle-même en tout lieu? >> Bien aveugle quiconque le croirait! En effet, Rome ellemême n'exige partout ni l'uniformité du culte, ni même celle des dogmes; la comparaison de l'Église d'Abyssinie avec l'Église latine en donne la preuve. Et, en fait de divisions, en est-il une, chez les protestants, pareille à celle qui divise les Scotistes, les Thomistes anciens et nouveaux, ou à celle des Franciscains et des Dominicains sur l'Immaculée Conception? Question sur

laquelle les papes ont évité, durant plus de trois siècles, de se prononcer. Y a-t-il des « partis entre les protestants qui soient plus différents les uns des autres, que les Maronites du Mont Liban le sont de l'Église romaine? » ou des querelles mettant en question les fondements même de la religion chrétienne et les bases de toute morale, comme celles entre Jansenistes et Casuistes? En résumé, l'unité du papisme consiste, pour ses docteurs, dans la commune foi de ses membres à l'infaillibilité du pape, à sa supériorité sur les conciles, à ses droits sur les évêques. C'est de là que dépend la subsistance même de l'Église romaine. » Eh bien! sur ce point capital pour elle, sur cet important article, on se bat cruellement dans son sein; elle est divisée contre elle-même. C'est là, « en abrégé, l'état et la face de cette église qui nous reproche nos divisions. »

VI. Mais après nos divisions, ce sont nos fanatiques qu'on nous reproche encore. Ici Jurieu est remarquable de force dans sa raison. Il avoue que le protestantisme a eu ses enthousiastes, ses écervelés, ses fanatiques même, mais il affirme que leur nombre est relativement petit, comparé à celui des fanatiques du catholicisme romain auquel il renvoie, comme à son origine,

la secte des Libertins de Flandre, par exemple, secte déjà si active quand le calvinisme en 1540 est encore si faible dans cette province, et avec les Libertins, tant d'autres écervelés, élevés dans l'Église romaine, sortis de ses écoles, et dont il cite les noms et fait l'histoire. De ceux-là, la Réformation est si peu la mère que Luther et Mélanchthon aussi bien que Calvin, les ont combattus à outrance. N'y a-t-il pas d'ailleurs plus d'apparence que cette espèce de fanatisme sorte de l'Église romaine qui croit aux miracles de ses moines, aux révélations de ses nonnes, et aux ravissements de ses ermites et de ses saints, qui a ses flagellants, ses beggards, ses mystiques, que du calvinisme qui, au contraire, lui est opposé par le fait même qu'il nie ces miracles, méprise ces visions et condamne l'enthousiasme susperstitieux; toutes choses où il ne voit « que fourberies des hommes ou illusions de l'esprit malin? >>

Ayant ainsi renvoyé à Maimbourg et à son Église les accusations de division, et de fanatisme qu'il a eu la maladresse d'élever contre les calvinistes et les zwingliens, Jurieu revient à son apologie des Réformateurs, et s'arrête un instant à défendre Clément Marot, non point à cause de son importance parmi les réformés, car c'est « un homme auquel ils prennent assez peu d'intérêt, » mais à cause du bien qu'il a fait à beaucoup d'âmes par la traduction de 50 Psaumes. Maimbourg accuse ce poète d'avoir été fouetté à Genève, pour mauvaises mœurs. C'est une fausseté, lui répond Jurieu. Les registres de la ville où le fait se serait passé n'en parlent absolument pas. Mais ce qui est vrai, c'est que Marot « était un poète, et un poète de cour; et que ce caractère est à peu près incompatible avec le grand mérite. La poésie amollit les âmes, et les poésies de cour ont pour but de flatter et d'embraser des passions impures. Les occupations de ce genre sont opposées à l'esprit du christianisme. On peut compter les poètes de cour entre les ministres des voluptés, caractère qui est odieux dans l'Église. » Marot, l'un de ces poètes, n'était pourtant pas un des pires: « C'était un esprit libre et, si l'on veut, libertin, qui s'était nourri de vanité dans une cour souverainement corrompue. » Jurieu fait ici de cette cour de François Ier un tableau réaliste en même temps que délicat pour l'époque, et dont il emprunte les traits les plus hardis à Brantôme. Puis, en regard de cette cour, considérant la conduite de Marot de qui elle fut l'école, et qui aurait pu être plus corrompu par elle, il affirme qu'il a été « sage en comparaison des autres, >>

« PreviousContinue »