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APOLOGIE

POUR LES RÉFORMATEURS, POUR LA RÉFORMATION ET POUR LES

RÉFORMÉS

CONTRE UN LIBELLE INTITULÉ

L'HISTOIRE DU CALVINISME

Après l'esquisse un peu longue et pourtant bien incomplète que nous venons de tracer de la vie de Jurieu, esquisse trop défectueuse pour que nous n'en sentions pas l'insuffisance, il nous est impossible de partager l'opinion de M. Weiss que « Jurieu ne doit sa célébrité qu'au souvenir de ses querelles, et que ses nombreux ouvrages sont depuis longtemps tombés dans l'oubli1. >> Nous croyons au contraire avoir montré que ces querelles sont loin d'avoir fait toute sa célébrité; et nous voudrions maintenant, par une étude spéciale d'un de ses ouvrages, juger s'il mérite d'être laissé dans l'oubli au milieu des enquêtes de tous genres que fait notre siècle sur ceux qui l'ont précédé. Dans cet immense champ de l'histoire, il est un point visité par les catholiques aussi souvent au moins que par les protestants. Si ceux-ci étudient dans Bossuet le grand écrivain français et le grand orateur sacré, ceux-là y cherchent encore plus le célèbre défenseur du catholicisme. Or il nous semble que pour comprendre maintenant le temps de Bossuet, cette grande époque de la controverse entre les catholiques et les protestants, et la mettre dans son vrai jour, il ne faut ni oublier ni négliger P. Jurieu. Nous espérons justifier cette opinion en analysant son Apologie

Fin de l'article P. Jurieu, dans la Biographie universelle.

des réformateurs, de la Réformation et des réformés dans son Histoire du Calvinisme et celle du papisme mises en parallèle1.

1 Cet ouvrage a paru pour la première fois à Rotterdam en deux volumes in-4°, 1683. Une note que nous devons à l'obligeance de M. Philippe Roget, de la Bibliothèque publique de Genève, nous permet de rectifier une indication de la France protestante qui pourrait faire croire que l'ouvrage aurait paru à Villefranche en 1682, la même année donc que la Critique générale de Bayle. Le nouveau catalogue de la Bibliothèque de Genève, n'en fait aucune mention, et il se trouve que les volumes indiqués dans la première édition de ce catalogue comme étant de Jurieu, ne sont autres que des exemplaires même de l'ouvrage de Bayle, ouvrage que son anonyme et sa réputation avaient un moment permis, du vivant même de son auteur, d'attribuer à la plume de Jurieu.

PREMIÈRE PARTIE

Défense de la vie, des mœurs et de la doctrine des
Réformateurs.

Dans une Préface assez étendue, sans être trop longue pour la grandeur du sujet, l'auteur se place d'emblée au point de vue le plus élevé : « Il faut savoir quelle est la vraie religion. » L'importance même de la cause qu'il va défendre devra justifier le nombre des faits invoqués dans son ouvrage et en excusera la longueur, même dans un temps où l'on n'aime pas les livres <«< qui vont au delà de cinq ou six feuilles. » Dans celui auquel Jurieu va répondre, l'Histoire du Calvinisme par Maimbourg, « l'Église romaine accuse la religion protestante de s'être établie par le fer, par le feu et par toutes sortes de violences. » Or, comme la religion de Jésus-Christ << a de l'horreur pour l'effusion du sang, » cette accusation, si elle était fondée en fait, prouverait que le protestantisme n'est pas la vraie religion. Mais le fait de l'accusation est-il établi? Voilà la question qui est posée.

<< Tout le monde » s'acharne à ridiculiser le calvinisme; ici c'est le prêtre Soulier, là un janséniste plagiaire. L'auteur doit donc prendre sa défense. Il le doit, lui, qui n'est pas en prison comme tant d'autres protestants, mais à l'étranger; il le doit parce que de France, où il n'est plus permis à ceux de son église de parler et d'écrire, on s'est adressé à lui pour le faire. Il se dévoue, et si, dans l'accomplissement de sa tâche, il se laisse quelquefois prendre d'indignation, c'est qu'il sait que son livre sera brûlé. Cependant, il ne proteste pas moins de son respect pour le roi et pour les catholiques professants; et ce n'est qu'après cela qu'il se permet de caractériser les procédés de

discussion du sieur Maimbourg, son adversaire affirmations fausses, passages omis, mutilation des textes; méthode qui est une véritable lâcheté d'auteur.

Après cette longue préface, vient une lettre plus longue encore sur le caractère du jésuite Maimbourg où Jurieu dégage le but polémique de son Histoire du calvinisme, rélève les flatteries qu'il adresse au roi, son rôle de prédicateur comédien, d'exégète frivole, autant de traits qui, de prime abord, le rendent suspect et en font un méchant historien. Il dénonce la violence. déclamatoire de son antagoniste qui est sans jugement et sans bonne foi, amateur de miracles et de légendes, et d'une ignorance qui dépasse toutes les bornes, par exemple, dans ce qu'il dit des iconoclastes dont il essaie de faire les aïeux des calvinistes. Sur ce point, Jurieu montre une science consommée, une profonde connaissance des Pères et de l'histoire de l'Église d'Orient. Mais il s'arrête bientôt en remarquant que Maimbourg n'a accumulé, à propos du calvinisme, tant de détails étrangers au calvinisme, que pour grossir son volume; et il quitte ce sujet, hors-d'œuvre, après une comparaison calme et reposante entre la conduite du rebelle Artabaze l'iconolâtre « qui ne fut pas longtemps heureux, quoiqu'il fût très catholique, » et celle des loyaux réformés, des Condé et des Coligny, aux intentions si droites et si pures. Il oppose les massacres accomplis par les iconolâtres, leur cruauté envers leurs empereurs même, aux prétendus excès qu'on impute aux calvinistes. Il ne sait voir enfin en son adversaire ni un gallican, ni un ultramontain, et l'estime peu judicieux de vouloir tant brusquer la conversion des protestants, lui, en qui ses propres paroles dénoncent le moine de cour, le flatteur sans bonne foi, le religieux mondain qui penche vers l'autorité royale et se met en guerre avec l'infaillibilité papale, inconséquent comme un courtisan, et dont <«<le libelle contre les calvinistes n'est qu'un moyen de flatter le roi et de les préparer eux-mêmes à une entière et absolue révocation de l'édit de Nantes. » Jurieu le dit en tout autant de lettres, et cela en 1683, deux ans avant l'édit de révocation.

Après quelque hésitation sur le titre qu'il doit donner à son adversaire, puisque celui-ci n'est plus ni jésuite, ni abbé, ni père, ni séculier, ni religieux, Jurieu se décide à l'appeler Monsieur, et il aborde véritablement son sujet : « la Défense de la vie, des mœurs et de la doctrine des Réformateurs. »

I. Il fait d'abord le portrait de Zwingle en parallèle avec ce

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