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Éprouve-t-il un échec, tant mieux ! Une disgrâce, Dieu soit béni! Le bourgeois de Paris est un invulnérable, pour qui les pavés se capitonneraient d'euxmêmes s'il tombait du haut de l'Arc de triomphe. Ce qui le sauve de tout mal, c'est qu'avec sa nature d'optimiste flâneur, amateur et baguenaudier, il trouve du bonheur à nier le plaisir qui lui échappe et s'écrie naïvement: «< Ils sont trop verts! » devant les hautes treilles qui défient les bonds des vieux renards.

Deux petites anecdotes, s'il vous plaît.

Dans le grand salon de la rue Rivoli, au beau temps où le Constitutionnel publiait les Mémoires de l'illustre docteur, trois petites colonnettes d'or, valant mille francs chacune, pyramidaient tous les dimanches sur la cheminée. Et si quelque visiteur ébloui risquait une œillade du côté des colonnettes :

« Ne faites pas attention, je viens de toucher ma semaine,» disait négligemment le docteur.

Trois mille francs par semaine, douze mille francs par mois! Oui, ceci est historique, et je vous jure qu'il n'y a pas de quoi rire; le docteur Véron était payé, en ce moment, au prix de Sainte-Beuve : cinq cents francs le feuilleton.

Quand il eut quitté pour jamais le Constitutionnel, on s'imagina bonnement que le joyeux docteur était tombé dans le marasme. Charles Monselet, ayant bien dîné, eut la vertueuse pensée d'aller consoler le solitaire. Il sonne, la porte s'ouvre le bourgeois de

Paris jouait paisiblement au domino avec Sophie, sa gouvernante. Et le grand salon était illuminé comme pour une fête princière !

Monselet, en sortant, fit porter au docteur un bouquet de violettes. L'homme heureux ne comprit rien au bouquet.

UNE VESTALE LITTÉRAIRE

UAND Mme d'Arbouville mourut, on sut par ses amis que Mme d'Arbouville avait écrit quelque chose et que cela s'imprimai sur très-beau papier. A ce

bruit de salon, le public lettré retourna la tête il fallut présenter Mme d'Arbouville au public. Pour que cette cérémonie se fit décemment, on eut l'heureuse idée d'en confier tout le détail à un ancien ambassadeur, un académicien, un homme du grand monde qui avait cultivé les lettres, sans trop communiquer avec les gens du métier. M. de Barante, dans une courte introduction, donna d'un ton détaché quelques maigres renseignements sur l'œuvre et sur l'auteur; puis il ferma la porte au. nez de ceux qui auraient voulu en savoir plus qu'il n'en voulait dire. Sophie de Bazancourt, qui était à vingt ans Mme d'Arbouville, avait été élevée dans le salon de

Mme d'Houdetot, sa grand'mère. « Elle fut aussi l'enfant de la maison chez Mme de la Briche et Mme Molé; elle vivait au milieu d'une société qui conservait les goûts et les manières du grand monde d'autrefois, en même temps qu'elle réunissait les hommes distingués d'une génération nouvelle. »

Quand elle se mit à écrire, ce fut pour ellemême :

« A peine cherchait-elle les suffrages de ses amis. Quelques poésies furent toutefois imprimées et distribuées exclusivement dans sa famille. Plus tard, pour concourir à une œuvre charitable, elle consentit à laisser imprimer plusieurs nouvelles dont on avait beaucoup parlé dans le monde où elle vivait... » Bref, les revues et les journaux ayant reproduit quelquesunes de ses nouvelles, on se détermina à joindre les écrits qui n'étaient pas publiés à ceux qui étaient déjà connus. Tout cela, prose et vers, forma un beau volume, le volume unique des écrivains timorés ou dédaigneux!

Les poésies de Mme d'Arbouville scintillent comme des reflets d'étoiles dans un vivier. Est-ce de la romance ennoblie ou de l'élégie négligée ? Ceci tient le milieu entre le joli vers et le beau vers; on ne trouverait, j'en suis sûr, rien d'aussi parfait dans un album.

Mme d'Arbouville a goûté avec charme aux rêveries et aux sensations de Lamartine, d'Alfred de Vigny,

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