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dans cette France indécise, déconcertée, aussi inquiète que distraite, et qui, dès qu'on l'interroge, répond à la fois oui et non, et quelquefois se détourne en silence, par lassitude ou dédain. Vous êtes évidemment l'enfant gâté des classes d'élite, s'il reste encore une élite du pays qui applaudisse aux belles choses de l'esprit; et je suis sûr que vous avez pénétré (je le dis sans horreur) jusqu'à ces nouvelles couches sociales qui ont causé tant d'insomnies à nos députés antédiluviens. Pour vous, la sympathie s'est faite admiration, et quiconque vous admire, vous aime... Est-il, dans le monde des lettres, une plus enviable destinée ?

Cependant M. Alphonse Daudet fronce le sourcil. « J'ai fasciné, se dit-il, le public en liberté mais je voudrais affronter le public en cage... Oui, je descendrai, en dompteur, dans la cage du public!» Il y a des périls héroïques, et des imaginations vaillantes. Mais quelle vague terreur plane sur ces immenses cages à compartiments qu'on appelle des théâtres! Ce fut dans un théâtre clos et couvert, et non sous la voûte des cieux, que fut accompli le meurtre d'Orphée. D'où sortirent les Ménades qui lui portèrent les premiers coups de griffe, et qui finirent par danser sur son cadavre? D'une petite avant-scène des premières : tous les historiens sont d'accord, là-dessus, avec les martyrs de l'art dramatique.

L'auteur du Sacrifice et de l'Arlésienne est entré sans peur dans l'arène où les bêtes fauves rampent

devant M. Sardou. Il en est sorti vivant et respecté : c'est bien quelque chose. Avec ses façons nouvelles d'aborder les monstres, il pouvait être dévoré, impitoyablement. Le public en cage s'est contenté de gronder parce qu'il n'a pas très-bien compris.

L'Arlésienne, à mon sens, était un essai plein d'originalité; quelque chose comme une idylle homérique d'où se détachait un drame poignant. Et l'idylle se déployait dans un magnifique paysage, aux sons d'une musique enchanteresse! Tout cela, peine perdue; la triple séduction a échoué, mais glorieusement. Que de cœurs touchés, que d'esprits ravis qui n'oublieront jamais (ils s'en vantent) les représentations de l'Arlésienne! Ceux-là supplieront, s'il le faut, M. Alphonse Daudet, de ne pas renoncer au théâtre. Et puisqu'il n'a pas encore eu le sort d'Orphée, c'est que probablement le public en cage doit tomber un jour sous le charme comme le public en liberté. Il y a certainement une magie dramatique; l'Arlésienne n'a peutêtre échoué que par une erreur de magie. « Trop de musique, disait le public, et trop de peinture! » N'y avait-il pas aussi trop de vie pastorale à l'état flottant, trop de poésie élémentaire à l'état vaporeux, c'est-àdire, en un mot, trop de lointain pour des Français de 1872?

Et puis, ils voulaient voir l'Arlésienne, cette fille d'où venait tout le mal, d'où partait tout l'intérêt du drame, et qu'une exquise pudeur d'artiste retenait obsti

nément hors de la scène! Pourquoi leur cacher cette Arlésienne? Ils l'auraient redemandée.

L'Arlésienne serait un admirable Conte du Lundi, me dit-on. Oui, mais dans tous les Contes du Lundi je trouve justement les qualités particulières qui font le succès au théâtre : l'invention de l'idée et du sujet, le choix et la disposition des personnages, le dessin net et franc de la scène, l'Euréka ponctuel et soudain de la situation. Quelqu'un, ami ou ennemi, seraitil par hasard en peine du style? Regardez cette phrase du conteur, vive, chaude et brillante : n'estelle pas aussi propre aux fusées du dialogue qu'au bouquet épanoui de la tirade?

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Allons, décidément, ceux qui parlent nègre ou charlatan sur les planches ne nous empêcheront pas d'entendre retentir au théâtre, un de ces jours, la belle langue française, elliptique et pathétique, de M. Alphonse Daudet.

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WHAT IS HE?

FABLIAU.

E Paris à Versailles, et de Versailles à Paris, en chemin de fer, à pied, même en fiacre, va et vient comme une âme en peine un mélancolique et long personnage qui semble espérer quelque chose et attendre quelqu'un.

Les Anglais qui le rencontrent se demandent : «What is he?» c'est-à-dire en bon français : « Qui est-il ? »>

Mes renseignements (car j'en ai) me permettent d'affirmer qu'il s'appelle Arthur; ce qui était un bien joli prénom du temps que la reine Berthe filait. Si vous êtes curieux d'autres détails, lisez le présent fabliau qui, à dire vrai, n'est qu'une historiette détachée de l'histoire contemporaine.

Donc il s'appelle Arthur! c'est un gentilhomme un peu clerc, sachant écrire couramment, et faisant d'ailleurs profession d'écrire. On assure qu'il a eu jadis, par pure précaution, quatre belles plumes de re

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