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se plaint de son sort, c'est presque toujours en berçant sa souffrance comme on berce un enfant, d'un mouve ment lent et doux qu'accompagne une douce chanson. Le secret de sa résignation est dans ce beau vers qui résume toute la philosophie du poëte :

Mon âme paresseuse aime la destinée.

Ames dévorées du besoin de dominer et d'agir, quoique mal douées pour l'action et pour la puissance, âmes d'envieux et de mécontents, inclinez-vous devant cette belle âme paresseuse : elle mérite sympathie et respect, car la paresse n'est ici qu'une grande douleur qui a la vertu de chanter et le courage de sourire.

ALPHONSE DAUDET

ous êtes-vous jamais figuré un enfant de troupe officier de la Légion d'honneur, ou un prince de seize ans colonel? Tel fut, à ses débuts dans les lettres, le jeune Alphonse Daudet.

Heureuse et périlleuse destinée! Le succès est si doux à la jeunesse qu'elle n'entrevoit, pas même en songe, l'ombre d'un accident glorieux. En voyant le public, tout le public, attelé à son triomphe, Alphonse Daudet fut sans doute ébloui, peut-être effaré. Mais avec le premier éblouissement, il eut un de ces rouges éclairs qui font reculer le vertige: éclair de défiance, vision de salut.

Oh! l'abîme, l'abîme! Ses yeux palpitaient, sa main tremblait, il aurait voulu dételer son public. Quand les jeunes triomphateurs ont de ces beaux effrois qui sont le réveil de la sagesse, on n'hésite certes pas à saluer en eux ce qu'il y a de puissant et de charmant,

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d'héroïque et de raisonnable, de magique et de réel dans le succès.

La magie, la magie! Arrêtons-nous à ce mot qui résume tout, comprend tout, explique tout. La magie du succès, la magie du talent, quel mystère! Et pourtant, aux yeux du premier venu, ce mystère est aussi clair que le jour. Donc, je me hâte de le dire, c'est un grand magicien que M. Alphonse Daudet.

Pour définir son succès aussi bien que son talent, je n'éprouve aucun besoin de rechercher avec méthode ni le milieu où il a vécu, ni le milieu où il vivra : ce sont là jeux d'homme grave et gentillesses de pédant; non, non, une simple petite phrase me suffira, un cri de lecteur-juré qui manifeste sa sensation : Contes du Lundi sont magiquement vrais. >>

<< Les

Vérité magique, réalité magique, vous êtes, dans tous les arts, la seule vérité, l'unique réalité! Les mots sur le papier, les couleurs sur la toile, ont pour nous des vertus magiques, ou bien ils restent aussi impuissants à créer l'illusion de la vie, à détacher la réalité du réel qu'à représenter un brin d'herbe ou un caillou. «Faites-vous toujours du persil? » demandait malicieusement un peintre-philosophe à un simple paysagiste. Celui-ci se fâcha tout rouge; il se croyait insulté, il n'était que défini. Si je le rencontre jamais, je le consolerai de cette définition en lui expliquant avec prudence comment elle s'adapte aux écrivains plus justement peut-être qu'aux artistes. Poëtes ou

romanciers, historiens ou auteurs dramatiques, ah! que de faiseurs de persil parmi nous! On ne mettrait pas dix minutes à compter nos magiciens.

Il y a pourtant magie et magie. Je ne confonds pas les escamoteurs ou prestidigitateurs avec les enchanteurs. La vérité magique n'a rien de commun avec la fantasmagorie. Elle est, dans tous les arts, la conquête et le prix, gloire et la volupté de l'imagination. C'est par l'imagination qu'on la saisit et qu'on l'enlève, c'est par l'imagination qu'on la répand en lumière vibrante autour de soi. Demandez donc à M. Alphonse Daudet s'il ne se sent pas avant tout un homme d'imagination.

Dans les intelligences les mieux douées, l'imagination a ses impatiences, ses pétulances, ses flots de sensibilité et de gaieté, son intarissable babil coupé des plus jolis rires et des plus jolis sanglots. Ces délicieux enfantillages, ou plutôt, comme dit Montaigne, ces enfances séduisantes du talent, M. Alphonse Daudet les a prodiguées, comme des semences printanières, à tous les souffles d'avril, et je ne crois pas qu'il ait aujourd'hui à renier ou à regretter ces enfances. Il scandait alors des vers légers et tendres, familiers et élégants; il entrait avec un ami au théâtre de la jeunesse pour essayer les masques, pour toucher aux costumes et aux décors, pour escarmoucher avec le public avant de lui livrer bataille; enfin, il se risquait, les cheveux dénoués, l'esprit sur les lèvres, dans tous

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