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sonnelle au sein même de la fatalité poétique; ainsi, cette communion renouvelée de l'esprit moderne avec une multitude d'esprits élevés de tous les temps et de tous les pays; ainsi, ces voyages inquiets de la pensée au désert des Pères de l'Église, à la solitude austère et mondaine de Port-Royal, aux petites chapelles doctrinaire, saint-simonienne, radicale, et, d'un autre côté, aux plaines crayeuses de Montrouge, aux fourmilières populaires des faubourgs de Paris, à quelque vallée lointaine et inconnue dont nulle imagination n'a interprété la beauté sommeillante. Homo duplex, homo duplex!

J'ai déjà dit que l'auteur des Poésies de Joseph Delorme s'était donné d'abord pour un fils de René, un frère ou cousin de Werther, d'Adolphe, d'Oberman. Il faut ajouter à ces titres de famille une parenté directe avec Montaigne, dont il a hérité la nature ondoyante, et l'insatiable curiosité, qui d'ailleurs s'est étrangement enfiévrée, en passant du xvie siècle au XIXe.

On se souviendra peut-être de ce fragment des Pensées d'Août, adressé à l'abbé Eustache B..., où le poëte se caractérise lui-même :

Je vais donc et j'essaie, et le but me déjoue,
Et je reprends toujours, et toujours, je l'avoue,
Il me plaît de reprendre et de tenter ailleurs,
Et de sonder au fond, même au prix des douleurs ;
D'errer et de muer en mes métamorphoses;

De savoir plus au long, plus d'hommes et de choses,
Dassé-je au bout de tout ne trouver presque rien :
C'est mon mal et ma peine, et mon charme aussi bien.
Pardonne, je m'en plains, souvent je m'en dévore,

Et j'en veux mal guérir... plus tard, plus tard encore !

On peut lui prédire qu'il n'en guérira jamais! C'est au fond la maladie et la faculté de notre temps. Par cette inexorable inquiétude de l'esprit, toujours étudiant à travers ses passions, toujours analysant à travers ses élans, toujours croyant à travers ses doutes, et toujours enthousiaste malgré ses langueurs, l'auteur des Poésies de Joseph Delorme, et par suite l'auteur des Consolations ou des Pensées d'Août, a réalisé bien plus complétement qu'Alfred de Musset le type de L'ENFANT DU SIÈCLE.

Les confessions publiques de ce véritable Enfant du siècle (ses trois volumes de poésies) ont été entendues de la génération romantique aussi bien que de la nôtre. Les aînés et les cadets, les pères et les fils, et même les petits-neveux en ont largement profité. Sans les pièces familières et toujours lyriques pourtant de cet étrange Joseph Delorme, qui sait si Lamartine n'aurait pas écrit un Jocelyn trop solennel? Et les sonnets de Joseph, si concentrés et si souples, si remplis et si fins, croit-on qu'ils aient été inutiles à Barbier, à Brizeux, à Musset, à Baudelaire qui a trouvé peut-être dans l'admirable pièce intitulée la Veillée, ou dans les sataniques vers du Rendez-vous, la monade

de ses Fleurs du mal? Poëtes et prosateurs, nous devons tous quelque chose, en ce temps-ci, au plus inquiet et au plus actif de nos ancêtres contemporains, à cet irritant, à ce charmant, à ce puissant SainteBeuve.

Les étrangers qui s'intéressent à notre littérature moderne ne la connaissent que par lui: Anglais et Allemands, Russes et Italiens le prennent pour guide

travers la France littéraire de ce siècle. J'ai entendu pourtant un mot bien cruel de Thackeray sur notre poëte critique: « Votre Sainte-Beuve, disait-il, est un grand homme (great man); mais il n'a jamais pu écrire comme nous pendons, HAUT ET COURT! »

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prêtres.
sous le singe.

chez un libraire.

Gozlan et Mme Dubarry.

La commode à soupape.

aux manuscrits et le tiroir à l'argent.

L'homme

Petite scène

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EN DANT que j'assistais, l'autre soir, en plein Théâtre-Français, à une reprise de cette spirituelle petite pièce, la Tempête dans un verre d'eau, une illusion singu

lière est venue tout à coup me détacher du spectacle. Derrière les clartés de la rampe qui n'éclairait plus qu'un fond vaporeux où s'étaient évanouis la pièce et les acteurs, Léon Gozlan m'est apparu, tel que je l'ai vu cent fois de son vivant, dans les petits journaux, dans les revues, dans les foyers de théâtre. Ai-je bien compris le sens de cette apparition? Il

m'a semblé qu'avec ses yeux de l'autre monde obstinément fixés sur les miens, Léon Gozlan me commandait d'écrire ce que je sais de sa vie et de son esprit. Si le vœu d'un mourant est sacré, comment résister au vœu d'un mort? J'évoque mes souvenirs : j'obéis.

Léon Gozlan a toujours été de son vivant un personnage énigmatique vingt-quatre heures après sa mort, il était devenu un personnage légendaire. Recueillons d'abord la légende, nous ferons ensuite son histoire.

Il est né, dit-on, à Marseille.

Mais son nom, aussi singulier que celui de Z. Marcas, ne rappelle en rien la triple origine de ses compatriotes. Ni Grec, ni Romain, ni Gaulois, il a un faux air oriental et africain, comme son masque qui était celui d'un juif, comme son teint olivâtre qui était celui d'un More. De nom et de figure, ce prétendu Marseillais pourrait donc passer pour un juif barbaresque, pour un arrière-cousin d'Othello: Marseille et Venise sont

sœurs.

Quelle est l'année de sa naissance, 1806, 1803, 1799? Rêvez, conjecturez, choisissez : il plaît à la légende que Léon Gozlan, qui dissimulait son âge, ait été bercé sur le seuil du XIXe siècle, par la main défaillante du xviii.

Comment s'est passée son enfance? autour d'une église ou d'une synagogue? L'a-t-on baptisé, l'a-t-on

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