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Pour moi, je ne fais que résumer ici une impression. Gérard de Nerval est très-certainement un voyageur avant d'être un auteur de voyages. Il nous avertit lui-même qu'il a « l'estomac d'un Lapithe et les jambes d'un Centaure. » Il ne voyage pas pour écrire, il s'en va naïvement au pays de ses rêves, afin de comparer les visions avec la vérité toute nue. Ses déceptions, il ne les cache pas; ses bonnes fortunes, il les avoue. Il prend d'ailleurs un excellent moyen de saisir en tout pays le caractère exact des hommes et des choses. A peine débarqué, il accroche au consulat ses préjugés de Français et d'Européen. Le voilà devenu en un clin d'œil raïa ou fellah, effendi, bey, émir.

Il se mêle surtout aux classes populaires, qui gardent le plus longtemps l'esprit d'une nation. C'est là qu'il étudie les mœurs, l'activité matérielle et intelligente, le jeu des passions, et parmi les passions, la plus belle et la plus horrible, l'amour!

Pour apprendre sûrement comment on aime en Égypte et en Syrie, il tombe amoureux fort à point d'une femme du Caire et d'une fille du Liban; il devient, comme Rétif de la Bretonne, l'acteur improvisé du drame qu'il veut connaître. C'est un spectateur du parterre qui saute par-dessus la rampe et monte sur la scène avec les comédiens.

Quoi qu'il fasse pourtant, quand une image de la patrie vient le frapper, l'âme du Français se réveille. L'émotion le saisit, par exemple, et l'enlève quand il

entend tout à coup nommer le général « qui prenait son café avec du sucre, et retentir en face des pyramides le Ya salam, Buonaberti! (je te salue, Bonaparte). >>

En toute occasion, c'est un fils de l'Orient, un disciple de Mahomet, un comte de Bonneval littéraire. Ses aventures, qui sont de vrais romans, ont tout le reflet du soleil et du pays qu'il admire. Nulle précipitation et nulle emphase. C'est un conteur sûr de ses contes, et qui ne se presse pas de les dire, parce qu'il sait que nous l'écoutons sans qu'il ait besoin de nous enfoncer des épingles dans le dos pour réveiller notre attention.

Je n'ajoute plus rien qu'un souvenir personnel.

« Vous avez parlé de moi comme si j'étais mort, »> me dit Gérard de Nerval, un jour qu'il me remerciait de je ne sais plus quel article de journal où j'avais loué ses Voyages.

En me disant ces mots, il me donna, comme un signe d'amitié mystique et d'union spirituelle, une fleur de glaïeul qu'il tenait à la main. J'ai respiré aujourd'hui cette fleur symbolique entre deux feuillets du livre de Sylvie, et il m'a semblé que Gérard, l'âme de Gérard, me disait tout bas :

« Vous avez parlé de moi comme si j'étais vivant! »

GUSTAVE PLANCHE

'AI entendu plusieurs fois Gustave Planche causer, et j'entends encore l'aigre fausset de sa voix de paon. Quelque temps avant sa mort, il soutenait dans les cafés qu'il n'y avait plus de bonnes plumes, ni de bonne table à écrire, ni de bonne encre, ni de bon papier. Toutes ces lamentations comiques voulaient dire qu'il n'y avait plus de Gustave Planche. D'où venait la décadence de cet esprit futile et lourd ?

En relisant d'anciens articles de la Revue des Deux Mondes, je crois avoir trouvé le mot de l'énigme : le croquemitaine de l'illustre revue était par tempérament un homme d'opposition; il ne pouvait faire et il n'a jamais fait, dans les lettres, que de l'opposition.

D'autres critiques sont nés avec l'instinct de la louange. Ce sont d'aimables optimistes qui ont les mêmes tendresses pour le neuf et pour le vieux, pour l'original et la copie, pour la niaiserie prévue et pour

l'imprévu sublime. Abeilles sans aiguillon et presque sans bourdonnement, on les voit de tous côtés butiner et se délecter avec la plus insouciante et la plus banale gourmandise.

Les vocations littéraires sont fatales: Gustave Planche fut doué en naissant de l'esprit d'opposition.

Cet esprit-là, selon les temps et les hommes, est une puissance ou un ridicule. Ceux qui en sont possédés ont grand besoin d'imagination car ils plaident pour l'idéal contre le fait; et grand besoin de raison car en sacrifiant ce qui est au perpétuel devenir, comme disent les Prussiens, ils risquent le plus souvent de passer pour des fous.

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