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gothiques de certains poëtes gentilshommes. Et s'il a ému tant de cœurs, et s'il a déridé tant de fronts, c'est qu'avec l'accent de la gloire et du plaisir, il avait aussi l'accent de la justice et de la fraternité. Béranger, comme tous les chansonniers, fut un épicurien, sans doute, mais un épicurien de ce grand banquet où, la main dans la main, et levant leurs verres, les gueux, les bohémiens, les contrebandiers, tous les fiers parias d'une civilisation réglée, peuvent ironiquement chanter leurs joies, peuvent dédaigneusement épancher leurs tristesses.

AUGUSTE BRIZEUX

ET

FRÉDÉRIC MISTRAL

B

RIZEUX, Mistral! Ces deux noms se rapprochent d'eux-mêmes. On ne peut parler de l'auteur de Mireille, sans songer à auteur de Marie. Parlons d'abord de Brizeux.

I

Dans un espace de vingt-sept ans (c'est ce qui l'a distingué, mais isolé), de 1831 à 1858, Auguste Brizeux, toujours fidèle à la poésie, n'a pas daigné offrir au public une page de vile prose; il reste le seul, parmi les poëtes contemporains, qui n'ait point demandé le succès ou la gloire au roman, au théâtre,

au journal, à l'histoire, à la critique, à la politique. Né pour chanter dans la langue des dieux, il refusa obstinément de parler dans la langue des hommes. Craignait-il de déroger ou de faillir? obéissait-il à un sentiment d'orgueil olympien? ou quelque défaut angélique le tenait-il malgré lui suspendu entre ciel et terre? On ne peut que soupçonner ses fiertés; on ne peut que deviner ses impuissances. Nous savons qu'il frémissait d'indignation, quand on osait comparer devant lui l'élément romanesque à l'élément poétique : c'était comme si on eût comparé le Berry, la Bourgogne, la Provence ou le Languedoc, à son incomparable, à sa divine Bretagne. L'Apollon celtique aurait volontiers écorché de ses mains tous les Marsyas du roman moderne. Brizeux, dans ses accès de misanthropie sacrée, devait regarder comme des impies, des apostats, des athées, des hommes raisonnables et pratiques, Lamartine, qui avait écrit les Girondins et Graziella, Alfred de Vigny, l'auteur de Chatterton, Alfred de Musset, le conteur de Frédéric et Bernerette, Sainte-Beuve enfin, le romancier de Volupté, le critique hebdomadaire du Constitutionnel, du Temps et du Moniteur. Pardonnait-il à son ami Victor de Laprade de n'avoir pas professé en vers dans sa chaire de Lyon? Aurait-il toléré, s'il les avait connues, les rares excursions de son ami Barbier dans le plat pays de la prose? Enfant révolté d'un siècle de prosateurs, Auguste Brizeux (et c'est là le trait original de sa phy

sionomie littéraire), le platonique amant de Marie et de la Fleur d'or, a gardé tout à la fois à son pays et à sa muse une inviolable fidélité d'esprit, une religieuse soumission de cœur. Gardons-nous d'expliquer trop vite, par des motifs purement humains, l'adorable mystère de cette poétique sainteté.

Julien-Auguste-Pélage Brizeux naquit à Lorient dans les premières années du siècle :

Dans notre Lorient tout est clair dès qu'on entre;
De la Porte de Ville on va droit jusqu'au centre :
Ainsi marchent ses fils au sentier du devoir.

Sa famille, originaire d'Irlande, s'était fixée, dit-on, en Bretagne à la suite de la révolution de 1688. Les Brizeux ou Brizeuk (Brizeuk signifie Breton, de Breiz, Bretagne) ne changèrent donc point de patrie en se dépaysant; car l'Arvor et l'Erin sont deux rameaux sacrés de la même souche celtique. A l'âge de huit ans, le jeune Auguste fut confié aux soins d'un bon curé de village, le recteur d'Arzanno, M. Lenir; il passa ensuite sous la direction de son grand-oncle, M. Sallentin, auprès duquel il termina ses études au collége d'Arras. Rentré à Lorient, il perdit chez un avoué deux belles années de jeunesse, et partit enfin, vers 1824, pour Paris, avec l'intention d'y faire son droit. Trois ans après, il donnait au Théâtre-Français une petite pièce anecdotique imitée d'Andrieux. Mais ce n'est qu'en 1831 que le nom de Brizeux commença

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