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Alfred de Musset est mort, et sa MORTE ne cherche plus à revivre, dans les splendides villas du lac Majeur, tandis que François-Auguste-Alexis Mignet presque octogénaire, passe encore, la jambe tendue, sur le quai Malaquais. Immortel, vous dis-je, et perpétuel !

Vous verrez qu'il aura le temps de terminer son Histoire de la Réforme, avant que M. Thiers n'ait terminé son Histoire de la gravure, et l'histoire de sa présidence. L'aimable M. Mignet, j'en suis sûr, ne s'embarquera pour l'autre monde qu'après avoir mis en voiture tous ses contemporains, sans excepter M. Thiers. Il prendra tranquillement le train de minuit quarante, le train des spectacles, comme s'il allait passer le dimanche à Pontoise, chez une vieille amie du bon Dieu.

Homme heureux, voici ton épitaphe anticipée :

<< Ci-gît un historien de cabinet qui ne porta jamais sa barbe entière, et n'écrivit jamais qu'en lunettes. Avec lui disparaît le genre de la notice académique, comme s'est éteinte avec M. Molé la tradition d'un autre genre littéraire bien regrettable, ce genre si français, le billet du matin! >>

A qui me reprocherait le ton léger de cet article, je répondrais sans le moindre embarras Est-ce que vous croyez qu'il m'eût été difficile de faire une étude carrée sur ces deux têtes académiques ? Ce qu'il m'a plu de voir et de peindre en ces hommes illustres,

c'est (qu'on me passe l'expression) UNE PAIRE D'AMIS.

Les renommées, politiques ou littéraires, ont leurs variations, d'âge en âge. Honneur, en définitive, à ces grandes amitiés dans ces hautes situations!

M. OU Mgr. DUPANLOUP

AUT-IL l'appeler Monseigneur ou Monsieur? Est-ce un prélat, est-ce un député? Est-ce un journaliste, est-ce un évêque?

On n'a jamais dit Monseigneur Veuillot, ni Sa Grandeur Chesnelong. Tout le monde comprendra mes perplexités : faut-il l'appeler Monsieur ou Monseigneur?

Journaliste et même pamphlétaire, évêque et député, gallican et romain, Monsieur ou Monseigneur Dupanloup (Félix-Antoine-Philibert) est un peu tout cela depuis un demi-siècle, successivement ou simultanément, selon le lieu et le milieu, selon les révolutions et les réactions, et surtout selon sa belle humeur guerroyante, qui est celle d'un vrai soldat.

Étrange soldat, cependant, avec sa capote violette, et sa croix en verrouil, et sa crosse en chassepot! On distingue en lui plusieurs personnages d'âge différent, condamnés à vivre ensemble, et qui ne se

font pas trop bonne mine. Il y a, d'un côté, l'ex-confesseur du duc de Bordeaux, et, de l'autre, l'ex-catéchiste des princes d'Orléans; il y a le confrère à l'Académie française du matérialiste Tissot, et le transfuge de l'Académie, depuis l'élection du positiviste Littré; il y a le gallican d'avant le concile, et le quasi-romain d'après, l'ancien professeur de Sorbonne, et peut-être le futur cardinal; il y a encore le prédicateur d'Orléans, le journaliste de Paris, et l'orateur politique de Versailles; il y a enfin un faux vieillard de soixante-douze ans, et un jeune homme colère de vingt ans. Entre des hommes si divers, je cherche vainement un lien, un modus vivendi, une espèce d'accord siamois. Au repos, ils semblent unis; à l'heure de la bataille, rupture. Plus de caractère: un tempérament!

C'est sans doute monsieur Dupanloup qui s'élance, et c'est probablement Monseigneur Dupanloup qui recule. Allons, la logique le veut; nous pourrons dire, à notre gré, Monsieur ou Monseigneur.

Bien qu'il soit né en Savoie, quelle furia francese a montrée M. Dupanloup! Rappelez-vous avec quel emportement il attaquait jadis Voltaire et M. Veuillot, M. Veuillot et M. About, le journal le Siècle et M. Veuillot.

Voltaire ne répliquait pas... un buste! S'il y a d'ailleurs en France quelqu'un qui ait plus d'esprit que Voltaire, ce n'est certes pas M. Dupanloup tout seul, qui, évidemment, a moins d'esprit que tout le

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