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les conseils qui seraient les plus conformes à la piété du roi, et au bien de l'état.

>> Ce confident s'en alla assez content de cette réponse; et le lendemain, sa majesté me parla à cœur ouvert, hors de la confession, me déclarant la sincère affection qu'il avait pour vous, et le plaisir très innocent qu'il prenait à votre vertueuse conversation, mais que vous méditiez déjà une retraite en une religion; ce qui lui donnait de l'appréhension. Comme je vis le fonds de sa pensée, je reconnus tant de modération et de pureté en son amour, que je ne pense pas qu'il s'en puisse trouver de plus chaste sous le ciel, entre les personnes du monde.

cœur,

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>> Cela me donna dès lors une tendre compassion pour ce bon prince, que l'on voulait priver d'une amitié si raisonnable. — Vrai Dieu, disais-je en mon n'est-ce point assez d'avoir ôté la mère, d'avoir diverti toute la confiance de la femme, éteint la charité des frères, faut-il encore arracher cette innocente brebis du sein de son pasteur ? Qu'a-t-` elle dit, qu'a-t-elle fait la pauvre fille ? C'est la grâce qui la fait disgracier, et la piété envers sa patrie qui la rend criminelle. >>

Le père Caussin n'approuvait pas le pieux dessein de mademoiselle de la Fayette. « Il est vrai, ma fille, disait-il, que je n'étais nullement porté à vous faire

religieuse. Je savais que vous aviez déjà courageusement parlé au prince des affaires de son état ; je craignais de priver le public de l'instrument de sa félicité, et je jugeais qu'il était expédient qu'il y eût toujours à la cour quelque obstacle, pour modérer cette excessive puissance que prenait le cardinal. Je vous regardais comme un petit grain de sable que Dieu avait mis de sa main sur le rivage, pour réprimer les débordemens de cette grande mer.

>> Ajoutez à cela que la joie et la santé du roi me semblaient, en quelque façon, dépendre du bon entretien qu'il trouvait en vous. Toutes ces raisons, ma chère fille, gagnèrent tant sur moi, que je me résolus de faire le serpent pour ce coup-là de vous tenter, et de voir tout le fonds de votre

cœur.

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>> Eh quoi! disais-je, quitter le monde et la cour, un roi qui vous aime, et tant de belles espérances pour prendre un voile et vous ensevelir toute vivante entre quatre murailles ! Il n'y a déjà que trop de malheureuses filles qui se sont jetées à l'aveugle dans un monastère, sans que vous en augmentiez le nombre. Vous ne savez ce que c'est que de quitter son propre jugement, d'abandonner sa propre volonté, de vivre à la discrétion de personnes inconnues et peut-être fàcheuses. Vous avez été jusqu'ici à la cour, comme un oiseau des Indes qui se nourrit d'ambre et de cannelle; vous n'avez des

que

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louanges, des complaisances et de l'admiration. Vous serez tout étonnée qu'on vous mettra une grosse croix sur les épaules, et qu'on vous fera marcher au calvaire, plus vite, peut-être, que vous ne voudriez. Encore si vous étiez une vieille, qui n'eût que peu de jours à donner à la pénitence, après en avoir abandonné tant d'autres à son plaisir ; personne ne trouverait rien d'étrange en votre conduite; mais une fille de dix-sept ans, toute bonne et toute innocente, fuir un roi pour courir à une prison! Sa conversation vous a-t-elle jamais donné du scrupule ; ne savez-vous pas que vous en sortez aussi pure que Vous y êtes entrée ? Vous le connaissez trop bien pour avoir appréhension qu'il demande jamais rien de vous, que ce que Dieu vous permet de donner. Vivez avec lui, et faites tout le bien que vous pourrez par son moyen, puisque Dieu vous a donné tant de pouvoir sur son esprit (1)! »

L'éloquence de ces paroles ne fut pas capable de changer la résolution de mademoiselle de la Fayette; elle sut résister au serpent, et prit le voile dans le couvent de la Visitation des Filles SainteMarie.

Ce fut peu après cet événement, que la tranquillité d'Anne d'Autriche fut de nouveau troublée. Ri

(1) Voyez première pièce justificative a la fin de ce volume.

chelieu avait découvert qu'elle entretenait un commerce de lettres assez actif avec le roi d'Espagne et le cardinal-infant. Anne d'Autriche, ainsi que le père Caussin et mademoiselle de la Fayette, était, dit-on, persuadée qu'elle ne pouvait rien faire de plus utile à son pays, et de plus agréable à Dieu, que de travailler au rétablissement de la paix générale. Tel était le sujet des lettres qu'elle écrivait au cardinal-infant; un ancien domestique de la duchesse de Chevreuse, nommé Laporte, qu'elle avait donné à la reine comme un serviteur intelligent et fidèle, faisait parvenir ces lettres à Bruxelles. Anne d'Autriche mettait ses depêches dans une cassette, ou dans un cabinet de son oratoire au Val-de-Grâce, où elle se retirait fréquemment pour ses dévotions. Une religieuse de sa confidence les remettait entre les mains de Laporte, qui rendait en échange les lettres de l'infant. Richelieu averti de ce manége, résolut de faire un éclat, et de ne garder aucune mesure avec Anne d'Autriche, qu'il regardait comme une ennemie irréconciliable (1).

Laporte est arrêté, subit plusieurs interrogatoires et ne laisse rien échapper qui puisse compromettre son secret. Alors Richelieu fait ordonner au chancelier Séguier d'aller, de la part du roi, au Val-de-Grâce, lorsque la reine y sera pour ses

(1) Vittorio Siri, memorie recondite.

dévotions, de l'interroger, de visiter exactement les cabinets, les armoires, les cassettes ; et de saisir tous les papiers qu'on y trouvera. Le chancelier, n'ose refuser une si étrange commission; mais voulant ménager la reine, il la fait avertir secrètement de sa visite, les uns disent, par le marquis de Coislin son gendre, les autres, par une religieuse carmélite, sa parente, fille fort habile,

Cependant la reine se retire au Val-de-Grâce, pendant que le roi est à Chantilly. Le chancelier, accompagné de l'archevêque de Paris, arrive au monastère, fait ouvrir les portes, présente sa commission à la reine, et l'interroge sur ses correspondances. « Je n'ai jamais rien écrit, répond Anne d'Autriche, qui puisse préjudicier à l'état. J'aime mes frères, je l'avoue; mais je sais aussi ce que je dois au roi. » Elle livre ses clefs; les armoires, les cabinets, les cassettes sont fouillés; on n'y 1rouve que des disciplines et d'autres instrumens 'de pénitence, qui, selon toute apparence, n'étaient placés là qu'en dérision du cardinal. Rien de suspect ne fut découvert; toutefois la reine reçoit l'ordre de se rendre à Chantilly; la périeure du Valde-Grâce est transférée dans un couvent hors de Paris; et la duchesse de Chevreuse, craignant d'être compromise, quitte subitement la ville de Tours, où elle était reléguée, et s'enfuit en Espagne.

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