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apprenant ces funeftes nouvelles, revint avec fon armée faire un troifième parti dans la Chaldée. Il atta

qua le roi qui courut au-devant de lui avec fon extravagante égyptienne. Moabdar mourut percé de coups. Missouf tomba aux mains du vainqueur. Mon malheur voulut que je fuffe prife moi-même par un parti hircanien, et qu'on me menât devant le prince précifément dans le temps qu'on lui amenait Missouf. Vous ferez flatté fans doute en apprenant que le prince me trouva plus belle que l'égyptienne; mais vous ferez fâché d'apprendre qu'il me deftina à fon férail. Il me dit fort réfolument que, dès qu'il aurait fini une expédition militaire qu'il allait exécuter, il viendrait à moi. Jugez de ma douleur. Mes liens avec Moabdar étaient rompus, je pouvais être à Zadig, et je tombais dans les chaînes de ce barbare! Je lui répondis avec toute la fierté que me donnaient mon rang et mes fentimens. J'avais toujours entendu dire que le ciel attachait aux perfonnes de ma forte un caractère de grandeur, qui d'un mot et d'un coup d'œil fefait rentrer dans l'abaiffement du plus profond refpect les téméraires qui ofaient s'en écarter. Je parlai en reine; mais je fus traitée en demoiselle fuivante. L'hircanien, fans daigner feulement m'adreffer la parole, dit à fon eunuque noir que j'étais une impertinente, mais qu'il me trouvait jolie. Il lui ordonna d'avoir foin de moi et de me mettre au régime des favorites, afin de me rafraîchir le teint, et de me rendre plus digne de fes faveurs, pour le jour où il aurait la commodité de m'en honorer. Je lui dis que je me tuerais: il répliqua, en riant, qu'on ne fe tuait point, qu'il était fait à ces façons-là,

et me quitta comme un homme qui vient de mettre un perroquet dans fa ménagerie. Quel état pour la première reine de l'univers, et je dirai plus, pour un cœur qui était à Zadig!

A ces paroles il fe jeta à fes genoux, et les baigna de larmes. Aflarté le releva tendrement, et elle continua ainfi: Je me voyais au pouvoir d'un barbare, et rivale d'une folle avec qui j'étais renfermée. Elle me raconta fon aventure d'Egypte. Je jugeai par les traits dont elle vous peignait, par le temps, par le dromadaire fur lequel vous étiez monté, par toutes les circonftances, que c'était Zadig qui avait combattu pour elle. Je ne doutai pas que vous ne fuffiez à Memphis; je pris la réfolution de m'y retirer. Belle Miffouf, lui dis-je, vous êtes beaucoup plus plaifante que moi, vous divertirez bien mieux que moi le prince d'Hircanie. Facilitez-moi les moyens de me fauver; vous régnerez feule; vous me rendrez heureufe, en vous débarraffant d'une rivale. Miffouf concerta avec moi les moyens de ma fuite. Je partis donc fecrètement avec une efclave égyptienne.

J'étais déjà près de l'Arabie, lorfqu'un fameux voleur, nommé Arbogad, m'enleva, et me vendit à des marchands qui m'ont amenée dans ce château, où demeure le feigneur Ogul. Il m'a achetée fans favoir qui j'étais. C'eft un homme voluptueux, qui ne cherche qu'à faire grande chère, et qui croit que DIEU l'a mis au monde pour tenir table. Il est d'un embonpoint exceffif, qui est toujours prêt à le fuffoquer. Son médecin, qui n'a que peu de crédit auprès. de lui quand il digère bien, le gouverne defpotiquement

quand

quand il a trop mangé. Il lui a perfuadé qu'il le guérirait avec un bafilic cuit dans de l'eau-rofe. Le feigneur Ogul a promis fa main à celle de fes efclaves qui lui apporterait un bafilic. Vous voyez que je les laiffe s'empreffer à mériter cet honneur, et je n'ai jamais eu moins d'envie de trouver ce bafilic que depuis que le ciel a permis que je vous reviffe.

Alors Aflarté et Zadig fe dirent tout ce que des fentimens long-temps retenus, tout ce que leurs malheurs et leurs amours pouvaient inspirer aux cœurs les plus nobles et les plus paffionnés ; et les génies qui préfident à l'amour portèrent leurs paroles jufqu'à la fphère de Venus.

Les femmes rentrèrent chez Ogul fans avoir rien trouvé. Zadig fe fit présenter à lui, et lui parla en ces termes : Que la fanté immortelle defcende du ciel pour avoir foin de tous vos jours! Je fuis médecin; j'ai accouru vers vous fur le bruit de votre maladie, et je vous ai apporté un bafilic cuit dans de l'eau-rofe. Ce n'eft pas que je prétende vous épouser. Je ne vous demande que la liberté d'une jeune efclave de Babylone que vous avez depuis quelques jours; et je consens de refter en esclavage à fa place, fi je n'ai pas le bonheur de guérir le magnifique seigneur Ogul.

La propofition fut acceptée. Aflarté partit pour Babylone avec le domeftique de Zadig, en lui promettant de lui envoyer inceffamment un courrier, pour l'inftruire de tout ce qui fe ferait paffé. Leurs adieux furent auffi tendres que l'avait été leur reconnaissance. Le moment où l'on fe retrouve, et celui où l'on fe fépare, font les deux plus grandes époques Romans. Tome I.

F

de la vie, comme dit le grand livre du Zend. Zadig aimait la reine autant qu'il le jurait, et la reine aimait Zadig plus qu'elle ne lui difait.

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Cependant Zadig parla ainfi à Ogul : Seigneur on ne mange point mon bafilic, toute fa vertu doit entrer chez vous par les pores. Je l'ai mis dans une petite outre bien enflée et couverte d'une peau fine: il faut que vous pouffiez cette outre de toute votre force, et que je vous la renvoie à plufieurs reprises; et en peu de jours de régime vous verrez ce que peut mon art. Ogul dès le premier jour fut tout effoufflé, et crut qu'il mourrait de fatigue. Le fecond il fut moins fatigué, et dormit mieux. En huit jours il recouvra toute la force, la fanté, la légèreté et la gaieté de fes plus brillantes années. Vous avez joué au ballon, et vous avez été fobre, lui dit Zadig: apprenez qu'il n'y a point de bafilic dans la nature, qu'on fe porte toujours bien avec de la fobriété et de l'exercice, et que l'art de faire fubfifter ensemble l'intempérance et la fanté eft un art auffi chimérique que la pierre philofophale, l'aftrologie judiciaire et la théologie des mages.

Le premier médecin d'Ogul, fentant combien cet homme était dangereux pour la médecine, s'unit avec l'apothicaire du corps pour envoyer Zadig chercher des bafilics dans l'autre monde. Ainfi, après avoir été toujours puni pour avoir bien fait, il était près de périr pour avoir guéri un feigneur gourmand. On l'invita à un excellent dîner. Il devait être empoisonné au fecond fervice; mais il reçut un courrier de la belle Aflarté au premier. Il quitta la table et partit. Quand on eft aimé d'une belle femme, dit le grand Zoroaftre, on fe tire toujours d'affaire dans ce monde.

CHAPITRE X I X.

Les combals.

La reine avait été

A

reçue à Babylone avec les tranfports qu'on a toujours pour une belle princeffe qui a été malheureuse. Babylone alors paraissait être plus tranquille. Le prince d'Hircanie avait été tué dans un combat. Les Babyloniens vainqueurs déclarèrent qu'Aflarté épouferait celui qu'on choifirait pour fouverain. On ne voulut point que la première place du monde, qui ferait celle de mari d'Aftarté et de roi de Babylone, dépendît des intrigues et des cabales. On jura de reconnaître pour roi le plus vaillant et le plus fage. Une grande lice, bordée d'amphithéâtres magnifiquement ornés, fut formée à quelques lieues de la ville. Les combattans devaient s'y rendre armés de toutes pièces. Chacun d'eux avait derrière les amphithéâtres un appartement féparé, où il ne devait être vu ni connu de perfonne. Il fallait courir quatre lances. Ceux qui feraient affez heureux pour vaincre quatre chevaliers, devaient combattre enfuite les uns contre les autres; de façon que celui qui refterait le dernier maître du camp ferait proclamé le vainqueur des jeux. Il devait revenir quatre jours après, avec les mêmes armes, et expliquer les énigmes propofées par les mages. S'il n'expliquait point les énigmes, il n'était point roi, et il fallait recommencer à courir des lances, jufqu'à ce qu'on trouvât un homme qui

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