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de l'homme sur le monde extérieur, et la condition indispensable de l'avancement industriel et du maintien des sociétés. Il en décrit la nature, les lois, les résultats, et, en même temps qu'il en explique la puissance, par les rapports intimes qu'il découvre entre le juste et l'utile, le bien-être et les bonnes mœurs, il en rehausse la moralité.

Cette simple vue de l'objet que se propose cette science toute nouvelle, qu'à la fin du dix-septième siècle Leibnitz entrevoyait comme devant être l'une des grandes conquêtes de l'esprit humain, suffit pour montrer que la propagation de ses principes s'élève jusqu'à la hauteur d'une mission sociale. Aujourd'hui que les discussions dogmatiques ont cessé de retentir dans son sanctuaire pour faire place à l'expression de vérités rigoureusement démontrées, elle aspire à vulgariser des idées qu'elle croit utiles au bonheur du genre humain. Indulgente, mais franche envers des vices qui sont le fruit de l'ignorance ou de l'arbitraire; sévère envers des ennemis qui s'efforcent de la rendre suspecte parce qu'ils vivent de ce qu'elle réprouve, ou qu'ils se font les champions de ce qu'elle combat; toujours réservée envers d'imprudents adeptes qui s'autorisent de son nom, mais dont elle repousse les aberrations et décline l'onéreuse responsabilité, elle ne demande des arguments qu'à la vérité et ne souffre d'autre auxiliaire que la force qu'elle lui emprunte. C'est surtout dans les pays libres, là où chacun peut être appelé à prendre part à l'exercice de la puissance publique, où le gouverné d'aujourd'hui peut devenir le gouvernant de demain, que ses enseignements sont nécessaires; alors ce n'est pas seulement un individu, c'est un peuple entier peut-être qui profite des doctrines qu'elle établit et des inspirations qu'elle suggère. La science est belle par elle-même, dans les régions sublimes de la vérité pure; elle est peut-être encore plus digne de notre admiration et de nos respects quand elle descend dans l'arène des passions et des intérêts comme une souveraine médiatrice, et que chacun de ses principes peut devenir un fait qui se réalise pour le plus grand bien de tous, et le mobile d'un progrès qui pousse la société vers un avenir meilleur.

C'est à ce titre qu'aucune des tentatives qui ont pour but de vulgariser les saines notions de l'économie politique ne saurait être regardée avec indifférence. Dans un pays où le pouvoir public, si prodigue de ses bienfaits envers d'autres branches des connaissances humaines, montre une si coupable négligence pour la propagation des études économiques, où la science ne compte que deux chaires et un seul recueil, c'est une bonne fortune que d'avoir à signaler, pour la deuxième fois, l'apparition d'un Annuaire de l'économie politique.

Plusieurs écrivains, que la science économique compte pour la plupart au nombre de ses interprètes les plus distingués, ont réuni leurs efforts pour aider à la propagation de quelques vérités utiles. De même que la plupart des autres sciences, l'économie politique a enfin son livre familier et périodique. Cette publication nouvelle, sous un petit volume, contient une grande variété de sujets, et, sous une apparence modeste, beaucoup d'excellentes choses; elle est aussi diverse que consciencieuse, aussi attachante qu'instructive. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d'œil sur la table des matières. Les principaux articles traitent de l'influence de la civilisation sur la liberté, des systèmes d'économie politique, de son enseignement, de ses rapports avec la jurisprudence, du travail national, de l'impôt, des assurances sur

Ja vie, des conseils de prud'hommes et des marques de fabrique, du commerce de la France, de l'association allemande, des expositions des produits de l'industrie à Paris et à Berlin, de la comparaison de Londres et de Paris, du marché aux enfants en Angleterre, des voies de communication, des banques, des caisses d'épargne, de la statistique des journaux en Europe et de celle des jardins. Des éphémérides et une revue des principaux événements économiques de l'année commencent le livre, et une bibliographie raisonnée le termine. On le voit, la composition de ce petit volume, à la portée de toutes les bourses et de toutes les intelligences, est extrêmement variée. Quant à l'exécution, la signature des auteurs dont le nom est suffisamment connu des lecteurs de ce recueil est une garantie suffisante et nous dispense de tout commentaire.

Nous n'élèverons qu'une seule question : le plan général de cet Annuaire atteint-il le but auquel sa nature le destine?

Avant toutes choses, il faut qu'il soit bien entendu que la science n'ait à relever aucune assertion hasardée, à élaguer aucune plante parasite, et que sa pureté n'ait à souffrir d'aucun alliage étranger. Cette première condition est déjà capitale pour les gros volumes qu'on achète peu et qu'on lit encore moins, mais elle est ici d'une plus haute importance encore, si l'on songe que, dans un petit livre destiné à passer par un grand nombre de mains, l'inadver– tance d'un seul peut devenir l'erreur de milliers d'individus. Qu'on nous dise, comme dans les éphémérides qui ouvrent l'Annuaire, que le Tableau économique de Quesnay fut publié en 1754; il n'y a pas grand dommage pour le lecteur à ne pas savoir que ce célèbre manifeste de l'école physiocratique ne vit le jour que quatre ans plus tard. Qu'on s'apitoie encore sur la dureté excessive du régime des workhouses, lequel nous a paru manifestement tomber dans l'excès contraire; c'est une erreur de fait qui, au fond, n'a pas ici grande importance. Mais nous sommes loin de nous endormir dans la même sécurité quand nous lisons, dans la Revue de l'année, une phrase telle que celle-ci : « Les Anglais commencent à croire que, par suite de balances de commerce « énormes au préjudice du Céleste-Empire, le numéraire y devienne telle« ment rare, que toute transaction commerciale avec ce pays devienne ima possible. » Pour nous, nous sommes persuadés que les Anglais qui ont lu Adam Smith, et ceux même qui ne consultent que leurs livres de comptes, ne sont nullement effrayés de ce symptôme menaçant, car ils savent que l'or et l'argent ne constituent pas la seule richesse, et ils se garderont bien de refuser d'échanger les produits de leurs manufactures contre le thé ou la soie que leur offriront les Chinois. Dans un livre élémentaire, de pareilles assertions ne doivent jamais tomber de la plume, même par inadvertance, comme c'est ici le cas; il faut s'en garder comme d'un danger réel. La science économique, dans ses déductions les plus hautes, se réduit à un petit nombre d'axiomes qui donnent la clef des difficultés les plus compliquées. L'explication doit en être irréprochable pour porter tous les fruits que la vulgarisation des vérités élémentaires est appelée à produire. «En économie politique, « a dit le plus illustre propagateur de ses doctrines, comme dans toutes les a sciences, la parlie vraiment utile, celle qui est susceptible des applications a les plus importantes, ce sont les éléments; c'est la théorie du levier, du « plan incliné, qui a mis la nature entière à la disposition de l'homme, c'est « celle des échanges et des débouchés qui changera la politique du monde '. » • J.-B. Say, préface du Catéchisme d'économie politique.

T. X. Décembre 1841.

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L'Annuaire nous semble devoir être spécialement destiné à mettre à la portée de tous, même des plus incultes, les éléments qui constituent la science; c'est là l'objet auquel sa rédaction doit être principalement ramenée : moins d'excursions hors du terrain où la science propre a sa racine, moins de ces sujets très-intéressants par eux-mêmes, mais qui n'intéressent surtout que les hommes dont l'esprit cultivé est plus exigeant; en revanche, des préceptes qui parlent clairement à tous les esprits, surtout à ceux qui en ont le plus besoin, revêtus de la forme la plus accessible; plus de liberté dans l'allure, en un mot, plus de démocratie dans la science, voilà le caractère véritable, la destination essentielle d'un Annuaire de l'économie sociale. Il ne doit pas s'adresser seulement aux classes moyennes, à celles qui ont à leur disposition une infinité d'autres moyens d'instruction; mais à cette partie de la nation dont la souveraineté de droit doit tendre de plus en plus vers une souveraineté de fait par les bienfaits des lumières, et qui, courbée sous le poids d'un travail journalier et incessant, est en proie à une ignorance déplorable de ses véritables intérêts et entourée de piéges tendus à ses préjugés ou à ses passions.

Ne semble-t-il pas, en effet, qu'en dépit de la générosité des intentions, certains écrivains n'aient livré au monde leurs élucubrations sociales que pour obscurcir le jugement des classes ouvrières, et qu'on ait pris à tâche de dilapider ces trésors de bon sens et d'équité qui sont leur plus bel apånage? Tous les auteurs de la grande comédie contemporaine, qui, méconnaissant le caractère des hommes et des temps, se sont lancés dans toutes les aberrations d'un type idéal, et ont cru qu'une société se change comme une décoration à vue, n'ont-ils pas produit leurs œuvres sur la scène au bénéfice exclusif et pour l'édification des travailleurs? On n'a pas craint d'éveiller les plus magnifiques espérances pour ne recueillir que de cruels mécomptes. On a fait étalage de théories spécieuses devant présider à une vaste palingénésie sociale, où le prétendu droit dévolu à l'un ne peut être qu'un attentat aux droits de tous; où la liberté économique, succombant, entraînerait nécessairement dans sa chute toutes les autres libertés conquises par la Révolution, achetées au prix de tant de sacrifices, et dont on semble vouloir se dessaisir avec tant de complaisance. Des philanthropes aveugles ont tendu la main à des novateurs inconsidérés; pour grossir les rangs de cette croisade dirigée contre le bon sens et l'intérêt des travailleurs, les littérateurs ont apporté leur contingent, aligné leurs arguments; et le roman s'est trouvé pourvu, par une illumination soudaine, du don de la langue économique, ce qui ne veut pas dire de la science; usurpation qui paraîtra moins surprenante si l'on considère que, poussée hors de ses voies légitimes, errante et désœuvrée, la littérature est devenue tout autre chose que le modèle du goût et le culte du beau.

Ces théories sont loin d'être d'accord entre elles sur tous les points, mais il en est un où elles se confondent dans une touchante unanimité, c'est dans leurs anathèmes contre la science économique. A les entendre, cette science n'a ni cœur ni entrailles; son égoïsme n'a d'égal que son impuissance; elle n'a que des apologies pour le riche et que des dédains pour le prolétaire. En revanche, ses adversaires possèdent le monopole de toutes les sympathies, des satisfactions pour tous les désirs, des attractions pour toutes les aptitudes, des spécifiques pour tous les maux. Ils ont seuls le privilége de s'attendrir; et en même

temps qu'ils étalent avec une fastueuse pitié un cœur saignant de toutes les blessures de leurs semblables, ils proclament que leur esprit est assez vaste pour régénérer de la base au sommet un monde dont ils sont l'unique chance de salut. Ils trouvent des auxiliaires dans les partisans intéressés du monopole, qui s'enrôlent sous cette bannière anti-économique, afin de se donner la satisfaction de jeter la pierre à des vérités assez mal-apprises pour les troubler dans leur heureuse et lucrative quiétude.

Ce sont ces ennemis que la science doit combattre, ces illusions funestes qu'elle doit dissiper, ces systèmes aventureux dont elle doit faire justice ses intérêts se confondent avec ceux des classes laborieuses, car elle a pour conclusion définitive l'amélioration du sort du plus grand nombre.

C'est surtout un livre comme l'Annuaire qui doit être, aux yeux du peuple, le dépositaire de ses protestations et de ses conseils. Cette propagande économique est de nature à exercer la plus heureuse influence sur la conduite des ouvriers et l'avenir du pays. Parmi les forces qui concourent à la formation de la richesse nationale, on s'efforce, par une infinité de moyens plus ou moins efficaces, d'augmenter l'énergie productive de la terre et du capital; la puissance du travail, qui se personnifie dans l'homme, et surtout celle du travail manuel, demande, pour porter tous ses fruits, à être pourvue de toutes les ressources, à être éclairée de toutes les lumières. C'est sous cette forme populaire qu'il est surtout réservé à l'économie politique de prendre sa part d'une tâche si digne de tous ses efforts et qui sera sa plus belle récompense. Il faut apprendre au travailleur à discerner son intérêt réel au milieu du conflit de tous les intérêts, et ce qu'il se doit à lui-même de ce que lui doit la société. Croyez-vous que nos places publiques seraient aussi souvent affligées du spectacle tumultueux de salariés menaçant à la fois leurs maîtres et l'ordre public, si on avait pris soin d'expliquer au travailleur l'origine et les variations du salaire, et la nature du contrat qui intervient entre lui et l'entrepreneur? Croyez-vous qu'il mettrait, comme cela a lieu trop souvent, ses espérances dans le désordre et la spoliation, s'il lui était prouvé que le travail est impuissant sans un capital proportionné qui lui fasse des avances ou lui fournisse des instruments? Croyez-vous que l'émeute gronderait si aveuglément contre les machines, si on lui avait fait comprendre les résultats définitifs de ces instruments désormais irrésistibles de la diffusion de la riches se et du progrès général? Croyez-vous que tant de misérables se presseraient aux portes des ateliers pour offrir leurs services au rabais, moyennant un salaire insuffisant, s'il savait comment l'équilibre s'établit entre la population et les moyens réguliers et légitimes d'existence? Croyezyous que tant de petites épargnes seraient consommées en pure perte pour leurs possesseurs et pour le pays, s'il connaissait l'action bienfaisante des petits capitaux, le moyen de les employer utilement et le danger de les perdre? Croyez-vous, enfin, que ses efforts isolés seraient si souvent inutiles et son existence si précaire, s'il était pénétré de toutes les ressources qu'offre l'association volontaire, soit pour accroître la puissance productive de son travail ou diminuer ses dépenses, soit pour développer en sa faveur des heureux effets du principe si fécond des secours mutuels? Ces notions élémentaires, dont la démonstration familière peut être établie d'une manière évidente, seraient certainement moins abstraites et moins difficiles à comprendre que beau coup de catéchismes de nos églises et de grammaires de nos écoles.

Notre conviction est que la base véritable de l'amélioration du sort des travailleurs réside dans une instruction solide et morale, dans toutes les institutions qui peuvent seconder l'esprit d'épargne et de prévoyance individuelle ou collective, et dans le relâchement graduel des liens du régime restrictif. En dehors de la liberté personnelle et de la responsabilité morale qui en est la conséquence nécessaire, il n'y a que pure chimère, danger réel et atteinte manifeste à la dignité humaine. Toutes les sciences politiques et morales doivent concourir à engager les hommes qui sont le plus mal partagés dans cette voie, la seule qui mène au but. La science d'Adam Smith et de J.-B. Say est celle qui peut agir sur les masses le plus directement et avec le plus d'efficacité, et c'est l'Annuaire que nous appelons de tous nos vœux à être la tribune populaire de l'économie politique.

MAURICE MONJEAN.

DES TENDANCES PACIFIQUES DE LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE,

ου

DU ROLE DES ARMÉES DANS L'AVENIR,

PAR LE CAPITAINE FERDINAND DURAND.

Seconde édition, augmentée d'une nouvelle préface '.

Ce livre est encore un manifeste en faveur de l'organisation de l'industrie et de l'association des travailleurs. C'est l'ouvrage d'un homme de bien, dont le cœur dupe la raison, et qui, sans vouloir les approfondir, adopte de confiance des chimères qui sourient à ses sentiments généreux. Quelque pénible qu'il soit pour nous de froisser des convictions de cette nature, on comprend que la vérité a des exigences dont le sacrifice n'est dû à personne, et surtout qu'il ne peut appartenir à l'imagination seule de se promener dans le domaine de l'économie sociale. D'ailleurs le capitaine Durand, qui a eu le noble courage de se faire l'apôtre de la paix, ne nous saura pas mauvais gré sans doute d'user de la même indépendance d'esprit dont il a donné la preuve, et de réprouver, à son exemple, toutes les doctrines qui nous paraissent fausses et dangereuses. Il est un parti qui, selon l'auteur, «s'avance avec une rapidité inouïe à la tête de l'humanité, jetant à pleines mains à droite et à gauche des idées si vives, si pénétrantes, qu'elles s'attachent à tout et germent partout »; c'est celui des socialistes.

Ce parti, dirons-nous à notre tour, peut se décomposer en deux classes bien distinctes. Il y a les socialistes positifs et les socialistes négatifs, ou, en d'autres termes, les socialistes qui ont un système et les socialistes qui n'ont pas encore élaboré de doctrine.

Disciples d'Owen, de Fourier ou de Saint-Simon, les premiers attachent un

Un volume in-8, Paris, 1844, à la Librairie militaire, rue et passage Dauphine, 36.

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