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qui ailleurs n'est parvenue à se développer avec succès que lentement et sur un certain nombre de points, continuera-t-elle sa marche ascendante? De nouvelles modifications dans les besoins de la consommation ou dans les procédés du travail ne rendront-elles pas à d'autres formes d'exploitation la supériorité qui déjà leur a appartenu? De telles questions ne sont pas susceptibles de solutions absolues, mais il est néanmoins des données qui autorisent à énoncer une opinion.

Quelles que puissent être les transformations appelées par le mouvement progressif de l'ordre social, dans toutes les contrées de quelque étendue subsisteront à la fois des modes divers de travail. Jamais les circonstances locales ne perdront leur influence naturelle, et les propriétés des différentes portions du territoire, en y fixant des genres particuliers de production, y détermineront la distribution des fermes. Mais les causes auxquelles est due la multiplication des petites cultures ne cesseront pas d'opérer, et le temps ne peut qu'en fortifier l'activité.

En effet, les populations continueront à augmenter en nombre et en aisance, et la hausse graduelle du prix des subsistances, en multipliant de plus en plus les emplois de main-d'œuvre, favorisera nécessairement les modes d'exploitation le mieux adaptés à la concentration du travail.

D'un autre côté, avec la diffusion progressive du bien-être, croîtront les demandes en produits que la petite culture seule recueille profitablement. Ainsi naîtront pour elle de nouvelles sources de bénéfices et de nouveaux motifs d'extension.

Que l'on examine au surplus quels sont les changements réalisés sur les points où s'est concentrée la partie des populations la plus florissante, et l'on aura la mesure de ceux que l'avenir verra s'accomplir. Du voisinage des villes se sont retirées les grandes fermes, et à leur place en sont venues de plus aptes à satisfaire aux besoins variés et délicats que propagent les progrès de l'aisance. Eh bien, voilà l'effet qui s'étendra de proche en proche à mesure que la richesse répandra ses bienfaits. Aux consommations actuelles s'en joindront de plus recherchées, et de nombreuses cultures prendront peu à peu le caractère mixte qu'elles n'ont pas encore.

Telles sont les innovations qui, suivant toutes les données fournies par l'expérience du passé, auront lieu dans la constitution rurale des pays dont la prospérité s'accroît. Dans tous les cas, ce qui importe, c'est que les transformations, quel qu'en puisse être le cours, ne rencontrent aucun obstacle. C'est l'essor même de la civilisation qui les détermine, et jamais elles ne s'accomplissent que sous l'impulsion de nécessités dont la satisfaction est d'un véritable intérêt social.

H. PASSY.

T. X.-Mars 1848.

26

ÉTUDE D'UN PROJET DE LOI

SUR

L'ENDIGUEMENT ET LES AUTRES TRAVAUX DÉFENSIFS à opérer contre les fleuves, les rivières et les torrents.

Un arrêté de M. le ministre des travaux publics, à la date du 29 avril 1844, a constitué une commission spéciale chargée d'étudier toutes les questions relatives à l'endiguement des fleuves, rivières et torrents, et de préparer, s'il y a lieu, les éléments d'une nouvelle législation sur cette importante matière. C'est pour répondre à cet appel que le Mémoire que l'on va lire a été composé. Il embrasse l'examen des deux questions suivantes :

1o La législation actuelle, développée et complétée par un système de dispositions réglementaires, peut-elle ou ne peut-elle pas fournir à l'administration des moyens suffisamment efficaces de pourvoir à la défense de nos vallées contre les fleuves et les torrents?

2o Dans le cas d'une solution négative, quels devraient être les éléments de la nouvelle législation qui pourrait être proposée par le gouvernement? Voilà les deux points sur lesquels l'arrêté ministériel provoque la discussion, et les seuls que je viens essayer de traiter ici. Comme M. le ministre, je laisserai donc de côté une question préjudicielle en quelque sorte, qui a été néanmoins soulevée par de très-bons esprits; question qui, dans les applications pratiques et partielles, mérite sans doute l'examen le plus sérieux; mais qui, au point de vue général et surtout législatif, me paraît complétement en dehors de tout débat. Je m'explique.

On a demandé si des travaux d'endiguement, de redressement, ou autres travaux défensifs contre les cours d'eau, étaient, après tout, une chose bonne en soi, et dont il fallût faire, par conséquent, l'objet d'une législation spéciale. Mais c'est demander si l'action de l'homme peut ou ne peut pas réagir sur ces cours d'eau de manière à protéger contre leurs irruptions les rives qui les bordent, à les resserrer et à les contenir dans l'intérêt combiné de l'agriculture et de la navigation, à transformer de vastes espaces de cailloux et de sable infertile en terrains d'alluvion d'une fécondité sans égale; c'est demander enfin si la France veut toujours rester, à cet égard, en arrière de presque tous les peuples policés de l'antiquité et des États modernes dont elle est entourée. Évidemment, poser de la sorte une semblable question, c'est la résoudre.

On peut, sans contredit, contester la nécessité ou l'utilité de telle ou telle nature de travaux défensifs, celle, par exemple, des digues insubmersibles, comme ayant pour résultat de précipiter le cours des eaux, d'amener l'exhaussement indéfini du lit des rivières, et de préparer par là des désastres plus ou

moins prochains aux populations riveraines. Mais encore un coup, là n'est pas la question, du moins celle dont la commission peut avoir à se préoccuper. Tout ce qui touche à la nature des ouvrages, à leur étendue, à leur objet, etc., n'est pas du ressort législatif, et ne peut dans tous les cas recevoir une solution générale. C'est ici l'application et non la matière de la loi. La commission s'exposerait à perdre un temps et des efforts précieux si elle s'engageait le moins du monde dans cette voie. Les digues insubmersibles sont excellentes sur certains points et à l'encontre de certains cours d'eau. Elles seraient détestables dans d'autres circonstances. Ici les travaux défensifs doivent consister en simples plantations, là en terrassements et bourrelets submersibles, ailleurs en pierrés et boulevards maçonnés tenus au-dessus du niveau des plus fortes eaux; c'est à l'administration et à elle seule qu'il appartient d'en décider. Notre unique mandat, à nous, c'est de rechercher et de poser les bases d'une législation générale sur les travaux défensifs de toute nature à opérer contre les fleuves, les rivières ou les torrents, par voie d'association syndicale entre tous les propriétaires intéressés: recherche qui ne doit avoir lieu toutefois qu'après un examen préalable des lois existantes, afin de savoir si elles ne suffisent pas aux besoins qui se font sentir.

Je réponds à ces deux questions capitales.

PREMIÈRE PARTIE.

EXAMEN DE LA LÉGISLATION EXISTante relative a l'endiguement des cours d'eau.

Notre ancienne législation, celle qui remonte à une époque antérieure à 1789, n'avait point statué sur la matière qui nous occupe d'une manière générale; mais elle abonde en édits et règlements particuliers rendus selon l'exigence des circonstances et des lieux. De vieux édits de Henri II, Henri Ill et de Henri IV, ont commandé ou autorisé un grand nombre de desséchements et d'endiguements qui ont assaini des contrées entières, régularisé le cours des grands fleuves, doté en un mot le pays de nouvelles et puissantes sources de richesse publique.

Sous nos derniers rois, une foule d'arrêts du conseil ont sanctionné des associations volontaires le plus souvent, mais contraintes parfois, dans un but complétement identique. On cite surtout celui du 10 octobre 1765, réglant le régime des endiguements pour la province du Dauphiné.

On y trouve déjà les deux principes généraux de la matière en pleine exécution; savoir, celui de la contribution proportionnelle de l'État, des communautés et des particuliers à la dépense générale, et celui du droit de coaction exercé par le gouvernement, non-seulement sur les communautés, mais encore sur les particuliers eux-mêmes, qu'il force quand il y a lieu à se syndiquer pour la défense commune.

L'Assemblée constituante ne s'occupa des cours d'eau que pour en attribuer la police à l'autorité administrative. Loi du 8 janvier 1790, sect. ш, art. 2, et du 20 août, même année, chap. VI.

Plus tard, des difficultés d'exécution s'étant présentées relativement à l'application des anciens règlements et des anciens usages qui pourvoyaient au curage des cours d'eau et à l'entretien de leurs digues, il devint indispensable d'en consacrer l'existence et l'autorité par une loi que l'on peut considérer comme le corollaire du principe posé par notre première Assemblée nationale.

En se pénétrant bien de l'esprit et du texte de la loi rendue le 14 floréal an XI (4 mai 1803), on reconnaît sans peine que son double objet a été : 1o de rendre exécutoires les anciens règlements et usages locaux relatifs au curage des cours d'eau non publics, et à l'entretien de leurs digues; règlements et usages dont les propriétaires riverains prétendaient décliner l'autorité depuis le nouvel ordre de choses; 2° d'établir un mode régulier d'amélioration et de modification pour ces mêmes règlements et usages, lorsque de nouveaux faits survenus exigeaient qu'ils fussent remaniés.

Ce droit de remaniement y est réservé au gouvernement central, qui doit l'opérer sur la proposition du préfet, et par voie de règlement d'utilité publique.

Tout le contentieux relatif au recouvrement des rôles, aux réclamations des imposés et à la confection des travaux, est attribué aux conseils de préfecture; que si l'on voulait donner à cette loi le caractère général d'une législation sur l'endiguement des cours d'eau, nous nous bornerions à faire remarquer qu'elle s'applique exclusivement aux canaux et rivières non navigables, et qu'elle est après tout infiniment plus restreinte que l'arrêt du Conseil précité de 1765. C'est donc une loi transitoire, nous allions presque dire une loi d'expédient, qui laisse sans solution presque toutes les grandes questions soulevées par le sujet.

Le législateur avait donc besoin d'y revenir, et c'est ce qu'il fit en réalité dans une loi du 16 septembre 1807, rendue sur la matière du desséchement des marais. Il y intercala un titre sept intitulé: Des travaux de navigation, des routes, des ponts, des rues, places et quais, dans les villes, des digues, des travaux de salubrité dans les communes. Après cinq premiers articles étrangers à notre sujet, le 6o, qui est le 33° de la loi, statue ce qui suit : « Quand il s'agira de construire des digues à la mer, ou contre les fleuves, rivières et torrents navigables ou non navigables, la nécessité en sera constatée par le gouvernement, et la dépense supportée par les propriétés protégées dans la proportion de leur intérêt aux travaux, sauf les secours que le gouvernement croirait utile et juste d'accorder sur les fonds publics. >>

La loi règle ensuite sommairement les formes de la procédure à suivre. L'art. 34 attribue au gouvernement le droit de concéder les accrues, attérissements et alluvions de ces cours d'eau, quant à ceux de ces objets qui for ment propriété publique ou domaniale, art. 41. Enfin le titre X consacre et règle l'organisation d'une commission spéciale à laquelle sont délégués le classement et l'estimation des propriétés intéressées avant et après les travaux.

Voilà, si je ne m'abuse, et sauf un décret du 4 thermidor an XIII, rendu spécialement pour les Hautes-Alpes, lequel n'a pas été inséré au Bulletin des lois, voilà, dis-je, les seuls textes législatifs que renferment nos volumineux recueils sur l'importante et délicate matière qui nous occupe. C'est en les invoquant, les développant et les élargissant, que l'administration, dans son zèle louable et incessant, s'est efforcé jusqu'ici de satisfaire aux besoins et aux vœux des populations riveraines, au moyen de règlements spéciaux délibérés en Conseil d'État, et revêtus de la sanction royale sous forme d'ordonnances.

Cette législation avait été, du reste, bien longtemps comme une lettre morte ou à peu près, et elle semblait tombée en désuétude. Depuis quelques années des besoins plus urgents, des accidents nombreux et terribles ont amené sa résurrection; mais elle présente, on peut le dire hardiment, deux graves incon

vénients, dont un surtout est fondamental et irremédiable, si ce n'est par l'intervention toute-puissante du législateur.

Le premier et le moindre des inconvénients de la législation existante sur l'endiguement des cours d'eau de toute nature, c'est que les textes en sont dispersés et disséminés dans plusieurs documents successifs, et comme perdus dans une loi rendue sur un tout autre objet. Or, celui qui nous occupe présente par lui-même et tend à prendre de plus en plus une importance assez grande pour exiger une réglementation spéciale et expresse.

Le second de ces inconvénients, qui est capital et décisif, c'est que la légis lation dont il s'agit offre plusieurs lacunes et omissions d'un ordre majeur. C'est ainsi 1° qu'elle ne consacre nulle part le principe vraiment fondamental de toute la matière, celui qui doit présider à la création de toute association syndicale, le principe de coaction, de la part de la majorité des intéressés, sur la minorité.

Vainement les trois quarts des propriétaires riverains, et parfois les dix-neuf vingtièmes, possédant la presque totalité du sol à protéger, auront-ils la ferme. volonté de se syndiquer pour la défense commune; deux ou trois récalcitrants, un seul peut-être, mus par la mauvaise foi, l'ignorance ou le caprice, suffiront pour tout entraver, pour tout paralyser; car je défie que l'on me montre un texte, un article de loi quelconque, d'où la majorité des intéressés puisse tirer, de près ou de loin, directement ou indirectement, le droit de contraindre la minorité. Il ne restera donc à cette majorité qu'une seule ressource: obtenir que le gouvernement vienne administrativement à son secours, et prenne l'initiative comme la responsabilité de cette contrainte, en usant de l'art. 53 de la loi de 1807. Mais s'il s'agit d'intérêts purement et exclusivement privés, pourquoi le gouvernement consentirait-il à intervenir et à encourir une responsabilité pareille? Il y a donc ici lacune évidente et considérable.

En voici une autre plus considérable et plus évidente encore. Les ouvrages de défense et de protection ont été exécutés; le lit du fleuve ou du torrent a été réduit à ses dimensions convenables et nécessaires; de longs espaces d'un terrain composé du plus fertile limon ont été conquis à qui en appartient la jouissance, l'administration? à qui la propriété? Seront-ils partagés? serontils vendus? quand ? comment? et qu'en deviendra le prix ? De toute la matière que nous discutons, c'est peut-être là la partie la plus importante et la plus difficile. Eh bien! la loi demeure complétement muette sur toutes ces questions.

Prétendra-t-on qu'elles sont résolues par l'art. 41, qui donne au gouvernement la faculté de concéder, aux conditions qui seront réglées, le droit d'endiguage, les accrues, attérissements et alluvions des fleuves, rivières et torrents? Mais cet article ajoute immédiatement : « quant à ceux de ces objets qui forment propriété publique ou domaniale. Or, quels sont-ils, ces objets? Quand les alluvions et les attérissements des fleuves et rivières, que le Code civil donne toujours aux riverains pour le premier de ces objets et souvent pour le second, quand appartiennent-ils à l'État ? Est-ce lorsqu'il a fait tous les frais des travaux dont ils sont le résultat? ou lorsqu'il en a payé la majeure partie? Quid, s'il y a tout à la fois alluvion naturelle et alluvion artificielle ? Quid, s'il s'agit de cours d'eau dont le domaine utile, ou tout au moins l'usufruit, a été réservé aux riverains? (Je ne parle pas de propriété, afin de réserver la question la plus délicate du sujet.)

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