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quintal, ceux des districts de l'Inde qui reçoivent des sucres étrangers exceptés. Les provenances de ces districts payeront 23 francs 30 cent.

Sur les sucres bruts étrangers produits du travail libre, à 29 francs 15 cent.

Sur les sucres terrés des colonies anglaises, à 20 fr. 40 cent. ; et sur ceux qui sont importés des districts de l'Inde sus-mentionnés, à 27 fr. 25 cent.

Sur les sucres terrés étrangers, produits du travail libre, à 35 fr. Enfin on supprime le droit prohibitif sur le sucre raffiné venant de celles des possessions anglaises qui peuvent importer du sucre brut au droit de 17 fr. 50 cent., et on établit sur ce sucre un droit d'importation proportionnel, à savoir sur le sucre raffiné 23 fr. 30 cent., et 26 fr. 25 cent. sur le double raffiné. C'est là une innovation considérable. Jusqu'à présent, le droit sur le sucre raffiné des colonies anglaises a été prohibitif. D'après le projet, cette prohibition est levée, mais seulement pour les colonies dont les produits bruts payent 17 fr. 50 cent. Ces colonies peuvent désormais raffiner leur sucre en payant 23 fr. 30 cent. par quintal, et une surtaxe de 2 fr. 90 cent. pour la qualité supérieure appelée en Angleterre doublerefined. Cela est tout bonnement la suppression d'un monopole onéreux. Il est vrai que la surtaxe protégera encore la raffinerie de la métropole. Cependant le principe est consacré, la voie est ouverte, et comme le plan de sir Robert Peel est adopté, il sera désormais facile d'étendre la faculté qu'on propose d'accorder aux colonies.

On a dû naturellement examiner l'effet que produira ce changement dans la taxe du sucre. La production du sucre des colonies anglaises est estimée à environ 250,000 tonneaux ; 140,000 tonneaux pour les Indes Occidentales; 40,000 tonneaux pour l'île Maurice, et 70,000 pour l'Inde anglaise. La consommation actuelle de la Grande-Bretagne est estimée à 207,000 tonneaux par an. Sir Robert Peel pense qu'elle s'élèvera, par suite de la réduction des droits, à 250,000 tonneaux, savoir: 160,000 tonneaux de moscouades britanniques rapportant, au droit de 17 fr. 50 cent., 56 millions; 70,000 tonneaux de sucre terré, à 20 fr. 40 cent. de droit, donnant 28,500,000 fr.; ensuite 5,000 tonneaux de moscouades étrangères acquittant 29 fr. 15 cent., et rendant 2,917,500 fr.; enfin 15,000 tonneaux de sucre étranger terré donnant, au droit de 35 fr. le quintal, 10,500,000 fr. Le revenu total du sucre serait, d'après ces calculs, de 97,917,500 f. Il était l'année dernière de 130,400,000f.: il y aurait par conséquent sur cet article un déficit de 32,500,000 fr. Telles seraient les nouvelles conditions dans lesquelles se trouveraient les sucres en Angleterre.

Le second changement porte sur les cotons en laine. Pour cet article, la taxe sera complétement supprimée. Le droit actuel est

de 3 centimes, 11 par livre. Mais comme les 4 cinquièmes seulement de la masse des cotons bruts importés en Angleterre sont destinés à la manufacture, le produit total du droit doit être réparti sur cette masse, et dès lors la taxe pour chaque livre ressort à 3 centimes, 75. Comme le prix du coton brut est, terme moyen, de 40 cent. par livre, 3,75 centimes donnent 9 pour cent du prix d'achat. Lorsque le prix du coton descend à 30 centimes, comme cela arrive quelquefois, le droit s'élève alors à 12 et demi pour cent de la valeur de la matière brute. Le droit, on le comprend aisément, atteint plus particulièrement les tissus de qualité inférieure sur les mousselines, par exemple, le droit est insensible, tandis qu'il est fort élevé sur les calicots et sur d'autres ouvrages de coton. Les gros tissus anglais éprouvent une concurrence redoutable dans l'Amérique du Sud, en Chine et dans les colonies anglaises elles-mêmes. Sir Robert Peel fait valoir, à l'appui de la suppression de ce droit, la situation des classes ouvrières, et il ne déroge point ici aux habitudes des hommes d'État de son pays, qui savent très-bien que les sentiments philanthropiques réels ou affectés produisent toujours un certain effet sur une portion du Parlement. Au fond, les ouvriers ne profiteront guère de la réduction du droit, car le fabricant baissera aussitôt le prix des marchandises dans la même proportion pour rivaliser plus avantageusement avec les compétiteurs étrangers, et l'ouvrier ne recevra aucune augmentation de salaire, à moins qu'une plus grande consommation n'amène une plus grande demande. Une pareille élévation de salaire ne serait, du reste,que momentanée. La perte qui résultera de la suppression complète du droit sur le coton en laine est évaluée à 17 millions de francs.

Le tarif anglais contient 813 articles. En 1842, on avait abaissé les droits sur un très-grand nombre de marchandises; cette fois il s'agit de faire disparaître 430 articles du tarif. Cette élimination, non compris le coton en laine, donnera une perte de 8 millions de francs. Parmi les articles supprimés, on remarque le lin, le chanvre, la soie, les bois d'ébénisterie et de tonnellerie, etc. Enfin, on supprime la seule taxe à l'exportation qui existe encore, celle sur la houille, qui rapporte à peu près 3 millions.

La réforme douanière sera complétée par la réforme de certains impôts. Parmi les droits d'accise, on réduira le prélèvement qui est fait sur la vente des propriétés aux enchères. Un pareil mode, outre qu'il crée une exception dans l'aliénation des propriétés foncières, entraîne encore de tels frais de perception, qu'en définitive cet impôt, onéreux pour ceux qui le supportent, ne rend que très-peu au Trésor. Il n'existe pas depuis fort longtemps, et son produit ne dépasse pas 7,500,000 fr. Mais, comme nous l'avons dit, les frais d'administration et de perception sont tellement élevés, qu'ils absorbent une grande partie de ce revenu. Le droit actuel sera remplacé par une simple licence, dont le prix variera de 125 à 175 fr. Ce n'est là

qu'un détail du projet de sir Robert Peel; mais il a un caractère particulier, puisqu'il tend à faciliter l'aliénation des propriétés foncières dans un intérêt commercial et manufacturier, comme le premier lord de la Trésorerie le dit lui-même. Ce droit, qui a rapporté jusqu'à présent 7 millions et demi de francs, ne rendra plus, d'après la nouvelle combinaison, que 1,500,000 fr.

En Angleterre, la fabrication du verre est frappée de taxes trèsconsidérables, qui ont rapporté au Trésor, dans le dernier exercice, 16,500,000 fr. Cet impôt sera totalement supprimé, et la fabrication du verre assimilée à celle des pâtes céramiques, qui n'est grevée d'aucun droit. L'Angleterre est à peu près le seul pays où la fabrication du verre soit frappée d'un droit spécial assez élevé pour en entraver l'exportation. Qu'arrive-t-il? ce produit n'a qu'un faible débouché à l'étranger; les verres et cristaux des autres pays arrivent au contraire dans les entrepôts de la Grande-Bretagne, et se réexportent en assez grandes masses sans être assujettis à aucun impôt. Cet état de choses est naturellement très-défavorable à la fabrication indigène il arrête tous les perfectionnements et rend la production stationnaire, tant sous le rapport des quantités que sous celui de la qualité. Les pâtes céramiques, qui ne sont pas assujetties au même impôt, sont, au contraire, l'objet d'un commerce très-important. On en a exporté, en 1844, pour près de 19 millions de francs, tandis que la valeur du verre livré à la consommation étrangère n'a pas dépassé 9,500,000 fr. La perception de cet impôt est fort onéreuse elle coûte, pour le flint-glass, si utile aux sciences appliquées et pour la fabrication duquel l'Angleterre a une supériorité incontestée, elle coûte, disons-nous, près de 60 pour cent. Un autre fait révèle également l'influence désastreuse de l'impôt sur le verre. Il y a dans la Grande-Bretagne 3,500,000 maisons, et cependant il n'y a que 500,000 de ces maisons soumises à la taxe des fenêtres. Si, d'une part, on évite de percer des croisées pour échapper à la taxe, il faut avouer que, d'un autre côté, le prix élevé du verre contribue également à perpétuer cette privation que s'imposent les classes pauvres en renonçant à l'air et au jour.

Les différentes réductions de taxes que nous venons d'énumérer donnent ensemble un déficit de 83 millions de francs, c'est-à-dire presque l'équivalent de l'excédant des recettes sur les dépenses. Cependant les réformes projetées par sir Robert Peel ne sont pas les seules qui sont demandées par l'opinion publique. Les droits sur le thé et les taxes intérieures sur les fenêtres et le papier ont été l'objet de réclamations nombreuses, et ont donné lieu à plusieurs associations, à des réunions où les modifications ont été examinées avec beaucoup de vivacité et de chaleur. Ces réformes auront sans doute leur tour, du moins celles qui sont relatives à l'impôt sur les fenêtres et sur la fabrication du papier. L'œuvre de sir Robert Peel n'est pas complète;

mais, telle qu'elle est, elle porte l'empreinte d'un esprit supérieur qui comprend très-bien les nécessités de son temps et de son pays, et qui gouverne son propre parti avec assez de vigueur pour lui arracher des concessions qui s'éloignent évidemment des traditions et des inclinations des torys. Les réformes sur les taxes intérieures portent précisé ment sur celles de ces taxes qui gênent le développement de l'industrie et du commerce extérieur, qui sont d'une perception coûteuse et qui aggravent la situation des classes inférieures. On voit que le choix des réductions a été fait avec beaucoup de sagacité, et que l'intelligence fiscale a marché de pair avec les nécessités industrielles. Les réductions n'ont pas été faites pour donner satisfaction à des réclamations isolées. Il y a tout un système dans les tentatives de sir Robert Peel, et lorsqu'il dit lui-même qu'il fait une épreuve hardie, il révèle toute l'étendue de son plan. Il s'agit de placer la propriété territoriale et l'industrie manufacturière dans des conditions respectivement plus équitables, de poursuivre la réforme des priviléges économiques pour entamer plus tard, avec plus de sécurité, celle des priviléges politiques. C'est avec le sentiment des transformations sociales inévitables que le premier ministre de la Grande-Bretagne a mis la main à l'œuvre. Les différents changements qu'il a projetés et en partie déjà réalisés sont parfaitement coordonnés entre eux, et il a entraîné avec toute la vigueur d'un homme de génie le Parlement dans le cercle de ses vues. Ce n'est pas que son plan n'ait rencontré aucune objection : il a été critiqué dans plusieurs de ses parties, et un homme éminent, lord John Russell, a particulièrement attaqué la nouvelle tarification des sucres. Il y a en effet dans cette partie du tarif projeté de singulières anomalies.

On sait que le sucre produit par les esclaves est frappé en Angleterre d'un droit tellement élevé (plus de 80 fr. par quintal), qu'il équivaut à une prohibition. Lord John Russell a vivement attaqué cette disposition. Il en a montré l'inconséquence et les fâcheux effets pour les relations commerciales de l'Angleterre. Le but de l'exception est, en apparence, entièrement philanthropique; mais, au fond, il tient à la politique commerciale qui tend à ruiner par tous les moyens possibles les possessions coloniales, et surtout les cultures tropicales des autres peuples. Si l'on arrivait à ce résultat, ce qui nous paraît du reste plus que problématique, l'Angleterre y trouverait de nouveaux éléments pour sa puissance coloniale, et elle aurait un moyen de plus de se rendre maîtresse des marchés étrangers pour les approvisionner de ses denrées tropicales. Mais, nous le répétons, ce plan, qui emprunte le masque de la philanthropie, ne donnera jamais les résultats qu'on en espère. Si, en prescrivant de pareilles mesures, on n'avait en vue que l'abolition de l'esclavage, on les aurait généralisées. Des traités que l'Angleterre a avec certaines puissances, l'État de Venezuela entre autres, autorisent l'admission des sucres produits par des esclaves, sinon d'une manière directe, du moins par voie détournée. Sir Robert

Peel a, du reste, fait des réserves pour ces cas spéciaux. D'un autre côté, si, en refusant les sucres du Brésil par exemple, on avait spécialement en vue l'abolition de l'esclavage, il aurait fallu prohiber en même temps le coton, le tabac et une foule d'autres marchandises du Brésil et des États-Unis, qui sont produites par des esclaves. On aurait également exclu de la Grande-Bretagne certaines provenances de Java et celles de l'Inde anglaise elle-même où l'esclavage continue à exister sur une très-vaste échelle. C'est ainsi qu'on aurait montré que l'abolition de l'esclavage était la pensée qui avait dicté les termes du tarif. En excluant les sucres du Brésil et de Cuba, on ne sert point réellement les intérêts de la cause qu'on veut défendre, et il apparaît trop clairement qu'on veut plutôt ruiner les possessions coloniales des autres peuples qu'abolir sérieusement l'esclavage, cette honte de l'humanité qui semble être un démenti vivant donné à la civilisation du dix-neuvième siècle. Jusqu'à présent, l'exception prononcée contre certains sucres produits par les esclaves n'a eu d'autre résultat que de ralentir les relations commerciales de l'Angleterre avec les pays qui ont été l'objet de cette exclusion. Lord John Russell, en combattant le projet de sir Robert Peel, s'est placé sur le terrain que nous venons d'indiquer. Il a proposé un amendement qui réduisait les droits sur les sucres des colonies anglaises à 12 fr. 50 cent. par quintal, et sur les sucres étrangers de toute provenance, qu'ils fussent le produit du travail libre ou du travail des esclaves, à 22 fr. 50 c. par quintal. Il a cherché à établir à l'appui de cet amendement qu'on obtiendrait une affluence plus soutenue des sucres étrangers; qu'on arriverait à une consommation plus considérable par suite de la baisse du prix, résultat certain de la concurrence; que cet accroissement réagirait sur les recettes du Trésor, et qu'enfin, l'interdit étant levé, il serait plus facile de conclure avantageusement des traités de commerce avec le Brésil et l'Espagne dont les sucres sont repoussés par la législation actuelle. Ces arguments avaient certainement leur valeur. Lord John Russell s'est placé à un autre point de vue, plus vrai que celui de sir Robert Peel. Si le marché anglais était le seul débouché pour les sucres du Brésil et de Cuba, on concevrait que leur exclusion de la Grande-Bretagne dût porter une atteinte sérieuse à l'esclavage dans ces deux pays. Mais comme la prohibition n'existe qu'en Angleterre, la denrée se dirige sur les autres marchés, où elle ne rencontre plus les sucres coloniaux de l'Angleterre en aussi grande abondance, puisque ces sucres, à défaut de ceux du Brésil et de Cuba, alimentent la consommation de la métropole. Malgré le talent avec lequel lord John Russell a développé son amendement, il a été repoussé, il est vrai à une majorité beaucoup moins forte que celle que le ministère a obtenue sur d'autres points depuis l'ouverture de la session du Parlement. Les autres amendements qui ont été présentés dans la discussion ont eu le même sort, et le projet a triomphé de toutes les résistances.

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