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d'appliquer le bienfait. On a pu dès lors discuter le meilleur moyen à employer pour rentrer dans les vues du testateur. On a reconnu les inconvénients que présenterait la construction d'une maison de convalescence, qui serait toujours insuffisante pour contenir tous ceux qui voudraient y entrer et à la sortie de laquelle se présenterait en perspective le même dénûment qu'à la sortie de l'hôpital; on a donc adopté le système des secours directs, et, grâce à la latitude laissée par le testament, on a pu modifier successivement le mode employé, par suite des inconvénients qui se manifestaient dans la pratique. Ainsi, le secours donné indistinctement en argent à tous ceux qui sortaient de l'hôpital donnait lieu à de coupables spéculations; le nombre des entrées à l'hôpital augmentait, et l'aumône était dépensée dans les cabarets à la sortie. On a pu modifier le règlement relatif à la distribution des secours, et l'on s'est rapproché davantage des intentions mêmes du testateur en ne l'appliquant qu'à ceux des convalescents qui en ont le plus besoin.

M. de Montyon, mort le 29 décembre 1820, laissait une fortune de près de sept millions, dont il donnait six huitièmes aux pauvres, et deux huitièmes pour des libéralités à distribuer par les académies, dans l'intérêt des mœurs, des sciences et des arts. La partie la plus importante de cette fortune était donnée ainsi aux pauvres convalescents des douze arrondissements de Paris', et la somme de 243,000 fr. leur est en conséquence annuellement distribuée. Cette distribution est faite par les bureaux de bienfaisance pour ceux des indigents qui sont inscrits sur leurs listes; et, pour les autres convalescents, il a été institué une commission centrale composée d'un délégué de chaque bureau, présidée par un membre du conseil général des hospices. Les secours sont fournis en argent, en denrées et en vêtements, à la suite de visites faites au domicile des malheureux, ce qui évite de donner à ceux qui n'en sont pas dignes. Il serait à désirer que les autres fondations eussent d'aussi bons résultats.

On rencontre dans les environs de Saint-Clond des vieillards vêtus d'une manière uniforme, et dont l'existence paraît être fort douce; ce sont les habitants du bel hospice de la Reconnaissance, ouvert à Garches en 1833, sur les fonds laissés à cet effet par M. Brezin. Il contient 300 lits destinés à des ouvriers pauvres âgés d'au moins 60 ans, et ayant exercé une profession où l'on travaille les métaux; il paraît répondre à sa destination. Si cependant on voulait questionner ces vieux pensionnaires, on apprendrait bientôt que tous se plaignent de leur sort, et ne manquent jamais l'occasion d'exprimer le regret

1 M. de Montyon s'était si peu enquis de la forme donnée aux institutions hospitalières, qu'il se sert des termes suivants : « Je lègue à chacun des hospices des départements a de Paris, etc.....; pour être distribué aux pauvres qui sortiront de ces hospices..... Et « comme il y a douze départements, etc..... » Il est évident qu'il a mis les mots hospices pour hôpitaux, et départements pour arrondissements.

que la somme consacrée à leur entretien ne leur soit pas donnée sous forme de secours, en leur laissant la liberté de leurs actions. C'est que l'hospice n'est jamais la famille, qu'il éloigne le vieillard de ceux dont les soins lui pourraient être chers, qu'il le force à rompre d'anciennes habitudes; qu'il met souvent en contact les mauvaises passions, qu'enfin s'il fait exister, il ne donne pas satisfaction aux besoins moraux.

Il est au reste une autre fondation qui met bien autrement en évidence les inconvénients que peuvent avoir de semblables établissements. M. Boulard a voulu procurer une retraite paisible à douze vieillards, anciens ouvriers tapissiers. Il avait lui-même arrêté les plans de l'hospice, auquel il donnait le nom de saint Michel son patron; il y désignait la place de son tombeau, et après lui on a dû suivre ses volontés. La construction de l'édifice a absorbé 630,000 fr., et une somme de 418,000 fr. a été placée ensuite pour que le revenu servit à l'entretien des 12 pensionnaires et d'un personnel non moins nombreux, nécessaire à la tenue de l'établissement. Chaque vieillard pauvre, séparé de sa famille, représente ainsi, pour son entretien et son logement, une dépense annuelle d'environ cinq mille francs. Après avoir signalé plusieurs des inconvénients qu'entraînent avec elles les fondations, Turgot avait donc raison d'ajouter : « Je n'ai rien dit encore du luxe des édifices et du faste qui environne les grandes fondations; ce serait quelquefois évaluer bien favorablement leur utilité, que de l'estimer à la centième partie de la dépense'. »

Que ceux qui demandent un grand budget pour l'indigence songent donc que de grandes ressources ne suffisent pas pour faire le bien, et qu'un grand budget nécessite de grands frais d'administration, et traîne à sa suite de grands abus. Au lieu de lever une taxe des pauvres, laissez au contraire à chacun le prix de son travail, étendez les moyens d'instruction, développez l'esprit de prévoyance, et au lieu de vous charger d'adopter les enfants et de nourrir les vieillards, travaillez par tous les moyens à resserrer les liens de la famille, encouragez l'esprit d'association, secondez ensuite la charité privée dans ses efforts; car en voulant aller au delà, vous ne trouverez que déception et impuissance!

HORACE SAY.

'OEuvres de Turgot, édition de M. Guillaumin, tome 1, page 304.

STATISTIQUE COMMERCIALE

DE LA BELGIQUE.

Nous accueillons avec reconnaissance l'article suivant, dû à la plume d'un économiste distingué que la pratique des affaires a rendu méticuleux en matière de statistique, et qui n'accepte que sous bénéfice d'inventaire les résultats officiels publiés chaque année dans son pays. M. Charles de Brouckère relève ce qu'il croit des erreurs dans les divers documents que nous a fournis notre savant collaborateur M. le comte Arrivabène; mais il faut bien que le lecteur comprenne que ce n'est pas à ce dernier ce dernier que s'adresse la critique de M. de Brouckère, mais bien aux sources officielles auxquelles a puisé M. Arrivabène.

Le Journal des Économistes a plus d'une fois entretenu ses lecteurs de l'importance de la statistique, mais en même temps il a insisté sur la nécessité d'être exact, rigoureux dans l'appréciation des éléments, déplorant la facilité avec laquelle les hommes les plus pratiques se laissent aller à faire de la stastistique approximative.

Nous croyons que le journal rendrait un service réel à tous ceux qui s'occupent d'économie sociale, s'il accompagnait de commentaires propres à les apprécier les aperçus qu'il publie sur la situation commerciale des différents pays. Nous allons essayer d'appliquer notre pensée à deux articles qui ont paru en 1842 et 1844 sur la Belgique.

Au mois de février 1844, un savant italien, qui depuis longtemps habite la Belgique, fournit une série de documents sur notre pays, documents qu'il puisa à des sources officielles, et qui malheureusement ne méritent aucun crédit, lorsqu'ils ne sont pas expliqués, commentés.

Ainsi, d'après la statistique du gouvernement, les importations de marchandises étrangères consommées en Belgique se sont élevées à 210,029,933 fr., et les exportations de produits belges seulement à 154,138,707 fr. pour l'année 1841. Voilà donc une différence de 55,891,226 fr. en faveur des importations. Ce fait isolé mériterait déjà de graves réflexions; à plus forte raison on doit s'arrêter devant un résultat aussi anormal, quand il se reproduit tous les ans. Or, il résulte des documents publiés par M. Arrivabène, que pendant la période quinquennale de 1836 à 1840 inclusivement, le résultat

moyen du mouvement commercial ne diffère pas de 2 p. 100 de celui de 1841.

En résumé donc, la Belgique aurait consommé pour 1,183,716,000 francs de produits étrangers, et n'aurait exporté de ses produits que pour 882,893,000 fr. dans l'espace de six ans, depuis 1836 jusqu'en 1841.

Cette énorme différence entre les importations et les exportations a été prise au sérieux par les uns, a merveilleusement servi les autres. Une enquête parlementaire a remué le pays; l'établissement de droits différentiels suivant les pavillons et les provenances, a couronné cette œuvre, toujours sous le prétexte spécieux d'un défaut d'équilibre dans la balance commerciale.

Depuis lors le gouvernement a continué son travail, et l'année 1844 a vu paraître successivement les statistiques commerciales de 1842 et de 1843.

En 1842, suivant les documents officiels, la Belgique a consommé pour 234,247,281 fr. de produits étrangers; elle n'a exporté en retour que pour 142,069,162 fr.

En 1843, les importations ont été réduites à une valeur de 216,417,629 fr. ; les exportations au contraire ont pris quelque extension; elles ont atteint 156,229,238 fr.

Sans entrer dans aucune des explications que le gouvernement a données pour justifier les différences entre 1842 et 1843 sur quelques articles spéciaux, nous constatons que pendant les deux dernières années les importations ont surpassé les exportations de 152,366,510 fr., c'est-à-dire de 50 p. 100.

Cette série non interrompue de résultats identiques au fond, et dont l'expression varie seulement en grandeur, est due à une double

erreur.

L'auteur, et par ce nom nous désignons celui sous l'inspiration duquel les ministres ont agi; celui qui, directeur du commerce et de l'industrie, a posé les bases de notre statistique commerciale, est parti de chiffres vicieux; il a attaché une fixité déplorable à des prix faussement cotés dès l'origine.

Cette double erreur rend impossible toute appréciation de notre position commerciale; elle a produit les paradoxes les plus étranges dans l'enquête parlementaire de 1840, amené les conséquences les plus absurdes dans les débats parlementaires. Nous allons en montrer toute l'énormité.

Le prix du zinc brut a été établi à 90 fr., et celui du métal laminé à 120 fr. pour 100 kilogrammes, par l'auteur des tableaux généraux du commerce de la Belgique. Or, la façon du laminage est une chose connue, constante; elle se vend 6 fr. par 100 kilogr. depuis plus de 10 ans en outre, la différence des prix marchands du métal sous les deux formes ne dépasse jamais, atteint rarement 12 fr. Le prix

du zinc brut, au contraire, est très-variable; il a parcouru successivement et d'une manière fort irrégulière toute la distance qui sépare 35 de 87; mais le prix de 87 fr. ' par 100 kilogr. ne s'est présenté qu'une seule fois, il n'a duré qu'un moment. Dans l'année 1843, le prix du métal brut a été de 60 fr., celui du métal laminé, dans les mêmes conditions, de 66 fr. seulement.

En faisant l'application de ces valeurs aux quantités qui, ayant été fabriquées en Belgique, ont été exportées en 1843, on obtient:

Zinc brut. . . .
laminé.

3,719,475 kilog. Valeur en francs, 2,231,685 »»
1,019,640

Total. . . . .

672,962 40 2,904,647 40

Aux prix fabuleux que le gouvernement a fixés, les exportations en zinc se seraient élévées à la valeur de 4,581,095 fr. 50 c.. chiffres que signale la statistique officielle, et qui constituent une erreur de 1,676,448 fr. 10 c., ou de plus de la moitié de l'exportation réelle.

Depuis, les prix du zinc ont baissé, et, par des causes qu'il est inutile d'énumérer, la baisse n'a pas été uniforme; elle a atteint le métal brut de 8 fr. et le métal laminé de 3 fr. seulement par 100 kilogr. La fixité des éléments officiels donnera pour 1844 une appréciation, non plus de 57, mais de 80 p. 100 au delà de la réalité.

Sans abandonner le zinc, nous passons aux importations, et nous allons trouver des erreurs plus saillantes encore, ou plutôt plus

monstrueuses.

Il est entré en Belgique 10,080,700 kilogr. de calamine provenant de Moresnet ou de la Vieille-Montagne, au prix officiel de 40 c. le kilogr., et par conséquent pour une valeur de 4,032,280 fr.

Pour celui qui sait que la bonne calamine ne rend que 35 à 36 p. 100 de métal, il résulte clairement que la calamine de Moresnet consommée en Belgique avait, suivant le gouvernement, une valeur qui dépassait de 800,000 fr. environ celle du zinc qui en a été extrait. Si à cette première donnée technique on en joint une autre, à savoir que le minerai n'entre pas pour un tiers dans la dépense de production du métal, on sera conduit à tuer, à assassiner officiellement une industrie dont la prospérité est notoire, palpable.

La valeur commerciale de la calamine est de 8 c. par kilogr.; nous prouverons plus tard que le chiffre officiel ne devrait être que 8 dixièmes de centime, mais pour le moment nous nous arrêtons à la valeur marchande. Appliquée aux importations de 1843, elle réduit celles de calamine à 806,456 fr. ; elle les réduit dans le rapport de 5 à 1. Le zinc importé en Belgique figure pour 890,230 kilogr. au prix de 90 fr. que nous avons signalé ailleurs.

Les prix les plus élevés ont été atteints en 1842 seulement, tandis que c'est en 1833 que le gouvernement a posé les chiffres officiels. A cette époque le zinc brut ne valait pas plus de 35 fr., il avait atteint sa plus basse limite.

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