Page images
PDF
EPUB

fabrique des chapeaux et des draps, aussi bien que les drogues pour la composition des teintures, les épiceries, les sucres, les savons et les cuirs dont on ne peut se passer, et qui ne se trouvent point dans le royaume. »

Et plus bas : « Nos voisins, qui considèrent le commerce comme la principale force de leurs Etats, n'en usent pas de même; ils connaissent, par expérience, que la liberté, soit aux marchandises, soit aux personnes, fait fleurir le négoce, qu'aux lieux où elles sont exemptes d'impositions il s'en trouve abondamment, et lorsqu'il est permis indifféremment à toutes personnes d'en faire apporter, que le peuple en est fourni à bon marché. >>

Ainsi, avant Colbert, la France avait des manufactures florissantes. Elle payait 90 millions d'impôts. Le roi, il est vrai, n'en recevait guère que trentecinq; mais, si l'argent se perdait en route, le pays ne payait pas moins.

Ce fut le fameux règlement de 1667 qui donna à Colbert la réputation qu'il a gardée. Mais à bien d'autres titres Colbert fut un grand ministre et un homme de bien, Comme Turgot, il reporta à la frontière les impôts entre États; il créa les entrepôts, il établit les ports francs.

C'était le temps des impôts de consommation. L'Angleterre donnait l'exemple; Colbert suivit l'impulsion.-Lorsqu'on songe que l'Angleterre paye chaque année plus d'un milliard en impôts de consommation, et qu'en France chaque année aussi ces impôts s'accroissent de 10 à 15 millions, il faut avoir une foi bien robuste dans leur iniquité pour les rejeter et blâmer Colbert et Walpole. Ce qui fit de Colbert un grand ministre, ce fut surtout l'ordre qu'il mit à tout ce qu'il toucha. Vérité ou erreur, tout fut méthodique, tout fut étudié, médité, assis.

Il voulait à tout prix certains produits : il ferma la porte aux produits similaires et paya les entrepreneurs de l'intérieur.

Il voulait accroître la population: il donna une prime à la faculté prolifique; il voulait des éloges pour Louis XIV, il paya les gens de lettres et retrancha la pension de ceux qui osajent critiquer la finance.

Sully avait affranchi les blés; Colbert n'en voulut jamais permettre l'exportation. Tant que dura l'abondance, il se félicitait; le blé était à bas prix, il défendait de l'emmagasiner on le vendait, on le donnait; Colbert croyait avoir résolu un grand problème. Mais la rareté survint, la France fut prise au dépourvu, et la famine détruisit en un moment tout l'échafaudage de la fausse doctrine.

Colbert fonda les colonies; ces quatre mots sont-ils un blame ou un éloge? Nous le laissons à décider.

L'Académie du Gard, nous l'avons déjà dit, fait bon marché des difficultés. Elle met sans façon au concours une question qui, dans l'état actuel des choses, exigerait plusieurs années d'étude, de voyages et de méditations. Voici son programme sur cette question:

« Des avantages et des inconvénients comparés de la grande et de la petite « culture, au point de vue des produits et des frais d'exploitation. >>

« Les concurrents examineront la question par rapport aux diverses natures de terrain, et rechercheront dans quel cas il semble que la grande culture soit préférable à l'autre et vice versa. L'Académie décernera pareillement, en août 1845, une médaille d'or, de la valeur de 300 fr., à l'auteur qui traitera le mieux cette question, objet d'une assez vive controverse depuis quelques années. >> Jusqu'à présent, il existe peu de matériaux pour l'histoire des modifications que la division de la propriétés a apportée à la fortune publique. Le Mémoire

de M. H. Passy, que nous avons publié dans le cahier du Journal des Economistes du mois de septembre dernier, est le commencement d'un travail que prépare le savant académi cien sur cette grave question.

Ce n'est pas en France seulement qu'elle préoccupe les esprits: l'un de nos collaborateurs étrangers, attaché au gouvernement de l'Inde, est venu tout exprès à Paris pour l'étudier, afin d'appliquer, sur les bords du Gange, le résultat de ses observations; mais il a bientôt reconnu qu'il faudrait plus d'une année de voyages pour arriver à quelque donnée positive. Il a dû se contenter des aperçus qu'il a puisés dans la conversation des économistes français.

Lorsque le ministre a nommé des inspecteurs de l'agriculture, nous avions eu un moment l'espoir qu'ils seraient appelés à élaborer ces importantes questions. Certes, si nous avions eu l'honneur de rédiger le programme de leurs fonctions, nous aurions pris soin que le pays tirât de leurs tournées autre chose que le nombre d'hectolitres de pommes de terre que donne le sol argileux, comparé au loam ou au sable, ou à la terre franche. Mais le pli est pris; les inspecteurs sont et resteront agriculteurs. Ils rendront des services, sans doute, mais n'avanceront que l'art, sans toucher aux questions de haute administration.

Dieu merci, la France n'en est pas à se repentir d'avoir partagé son sol entre ses enfants. Dix millions de cotes, d'ailleurs, c'est-à-dire moins de dix millions de propriétaires, cinq millions peut-être, ne sont pas encore une division bien émiettée pour 56 millions d'hectares, surtout si l'on considère que la propriété bâtie se trouve comprise dans ce chiffre.

Autour des villes, partout où les productions jardinières peuvent trouver un facile écoulement, la division a produit des richesses incontestables; là, le travail laisse un excédant prodigieux, qui s'accumule et produit à son tour.

Dans l'intérieur, loin des débouchés, la division a dû produire et a produit des effets funestes. Il existe en France une vallée fertile entre toutes les autres, c'est la Limagne; là, le sol est coupé en misérables lambeaux; là, le propriétaire est l'être le plus misérable qui se puisse voir. Il cultive le blé, mais à proprement parler, il mange la paille. Son pain est un mélange indigeste de farine, de son, de paille; à peine sait-il qu'il existe de la viande de boucherie; ses vêtements sont de toile, l'hiver comme l'été. D'où vient ce triste état? n'est-ce pas que, manquant de débouchés, sa culture est bornée aux céréales, et que les céréales ne se vendent pas comme les fruits et les légumes? Ce que le paysan a recherché, ce qu'il doit rechercher toujours, c'est un atelier où le travail soit assuré. Or, la terre, surtout quand le jardinage l'occupe, atteint ce but parfaitement. Certes, la culture d'un hectare de blé, si ce produit se vend moins cher qu'un hectare de légumes, est aussi moins dispendieuse en main-d'œuvre; deux labours, un hersage, et chacun se repose. Mais qu'importe à celui qui a des bras et n'a que cela? plus il travaille, plus il gagne; il recherche de préférence un théâtre où le travail soit constant, il sait que la valeur qu'il met ainsi dans la culture sera payée par ses produits. Pour traiter la question posée par l'Académie du Gard, il est une vérité que les concurrents ne devront pas perdre de vue, c'est que tout travail de production doit laisser un excédant après la consommation qui a été nécessaire à cette production.

Si, pour produire un hectolitre de blé, on dépense en argent de salaire, en semences, en loyer du sol, en intérêt du capital d'acquisition, une somme égale ou supérieure à un hectolitre de blé, cette culture est vicieuse.

Plus la production est supérieure à la consommation, plus elle est convenable. Or, à moins de positions privilégiées, la grande culture coûte moins que la petite culture; done, en théorie, il faut préférer la grande culture. Mais il est bien clair que si la petite culture, qui ne produit que ce qu'elle dépense, donne cependant du pain à trois travailleurs, et que la grande culture, en produisant autant, laisse oisif l'un de ces trois hommes, sans lui faire aucune part de son excédant de production, il faut lui préférer la petite culture. Pour résoudre la question posée par l'Académie du Gard, il faut donc faire un traité sur chaque département, sur chaque contrée, sur chaque vallée, sur chaque montagne. Le tente qui osera.

Le congrès vinicole s'est réuni à Bordeaux le mois dernier. Il va sans dire qu'on a parlé de l'encombrement des caves, de la répartition de l'impôt, des octrois, de la contribution foncière. Le bon et le mauvais ont tour à tour eu leur part. Le vrai et le faux se sont alternativement fait jour et ont captivé l'attention. Hâtons-nous de dire que le vrai l'a emporté sur le faux.

L'année dernière, les vins ont renchéri d'une manière inusitée. La vigne avait manqué dans le pays français, la Gironde a pu vider ses caves, et il est passé à Rouen 80,000 tonnes de vins de 4 barriques. Marseille, le Languedoc, ont été mis à contribution, tout était vin de Bordeaux, tant ce dernier était devenu rare.

D'où vient donc qu'on se plaint encore? D'où viennent les plaintes? Qui les fait entendre, s'il est vrai que le vin est devenu rare à Bordeaux comme partout?

Expliquons en quelques mots cette singulière position. Ceux qui se plaignent sont les producteurs de vins fins. Il y a une vingtaine d'années que, de proche en proche, chacun à l'envi a voulu produire des grands vins. A côté d'un clos noble, on a voulu s'ennoblir. Le voisin vendait son vin 500 fr. la barrique, on a voulu goûter de ce commerce. Le luxe s'étendant avec la richesse, on a fait des vins de luxe. Le malheur est qu'on en a trop fait et que la consommation de ces vins n'a pu suivre la progression de leur production un peu folle.

Or, que peut faire à ces vins le renchérissement prononcé qu'ont subi l'an dernier tous les vins paysans? Quel bien peut faire à des vins qui valent 2 ou 3 fr. le litre la hausse qui porte de 75 c. à 1 fr. le litre de vin ordinaire? Le détenteur de ce dernier a donc pu voir ses prix s'élever de 25 p. 0/0, et a pu vider ses caves avec un grand avantage, sans pour cela qu'il se vende un litre de grand vin de plus.

Aussi, et malgré les déclarations du congrès, persistons-nous à croire fort difficile le remède à cette espèce particulière de malaise. Le commerce étranger seul, si les barrières étaient ouvertes, pourrait procurer l'écoulement de l'immense quantité de Laffitte, de Sauterne, de Saint-Emilion, de ChâteauMargaux, etc., etc., etc., qui se fabriquent aujourd'hui. C'est une fabrication de luxe, elle a été portée trop loin, les fortunes ne se sont pas accrues dans la même proportion. On fabrique de ces vins dix fois autant qu'on en fabriquait il y a 25 ans ; il n'y a pas pour eux dix fois autant de consommateurs, voilà toute la cause du mal. Etrange anomalie, aujourd'hui à Bordeaux les vins ordinaires sont fort rares, en revanche les vins rares sont fort communs. Après cela, nous rendrons pleine justice aux bons sentiments des membres du congrès vinicole. Ils ont voté pour la liberté des échanges; ils ont voté pour

T. IX. Novembre 1844.

26

l'abolition des insupportables règles qui entravent le commerce du vin. Pour toute punition, à ceux qui se plaignent du régime de la liberté dont nous jouissons, nous souhaitons d'être obligés d'apprendre la série de formalités, et les dépenses, et le travail qu'a coûté chaque goutte du vin qu'ils portent à leur bouche.

Un vote très-bien motivé a terminé le congrès vinicole de Bordeaux, le Voici :

« 1° Que les surtaxes établies au profit des villes sur les vins et les alcools soient immédiatement supprimées;

« 2° Que le dixième perçu au profit du Trésor sur les droits d'octroi soit immédiatement supprimé;

« 3o Que la conversion de l'impôt mobilier des villes en supplément d'octroi soit interdite;

«< 4° Que tous droits d'entrée et d'octroi sur les vins soient supprimés dans un délai déterminé, et par une réduction progressive. »

Un autre congrès de producteurs a eu lieu à Saint-Quentin. Cette fois, c'est de laine qu'il s'agissait. Or, comme la laine peut être produite ailleurs, le congrès s'est trouvé tout naturellement dans une position autre que celle des producteurs de vin, il a voté une augmentation du droit d'entrée.

Il est des personnes qui s'indignent de ces égoïstes manifestations; ce qui nous surprendrait, nous, c'est qu'il en fût autrement. Quoi! des hommes qui vivent d'une industrie se réunissent, et vous voudriez qu'ils eussent assez de vergogne pour taire leurs désirs de voir leurs revenus s'augmenter? Et quel moyen plus simple, moins coûteux, que celui qui consiste à obliger le consommateur à payer plus cher ? On ne regarde pas comme un malhonnête homme celui qui émet le vœu d'avoir une bonne rente bien assise sur l'État, aux frais des contribuables. Le vœu des producteurs de laine est de même genre; c'est aux gens désintéressés à se précautionner contre son application. Il y aurait quelque chose à faire cependant pour donner un peu de retenue à ceux qui crient le plus haut, ce serait de retracer le progrès qu'ont fait leurs propriétés depuis vingt ans. On verrait s'ils ont lieu de se plaindre qu'ils vendent à trop bas prix.

Ces estimables producteurs voudraient que le droit de 22 pour 100 fût reporté à 33. S'ils sont propriétaires, voici les conséquences de l'élévation qu'ils demandent. Les baux, au renouvellement, seront portés à un chiffre élevé proportionnellement à la plus-value de la laine, les propriétés augmenteront de valeur, on les vendra plus cher qu'on ne les a achetées, ou, si on les garde, on en tirera un plus grand revenu.

Quant au fermier, hélas ! il ne profitera du haut prix que durant son bail actuel; l'augmentation l'attend à fin de bail... Est-ce bien la peine de joindre sa voix à celle du propriétaire ?

FIN DU TOME NEUVIÈME.

H. DUSSARD.

De la mesure de la valeur, par M.THÉODORE Fix. . . .

-

Bud

De l'administration du département de la Seine et de la ville de Paris, vII.
get communal. -Dépenses, par M. HORACE SAY.
Résumé des votes législatifs dans la question des chemins de fer, par M. AD. BLAISE
(des Vosges)....

Pétitions relatives à l'agriculture, à l'industrie, au commerce, présentées aux Cham-
bres pendant la dernière session, par PIERRE Clément.

Revue mensuelle des travaux de l'Académie des sciences morales et politiques. OEuvres de Turgot, nouvelle édition, par MM. Eugène Daire et Hippolyte Dussard, avec une notice sur sa vie et ses ouvrages, par M. Eugène Daire. (Compte-rendu par M. MAURICE MONJEAN.).

Bulletin. Recherches statistiques sur les dépôts faits à la caisse d'épargnes . .
Discours prononcé par M. le préfet de la Seine à l'ouverture de l'assemblée des
notables commerçants appelés à élire les juges au tribunal de commerce.
Commune de Bercy . .

L'esclavage dans l'empire de Maroc.

Bibliographie.

russe...

Esprit de l'Économie politique, pår M. Ivan Golovine, auteur

Question des tabacs en Belgique, par le docteur Desaive, membre correspondant de la Société royale et centrale d'agriculture de France.

De la construction des routes d'empierrement, par M. L. Dumas, ingénieur en chef des ponts et chaussées..

De l'amélioration du régime hypothécaire en France. - Du régime hypothécaire considéré comme institution politique et sociale, par F. Pougeard, avocat à la Cour royale de Bordeaux..

Histoire du règne de Louis XVI pendant les années où l'on pouvait prévenir ou diriger la révolution française, par Joseph Droz, membre de l'Académie française et de l'Académie des sciences morales et politiques .

De la propriété et de son principe, par M. Jules Lebastier.
Chronique...

Influence des formes et des dimensions des cultures sur l'économie sociale, par
M. HIPPOLYTE PASSY, pair de France, membre de l'Institut.
Négociations commerciales avec la Belgique.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Mémoire de la chambre de commerce de Bordeaux sur la possibilité de conclure un traité de commerce entre la France et la Belgique, par M. E. WOLOWSKI.

116

Sur un projet de sociétés de statistiques départementales sous la direction du gouvernement, par M. A. LEGOYT.

124

De la réforme des impôts en Belgique comme moyen de soulager le paupérisme et d'en arrêter les progrès, par M. XAVIER HEUSCHLING.

133

Bulletin.

Pétitions relatives à l'agriculture, à l'industrie, au commerce, présentées aux Cham-
bres pendant la dernière session (suite et fin), par M. PIERRE Clément.
Notice sur les travaux des deux D'Arcet, par M. JOSEPH GARNIER.
Cours d'économie politique fait au collège de France par M. Michel Chevalier.
(Compte-rendu par M. HIPPOLYte Dussard.).

Revue mensuelle des travaux de l'Académie des sciences morales et politiques.

Des agents commerciaux à l'étranger.

Algérie.
Industrie cotonnière de la Catalogne.

Notice sur la situation du Shaara.

145

151

157

163

164

169

[ocr errors]

172

Commerce de la Russie avec la Chine.

173

Bibliographie. — Catéchisme d'Économie politique, par Henri Jouffroy..
Principios de Economia politica (Principes d'Économie politique',"avec leur
application à la réforme des tarifs de douane, etc.), par Andrès Borrego.
Tarif officiel des douanes de France.

174

175

178

La France et l'Angleterre comparées, par M. Catineau La Roche.
Enseignement élémentaire universel, par MM. Andrieux de Brioude, Louis
Baudet, etc... .

179

180

Les femmes en prison; causes de leurs chutes; moyen de les relever, par
Mule Joséphine Mallet.

181

« PreviousContinue »