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dans les Chambres et hors des Chambres: mais qu'il leur tienne tête à tous ces organes d'intérêts partiels, qui, tous, demandent aide et protection pour euxmêmes, sans jamais songer aux autres, si ce n'est pour se les sacrifier, et il aura bien mérité de son pays.

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DES TRAVAUX DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

Les séances de l'Académie des sciences morales et politiques présentent d'ordinaire peu d'intérêt pendant le mois de septembre; cette année a été, sous ce rapport, moins heureuse encore que celles qui l'ont précédée; sept à huit membres, restés fidèles à leur poste, ont semblé seuls protester par leur présence contre le projet toujours en suspens d'interrompre les séances académiques pendant les vacances judiciaires. Il y a eu cette année une telle pénurie de lectures et de communications, qu'il a fallu faire plusieurs fois appel au zèle toujours empressé de M. Berriat Saint-Prix, qui a défrayé plusieurs séances. L'honorable professeur a lu d'abord un travail destiné à mettre en parallèle les lois françaises et américaines, particulièrement sous le rapport de la prescription; il a de plus exhumé un Mémoire très-suranné sur ce qui s'est passé à Grenoble en 1814, lors du retour de Napoléon en France. M. Berriat sollicité et obtenu l'indulgence de l'Académie pour un travail qu'il n'avait pas destiné à voir le jour; nous nous bornons à mentionner cette communication, qui a été suivie d'une Notice sur Térence, lue par M. Naudet. M. Giraud, qui remplissait les fonctions de secrétaire en l'absence de M. Mignet, a payé son tribut en lisant trois Mémoires sur des sujets à la fois historiques et juridiques. Le premier a pour titre : Histoire de la propriété territoriale d'après l'ancien droit germanique ; le second traite du domaine quiritaire et bonitaire chez les Romains; le dernier est une introduction à une nouvelle édition des Rei agrariæ scriptores.

Une communication de M. Ramon de la Sagra, sur l'état de l'instruction primaire et secondaire, et sur le paupérisme en Hollande et en Belgique, a servi de texte à une bonne et solide discussion. M. de la Sagra a dit que l'instruction primaire y avait atteint un haut degré de perfectionnement; il existe à Liège, à Bruges, à Amsterdam, des salles d'asile dirigées par des Sœurs, et où les soins les plus maternels sont prodigués aux enfants: on leur donne même quelque nourriture, et l'hiver on leur fournit des vêtements. L'instruction secondaire est loin d'être aussi florissante; les plaintes qu'elle soulève de toutes parts semblent appeler une réforme dans son organisation. Abordant ensuite la question du paupérisme, M. de la Sagra a fait observer qu'il fait chaque année des pro

T. IX. -- Novembre 1811.

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grès, et que les secours publics et privés sont impuissants, non-seulement à en atténuer les résultats, mais même à en arrêter les développements; là comme partout, les remèdes n'ont pu calmer cette plaie toujours saignante.

M. Passy a reconnu que depuis plus d'un siècle le paupérisme s'accroît en Hollande. Il est constant que dans le dix-septième siècle la Hollande était le pays le plus manufacturier de l'Europe. L'importance de son commerce de toiles suffit pour l'attester; mais il est venu un temps où le mouvement commercial de ce pays a diminué; les impôts n'en ont pas moins augmenté; il en est résulté une perturbation générale qui s'est manifestée notamment par la diminution des brasseries. Le peuple a bu de l'eau, puis du genièvre au lieu de bière; c'est lui qui a supporté les conséquences de cette décadence commerciale. Ce qui est le plus déplorable, c'est que l'on a placé la cause de l'appauvrissement dans le morcellement de la propriété, et on en a arrêté bien à tort les progrès : c'était là une erreur législative. Le seul remède aujourd'hui possible, c'est d'encourager l'agriculture; mais ce moyen ne peut être efficace qu'avec le temps, et on ne saurait l'apprécier qn'après une longue épreuve.

En Hollande, c'est surtout la classe inférieure qui est déchue; les classes supérieures se maintiennent et progressent même dans la fortune, grâce aux rentes considérables que les plus riches maisons de la Hollande possèdent dans les fonds publics étrangers, et qui ne s'élèvent pas à moins de cent millions de rente. On ne saurait méconnaître le courage avec lequel la Hollande lutte contre la situation difficile où elle est placée, et les efforts qu'elle fait pour en sortir; mais la population ne décline pas moins tous les jours. Le vent était le principal moteur de l'industrie hollandaise; ce pays est encore couvert de moulins; mais depuis l'intervention d'autres moteurs bien supérieurs, comme la pompe à feu, cette branche d'industrie tend à lui échapper entièrement. M. Dunoyer a répondu qu'il doutait que l'industrie des moulins eût autant d'importance en Hollande; le vent est un très-faible moteur; cette industrie n'a donc pu être, suivant l'honorable membre, qu'une industrie de ménage; ce n'est pas là que peut se trouver la cause de l'appauvrissement de la Hollande.

M. Blondeau a présenté quelques observations sur l'état de l'enseignement en Hollande. Il reconnaît que l'instruction primaire y est très-perfectionnée; mais l'instruction secondaire, qu'on dit être en décadence, ne mérite pas un pareil reproche. Il y avait presque partout des écoles qui donnaient un enseignement fort restreint, elles ont été remplacées aujourd'hui dans certains endroits, et tendent à l'être partout par des gymnases où l'éducation est plus complète et bien meilleure. L'instruction supérieure laisse à désirer. Les universités sont trop multipliées, et le système d'examen pour les divers degrés d'aptitude est vicieux. Néanmoins on fait encore, dans certaines universités, de bonnes études. Il y a malheureusement trois universités et trois athénées qui offrent à peu de choses près le même cadre d'études six grands centres d'enseignement supérieur pour une population de trois millions d'habitants sont évidemment exagérés.

M. Giraud a soulevé de nouveau la question du paupérisme en présentant quelques observations sur un rapport de M. le maire de Strasbourg touchant la colonie agricole d'Oswald. Il a exposé que la ville de Strasbourg est propriétaire, dans le voisinage de ses portes, d'un bois dont le revenu était d'environ

2,000 fr. par an; il y a quelques années, sur la proposition de M. le maire, le Conseil municipal décida qu'une partie de ce bois şerait coupée et que le produit en serait affecté à la construction de deux fermes destinées à être exploitées à l'aide du travail des mendiants de la ville. Le projet a été réalisé; les bois coupés ont produit une somme de 90,000 fr.; deux fermes se sont élevées; dans l'une on a placé les hommes, dans l'autre les femmes, au nombre de 70 à 80; et les résultats ont été tels qu'en quatre ans les produits n'ont pas seulement couvert la dépense, mais même offert des bénéfices. M. Giraud communique le compte de 1843; il en résulte que les dépenses se sont élevées environ à 23,000 fr. et les recettes à 25,000. M. Passy a répondu que le succès d'un pareil établissement pouvait tenir à la direction du maire qui est un homme trèshabile et très-savant; mais les chiffres même extraits par M. Giraud prouvent que cet établissement est fort coûteux. Il faut d'abord remarquer qu'on a pris des terrains récemment défrichés et pouvant dès lors se passer d'engrais dans les premières années; ces terrains étaient donc dans une situation exceptionnelle. On a vendu 90,000 fr. de bois, c'étaient des bois taillis; la superficie qui les portait ne saurait donc s'évaluer à moins de 200,000 fr.; d'où il suit que les 2,000 fr. de bénéfices proviennent d'un capital de 290,000 fr. Ce n'est point que le procédé soit inutile pour l'extinction de la mendicité, mais il est assurément fort dispendieux. Si l'on a réussi cette fois, c'est grâce à l'intelligence et à l'autorité de la direction; mais toutes ces colonies tombent bientôt dès qu'elles sont abandonnées à elles-mêmes. En outre, les pauvres d'Alsace sont laborieux et faciles à diriger; dans le centre on trouverait difficilement de semblables conditions. La ville de Strasbourg a donc pu faire une excellente opération en se délivrant de ses mendiants et en s'exonérant des sommes qu'elle payait annuellement pour venir à leur secours; mais de la réussite momentanée de l'établissement d'Oswald on ne saurait tirer aucune induction générale. M. Dunoyer pense que pour apprécier le succès de cet établissement, il faudrait savoir quel eût été le produit des terres en les exploitant autrement, par exemple en les affirmant; il ne veut point dire par là que le procédé de la ville de Strasbourg soit mauvais. Le salaire doit être très-faible; l'emploi des mendiants peut donc être une circonstance favorable, mais leur travail ne vaut pas celui des ouvriers ordinaires. Sous le rapport de l'extinction de la mendicité, il y aurait bien des vérifications à faire Ainsi, jusqu'où peut aller cet isolement des sexes? Évidemment cet isolement ne peut être un procédé usuel. Quand on examine tous ces systèmes employés pour l'extinction de la mendicité, il est difficile d'en trouver un qui mette les pauvres en état de se suffire à eux-mêmes; tous ces moyens sont factices. Le seul remède, c'est un travail sérieux ; que les familles se placent dans des entreprises vraies, dont la durée soit certaine, et non dans toutes ces entreprises artificielles, elles éviteront la misère et sauront se suffire à elles-mêmes.

M. Léon Faucher a commencé la lecture d'un Mémoire dans lequel il s'attache à indiquer les résultats de la loi relative au travail des enfants dans les manufactures. M. Dunoyer a lu également un intéressant Mémoire sur lequel nous reviendrons.

UEBER DIE NOTH DER LEINEN-ARBEITER IN SCHLESIEN.

DE LA MISÈRE DES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE LINIÈRE

EN SILÉSIE,

ET DES MOYENS D'Y REMÉDIER.

Rapport adressé par M. Alexandre Schneer au comité institué pour le soulagement des tisserands et des fileurs de la Silésie.

L'industrie linière a subi partout une transformation complète; les machines se sont substituées aux métiers à bras tant pour la filature que pour le tissage. L'Angleterre et la France ont donné l'exemple de cette innovation, et l'Allemagne a nécessairement dû suivre la même voie. La transition donne lieu à de graves perturbations dans les siéges principaux de l'industrie linière, et les troubles de la Bohême et de la Silésie ne sont pas encore complétement apaisés.

M. Schneer vient de publier sur la situation des ouvriers de l'industrie linière de cette dernière province un travail plein d'intérêt et rempli de données curieuses sur la question. Il comprend : 1° une introduction historique ; 2o l'appréciation de la misère dans les districts industriels; 3o les causes de cette misère; 4° les moyens d'y remédier; et, enfin, une série de pièces justificatives.

L'industrie linière occupait autrefois un rang très-élevé en Silésie, et elle était devenue la source de richesses considérables. Le sol de la province est propre à la culture du lin, le bas prix de la main-d'œuvre et l'habileté des ouvriers, joints à cette circonstance, avaient créé d'immenses débouchés aux toiles de cette contrée. Elles se vendaient par l'intermédiaire de maisons de Hambourg, de Brême et d'Amsterdam, en Espagne, en Portugal, en Italie, en France, en Pologne et en Russie, et elles s'expédiaient des ports de Cadix et de Lisbonne pour les colonies espagnoles et portugaises dans les deux hémisphères. Les quantités exportées au commencement du siècle représentaient une valeur moyenne annuelle de 40 millions. Il est vrai que beaucoup de toiles de Bohême, qui passaient en Silésie, figuraient dans ces exportations.

La fabrication était autrefois fort simple. Le tisserand était en même temps fabricant et spéculateur. Il achetait les fils et faisait confectionner la toile chez lui par des ouvriers à gages. Les tisserands fréquentaient les marchés, et ils vendaient en général leurs marchandises à des juifs russes au comptant; ceuxci portaient ensuite les toiles à Hambourg, Brême, Trieste, etc. Même aux époques de la plus grande prospérité de l'industrie linière, la moindre crise, la moindre mévente, réagissaient d'une manière funeste sur les ouvriers, quoique dans les temps ordinaires ils fussent dans une parfaite aisance.

Les guerres de l'Empire portèrent le premier coup à l'industrie. Les rela

tions avec les Amériques furent anéanties; puis la Russie ferma ses frontières, et, par suite de ces circonstances, le tissage se trouvait, dès 1807, profondément affecté. L'Angleterre profita de cette crise, et elle développa chez elle l'industrie linière. Bientôt elle s'empara des marchés qui jusqu'alors avaient appartenu à l'Allemagne, et elle répondait aux demandes en partie par des tissus de lin, et en partie par des tissus de coton qui se substituèrent successivement aux premiers.

Lorsqu'en Prusse les industries furent déclarées libres, l'industrie linière sembla, pour un moment, trouver une vie nouvelle, et la fabrication prit un développement considérable; mais ce fut au détriment des qualités. Il fallut lutter avec la concurrence étrangère, et les entrepreneurs furent forcés d'abaisser graduellement les salaires pour conserver leurs relations avec les négociants exportateurs. La filature tomba en décadence; la matière première devint de plus en plus mauvaise; en un mot, il y eut une détérioration complète dans la fabrication. L'introduction des mécaniques devint un nouvel élément de concurrence; les machines furent généralement établies avec des capitaux étrangers, et l'abaissement des salaires altéra encore la qualité de la maind'œuvre.

Dans l'enquête qui a été faite sur l'industrie linière, plusieurs tisserands en renom prétendirent que, si l'on avait consciencieusement maintenu les traditions pour la culture du lin, pour la filature et pour le tissage, la décadence n'aurait jamais pu atteindre cette importante fabrication. La substitution du rouet saxon au rouet de la Silésie est la première cause de la mauvaise qualité des fils. Avec le premier on obtient dans le même temps une fois plus de fils qu'avec le second, mais d'une qualité tout à fait inférieure. Voilà donc la porte ouverte à toutes les fraudes. Les tisserands imitèrent l'exemple des fileurs, et les qualités supérieures surtout furent si mal confectionnées qu'elles ne présentèrent plus aucune solidité. On leur préféra, dans beaucoup de circonstances, les tissus de coton. D'autres documents conduisent à de semblables conclusions, et, en résultat, l'industrie linière de la Silésie est aujourd'hui en pleine décadence.

Quant à la situation des classes ouvrières elles-mêmes, M. Schneer, chargé par le comité de parcourir les districts manufacturiers, a recueilli de précieux détails à cet égard. Il a vu plus de cinquante localités, et il a visité dans chacune d'elles quinze ou vingt familles. Il lui a paru que, pour bien apprécier leur situation, il était nécessaire de trouver des termes de comparaison dans d'autres professions. Les émoluments d'un maître d'école communal, en évaluant les denrées qu'il reçoit en nature à environ 150 francs, s'élèvent au total à 360 francs. Les manœuvres ont de 40 à 120 francs de gages par an avec la nourriture et le logement. Les journaliers reçoivent par jour 50 centi'mes avec la nourriture, et les femmes 40 centimes. Lcs ouvriers de l'industrie linière sont bien éloignés de cette situation. M. Schneer, après les avoir divisés en blanchisseurs, tisserands, fileurs de lin et fileurs d'étoupes, apprécie leurs salaires de la manière suivante. La classe des blanchisseurs est en général celle qui est la moins exposée à la misère. Le salaire du tisserand se balance, dans la situation actuelle des choses, entre 1 fr. 20 c. et 2 fr. 40 c. par semaine ; celui du fileur de lin entre 60 centimes et 1 fr. 40 c.; celui du fileur d'étoupes entre 25 et 60 cent. La misère qui atteint surtout cette dernière classe est inexprimable, et l'on peut s'en faire une idée lorsqu'on songe qu'un fileur,

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