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2o Les cahiers de charges obligent la compagnie à transporter les troupes au quart du tarif, c'est-à-dire à effectuer pour 1 centime 375 un service qui coûte en frais de locomotion et de voitures seulement, les frais d'administration, d'entretien de la voie et d'exploitation en dehors, 2 c. 1/2', d'après les calculs de M. Jullien, ingénieur en chef des ponts et chaussées; soit une perte sèche de 1 c. 1/8 par homme et par kilom., et de 5,343 fr. 75 c. par bataillon de 1,000 hommes transporté d'un bout à l'autre de la ligne qui a 745 kilomètres.

3o Les mêmes cahiers de charges obligent à transporter la poste par convois spéciaux, moyennant une indemnité maximum de 75 c. par kilom.; or, la dépense reconnue est de 1 fr. 10 c. pour la locomotion seule, le gouvernement fournissant et entretenant les voitures, soit une perte de 35 c. par kilomètre et de 166 fr. 25 c. pour le trajet entier, soit ensemble 332 fr. 50 c. par jour avec un convoi dans chaque sens, et par an 121,362 fr. 50 c., non compris les dépenses du personnel et d'entretien de la voie.

4o Les mêmes cahiers de charges mettent au compte de la compagnie une foule de dépenses obligatoires, pour la surveillance de la ligne, pour le transport des condamnés, etc., que l'on ne peut évaluer par an à moins de 60,000 fr.; la surveillance exercée au nom de l'administrtion, pour l'exécution des cahiers de charges seulement et non compris la surveillance de police, devant coûter 40,000 fr. par abonnement (art. 46).

Telles sont les charges spéciales de la ligne; si maintenant on y ajoute les charges ordinaires d'entretien, de personnel, de locomotion, etc., et que l'on rapproche le total du montant des produits présumés, tels qu'ils sont établis dans les documents soumis aux Chambres, on verra que le produit net, déduction faite d'un amortissement de 2 pour 100 sur un capital de 55 millions à reconstituer en moins de vingt-huit ans d'exploitation générale, ne pourra pas de longtemps excéder 3 pour 100.

Maintenant si l'on demande comment il se fait que malgré l'expectative d'un revenu aussi faible, qui expose, en outre, les actionnaires à voir exercer par l'État, au bout des quinze premières années, son droit de rachat calculé sur des annuités aussi modiques; si l'on demande comment il se fait que les certificats de souscription de la compagnie adjudicataire ont été cependant recherchés par le public avec une faveur telle qu'on allait jusqu'à offrir, pour les avoir, des primes de 80 francs et au-dessus, nous répondrons que cette faveur n'est nullement raisonnée, qu'elle n'émane pas de capitalistes sérieux cherchant un placement, mais de joueurs spéculant sur des primes et des différences; et rien ne nous sera plus facile que de justifier ce dire, car la veille même du jour où l'adjudication devait avoir lieu, on recherchait les certificats de la compagnie bordelaise ou Rotschild à 125, 130 et même 150 francs de prime, bien que l'on ignorât alors quelle serait l'issue de l'adjudication. Considérant d'ailleurs la question à un autre point de vue, nous trouverons une preuve nouvelle de l'intervention de l'élément spéculateur dans les tripotages auxquels le trafic de ces certificats de souscription a donné lieu, dans ce fait

1 Les calculs de M. Jullien indiquent 1 centime 1/4, qu'il faut doubler, parce que les transports de troupes ne s'effectuent que dans un sens à la fois et non dans deux, comme le trafic des voyageurs, ce qui force à ramener les machines et les voitures à vide et à dépenser de la traction en pure perte,

que les ventes ne sont pas régulières, qu'elles sont interdites par les statuts jusqu'à la constitution de la société par ordonnance royale, et que, si les statuts ne portaient pas cette défense, le Conseil d'État l'imposerait et ferait rechercher les premiers souscripteurs, ceux dont les signatures ont fait admettre la compagnie comme soumissionnaire. Ces souscripteurs demeurent responsables et tenus de remplir leurs engagements jusqu'à concurrence des trois premiers versements au moins, ainsi qu'on le voit dans les statuts de la compagnie de Rouen qui ont servi de modèle aux autres. Voilà ce que savent fort bien tous les actionnaires sérieux, et ce qui autorise à dire qu'un petit nombre de spéculateurs seulement s'est livré aux opérations qui ont, à bon droit, surpris beaucoup de monde.

La ligne que nous avons suivie depuis l'origine de la question des chemins de fer, l'appui que nous avons prêté au système d'exploitation des chemins de fer par l'industrie privée, à défaut d'une bonne organisation des travaux publics et d'un système financier convenable pour fournir aux voies et moyens, nous faisait un devoir de rétablir les faits dans leur sincérité, ainsi que de protester contre les excès auxquels se sont portés des agioteurs complétement étrangers aux chemins de fer, indifférents à leur succès et à leurs résultats, mais intéressés seulement à brasser des affaires et à créer des différences; nous voulions protester également contre le chiffre de 28 ans, qui ne serait raisonnable que si le chemin devait s'arrêter à Tours, éventualité que l'on n'a pas le droit d'admettre comme un élément du calcul; nous voulions enfin prémunir l'industrie contre l'entraînement dangereux qui semble se manifester depuis quelque temps, et qui la conduirait bien vite à des jours aussi mauvais que ceux de 1858, entrainement dont la conséquence serait, par exemple, d'accepter une concession de quinze ans pour le chemin du Nord, dont les chances sont trois ou quatre fois plus favorables que celles du chemin de Bordeaux, concédé à un peu moins de vingt-huit ans.

Quant au système d'adjudication publique en matière de chemins de fer, les premiers résultats un peu sérieux de son application peuvent être diversement interprétés. Pour ceux qui considèrent l'État et l'industrie comme des contractants ordinaires, ils doivent s'applaudir de la journée du 9, et des belles conditions obtenues; mais pour ceux, et nous sommes de ce nombre, qui croient que le gouvernement n'est point une maison de commerce cherchant avant tout des bénéfices, mais le représentant de la société, qui a intérêt à ce que l'industrie prospère, à ce que l'esprit d'association se propage, à ce que les capitaux se forment et s'accumulent au lieu de se disperser et de se détruire, ceux-là regretteront l'issue de l'adjudication du chemin de Bordeaux, et préféreront le système de concession directe qui permet d'imposer certaines conditions morales susceptibles, par exemple, de prévenir les accès de fièvre chaude dont quelques spéculateurs nous ont donné le triste spectacle il y a quelques jours.

P. S. Ce matin 15, à neuf heures et demie, le chemin de fer de Boulogne, dont la Chambre avait autorisé la concession, au maximum de quatre-vingtdix-neuf ans, à une compagnie qui se chargerait de l'exécuter entièrement, a été adjugé à MM. Ch. Laffitte et Blount, moyennant un rabais d'un mois sur la durée du bail. Là encore il ne pouvait y avoir de concurrence sérieuse, et l'adjudication a été moins favorable que ne l'eût été la concession directe. A. BLAISE (des Vosges).

CHRONIQUE.

Paris, 15 octobre 1844.

Au milieu du mouvement occasionné par les chemins de fer, il ne faut pas oublier les efforts que font les esprits pour perfectionner déjà ces grands moyens de communication. Il est peu de jours qui n'enfantent un projet. Le plus vulgaire de tous les problèmes qu'on se pose, est celui-ci : un train étant en grande vitesse, l'arrêter instantanément. Grand merci de la recherche! Ce problème-là est tout résolu. Brisez un essieu, mettez une poutre en travers de la voie, et vous aurez la satisfaction que vous cherchez. Vous arrêterez le train tout à coup, et vous lancerez les voyageurs par-dessus bord. N'est-il pas surprenant qu'au temps où nous vivons il y ait encore des gens qui ne sachent pas ce que c'est que l'inertie, c'est-à-dire la force qui fait qu'un corps qui est immobile reste immobile, ou qu'un corps qui se meut demeure en mouvement? Si l'un de ces inventeurs-là se mettait à courir, et qu'on voulût l'arrêter instantanément, il ne s'agirait que de lui jeter un bâton entre les jambes. Cellesci s'arrêtant, la tête continuerait son chemin et l'homme ferait la culbute. Quand un cheval tombe, le cavalier passe par-dessus sa tête : c'est encore là une application de l'invention cherchée.

Les gens raisonnables ont cherché, au contraire, un moyen qui permît à un train de continuer son chemin, même quand un essieu se rompt, et c'est ce qu'ils ont déjà trouvé. Le problème opposé n'est qu'absurde.

Trois inventions pourtant ont donné des résultats. L'une est à l'état pratique, c'est la pression atmosphérique.

L'autre a pour elle la sanction de plusieurs années d'expérience, ce sont les voitures articulées de M. Arnoult.

La dernière promet des résultats, c'est l'emploi de l'air comprimé au lieu de vapeur.

De ces inventions, la première et la deuxième vont être expérimentées en France sur des lignes exploitées. L'Etat a accordé à la compagnie de SaintGermain 1,800,000 fr. pour transformer la voie en chemin de fer atmosphérique, depuis Nanterre jusqu'à Saint-Germain. C'est une bonne fortune pour la compagnie de Saint-Germain, qui pourra mener sa ligne jusqu'à la ville sans rien débourser.

M. Arnoult a eu la concession du chemin de Sceaux, il est en bonne voie. Quant à l'emploi de l'air comprimé, M. Andraud, qui poursuit sa tâche avec une infatigable ardeur, a aussi eu des secours de l'État. Il a su les mettre à profit, puisque, sur la rive gauche, des essais en grand ont eu lieu, et qu'ils ont été satisfaisants.

La différence des deux systèmes de chemin à air est fort simple : le premier agit par la seule pression de l'atmosphère sur un piston. On fait le vide à une extrémité d'un tube, un piston qui se trouve dans ce tube est chassé par l'air qui cherche à rentrer, et tout ce qui tient au piston est entraîné dans son

mouvement. C'est là le simple emploi d'une force naturelle, c'est la machine à vapeur telle qu'elle a d'abord été inventée, et qu'on a appelée alors machine atmosphérique. Elle fonctionnait exactement de même sorte; la vapeur était injectée dans un cylindre, on y jetait ensuite de l'eau froide; la vapeur se condensait, le vide s'opérait, et alors un piston descendait, pressé par le poids de l'atmosphère, qui est, en vieux style, de 14 livres par pouce carré.

Il y a une douzaine d'années, un mécanicien, du nom de Hague, a fait, en Angleterre, usage de cette force atmosphérique pour commander ou pour donner le mouvement, à de grandes distances, à des outils, tels que scies, tours, meules, etc. Il faisait le vide dans un tube; au bout de ce tube se trouvait une petite machine semblable à une machine à vapeur. On faisait le vide dessus, puis dessous le piston placé dans le cylindre, et, ce piston se mouvant, imprimait à un balancier un mouvement de va-et-vient. Le reste est facile à concevoir.

Il y avait dans le trajet de l'air aspiré dans le tube bien des causes de déperdition, mais il peut arriver qu'on ait à bon marché la force primitive, une chute d'eau par exemple, et dans ce cas qu'importent les pertes, si, après tout, le mouvement est transmis à bas prix?

M. Andraud n'agit pas sur ce principe. Il fait, avec l'air, ce qu'on a fait depuis avec la vapeur. C'est au moyen de la force élastique de l'air qu'il obtient son mouvement, comme c'est par la force élastique de la vapeur que les locomotives se meuvent.

M. Andraud enferme de l'air dans un récipient; il le comprime, c'est-à-dire qu'il en met plus que le récipient livré à lui-même ne pourrait en contenir, puis il ajoute à la force qui sollicite cet air en plus à sortir, la chaleur qui le dilate encore, ou qui rend le récipient plus petit comparé à l'air qu'il renferme. L'air, en sortant, pousse un piston qui donne le mouvement. Rien n'est plus ration nel qu'un tel système, il reste à savoir à quel prix la force s'obtient. Il reste à savoir si la traction d'un train de 100 tonnes ou 100,000 kil. coûte plus ou moins de 1 fr. 10 cent. par kilomètre (that is the question).

Il est un autre système encore; c'est celui de M. Peiqueur. Ce mécanicien emploie l'air comprimé aussi pour pousser un piston; mais ce piston, dans son système, se meut avec le train, comme dans le système dit atmosphérique. C'est une complication qui me paraît n'avoir pour objet que de permettre de diminuer le diamètre du tube dans lequel se meut le piston.

Au milieu de tant de belles choses nous persistons à penser que le système actuel a de nombreuses chances de durée. Au lieu de les compliquer, c'est à simplifier les chemins de fer qu'il faudrait diriger les efforts des savants, et la belle application de la vis d'Archimède à la locomotion sur l'eau est l'une de ces simplifications qui honorent l'esprit. C'est un exemple à citer.

La session des conseils généraux s'est écoulée dans une paix profonde... Chaque année de nouvelles lumières surgissent de ces discussions sages et calmes d'hommes d'élite, et que leur position met à même de connaître les détails et la pratique des choses.

Le sort des instituteurs primaires intéresse vivement les conseils, et cependant, nous le disons à regret, aucune mesure n'est venue même porter le remède à cet état de choses. Il faut un remède radical, une contribution énergique, et l'on ne propose que des palliatifs. Offrir 200 francs par an à un homme chargé du plus grave de tous les devoirs, l'éducation de la première enfance!

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c'est une dérision. Il est vrai que les enfants prennent soin d'apporter au misérable instituteur quelques légumes, un peu de lait; mais ce sont là des aumônes et le fruit de la pitié, tandis que l'instituteur devrait être entouré du respect.

Deux systèmes sont en présence : l'un qui prétend laisser aux parents le soin absolu d'instruire et d'élever les enfants; l'autre qui croit que la commune doit veiller à cette tâche, et par conséquent la payer. Nous partageons ce dernier avis, et nous avons rêvé pour l'instituteur de nos campagnes un sort tout autre, mais aussi une tâche bien plus large que le sort et la tâche qui sont aujourd'hui son lot... Et qu'est-ce donc, après tout, qu'une dépense de quelques millions pour donner dans tout le pays l'impulsion que doit avoir en France l'instruction et l'éducation morale de millions d'hommes !

Les accidents causés par le grisou des mines se multiplient d'une manière inquiétante. Il y a quelque temps c'était en Angleterre, où près de soixante ouvriers ont péri; à Saint-Étienne, un homme vient encore d'être asphyxié. Si la lampe de Davy n'est pas un préservatif suffisant, il serait temps au moins que des institutions assurassent le sort des familles ainsi frappées. Quand la guerre était le métier utile des nations, les nations avaient pris soin d'assurer des pensions aux veuves des citoyens morts pour la patrie; aujourd'hui il convient de reporter ces soins et cette sollicitude vers les travailleurs, et si cette sollicitude, traduite en secours et en récompenses, est ce qu'on appelle l'organisation du travail, nous nous rangeons volontiers parmi ses défenseurs.

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