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RÉSUMÉ DES VOTES LÉGISLATIFS

DANS

LA QUESTION DES CHEMINS DE FER.

Après avoir indiqué à diverses reprises la marche et l'esprit de la discussion engagée dans le public et dans les Chambres sur les graves questions que soulève l'exécution des chemins de fer, nous devons résumer aujourd'hui ces longs débats en faisant connaître les dispositions arrêtées par les votes législatifs. CHEMIN DE PARIS A BORDEAUX. Cette ligne, dont le chemin de Paris à Orléans, concédé à une compagnie, forme la tête, avait été classée dans son ensemble par la loi du 14 juin 1842, mais son exécution n'avait été dotée que pour la partie comprise entre Orléans et Tours, dont les travaux sont en ce moment fort avancés; la loi du 26 juillet 1844 vient de décider l'achèvement de la partie entre Tours et Bordeaux, en allouant à cet effet un crédit spécial de 54 millions de francs.

La ligne entière d'Orléans à Bordeaux sera concédée à une compagnie sur les bases de la loi du 11 juin, l'État exécutant les travaux, et la compagnie posant la voie et fournissant le matériel. La concession aura lieu par voie d'adjudication publique avec publicité et concurrence, et pour un laps de temps qui ne dépassera pas quarante et un ans et seize jours. Toutefois, si dans le délai de deux mois à partir du 26 juillet, c'est-à-dire d'ici au 26 septembre prochain, il ne s'est pas présenté de soumissionnaire dont les propositions aient pu être acceptées, le ministre pourra faire exploiter provisoirement la section d'Orléans à Tours; à cet effet, un crédit spécial de 14,150,000 francs est affecté à la pose de la voie de fer et à l'acquisition du matériel.

Deux combinaisons vicieuses figurent dans cette loi: d'une part, l'adjudication, et l'insuffisance du délai accordé pour la formation des compagnies; d'autre part, la séparation des travaux de terrassement de ceux qui consistent à fournir le ballast et à poser la voie.

Quant au système d'adjudication et à ses inconvénients dans des entreprises aussi importantes que celles dont il s'agit, voici ce qu'en pensait une commission extraordinaire, chargée en 1858 par la Chambre d'élucider toutes les questions accessoires qui se rattachent à celle des chemins de fer. « Le mode actuel de concession à des compagnies est très-vicieux. Les Chambres interviennent au début de l'affaire, quand les projets sont à peine rédigés, quand la compagnie n'a qu'une existence précaire. Ce qui est encore pis, on les appelle à autoriser une adjudication entre des compagnies qu'elles ne connaissent même pas, autant dire à donner un blanc-seing à l'administration. On remettrait les choses dans leur ordre naturel, si l'on décidait que, hormis des cas exceptionnels fort rares, la concession directe, seul moyen d'apprécier la moralité et la solidité des compagnies, serait préférée à l'adjudication. >>

Nous sommes loin de là aujourd'hui, comme on voit; si loin même, que l'on ne trouve pas les inconvénients naturels du système d'adjudication suffisants, et que l'on y ajoute encore en ne donnant que deux mois aux compagnies pour se constituer et à l'administration pour vérifier la moralité de leur constitution, comme si l'on ne pouvait pas étendre le délai jusqu'à la session prochaine. Il est difficile, avec ce système, d'éviter un concert entre les divers adjudicataires, dont les soumissions ne différeront que nominalement et se composeront au fond des mêmes capitaux. La responsabilité du ministre sera couverte, il est vrai, mais les intérêts publics seront moins bien défendus, nous le craignons, que si la concession eût été directe.

La seconde combinaison que nous regrettons de voir figurer dans la loi du chemin de fer de Bordeaux, est la mauvaise division des travaux entre l'État et la compagnie à intervenir. La fourniture du ballast et la pose de la voie sont des opérations qui ne se peuvent faire d'une manière économique qu'avec le concours du matériel qui a servi aux travaux de terrassement; fort souvent même ces différentes choses se font en même temps, c'est ainsi du moins que l'on doit s'y prendre pour aller vite et dépenser peu. Le système de la loi du 11 juin, appliqué au chemin de Bordeaux, est donc complétement exclusif de cette rapidité et de cette économie que l'on doit toujours rechercher ; c'est un détestable juste-milieu entre l'exécution complète par l'État et celle par les compagnies avec ou sans subvention du Trésor. Si ces deux systèmes ont leurs inconvénients, ils ont du moins des avantages qui leur sont propres, tandis que la combinaison mixte que l'on a préférée n'a que des inconvénients sans compensation; comment les législateurs, qui avaient si bien compris cette question dans l'affaire du chemin de Marseille, ont-ils pu oublier ainsi l'expédient qui les avait sortis d'embarras à cette époque?

CHEMIN DE PARIS A LYON. -Les causes que nous avons indiquées dans notre article du numéro de juillet dernier avaient décidé la Chambre des députés à soustraire le chemin de Lyon au système de la loi du 11 juin, et à créer à son occasion un régime nouveau, celui des compagnies fermières, réservant son exécution par l'État jusques et y compris la pose de la voie, l'exploitation et la fourniture du matériel étant seules confiées à l'industrie particulière.

La Chambre des pairs n'a pas abondé dans ce sens; elle s'est souvenue de la loi de 1842, et y a soumis, au moins jusqu'à l'année prochaine, le chemin de Paris à Lyon, pour lequel elle a refusé de voter les crédits nécessaires à la pose de la voie. La commission du Luxembourg voulait plus encore, elle demandait que l'embranchement de Montereau à Troyes fût détaché du tronçon principal et abandonné à l'industrie particulière. La Chambre, sur la proposition de l'honorable M. Rossi, a pris un moyen terme; elle a décidé que l'embranchement pourrait, jusqu'à la fin de l'année prochaine, être concédé sans subvention à une compagnie pour une durée maximum de quatre-vingt-dix-neuf ans, et qu'après ce délai l'embranchement serait exécuté par l'État aux mêmes conditions que la ligne entière, s'il ne se présentait pas de compagnie susceptible d'être acceptée.

La pensée mère de l'amendement de M. Rossi est excellente, et l'on ne peut douter que si elle eût été appliquée aux grandes lignes, ont n'eût évité d'engager le Trésor, déjà fortement obéré, dans des dépenses colossales, dont l'industrie particulière se fût très-certainement chargée. Maintenant, que doit-on en attendre pour une application aussi restreinte? c'est ce que nous ne pouvons

dire; nous craignons seulement que, comme il ne s'agit que d'un embranchement dont les intérêts locaux peuvent seuls apprécier et accepter les chances, il ne se forme pas de compagnie particulière pour le subventionner, l'avantage étant beaucoup plus grand pour les localités si le Trésor paye toutes les dépenses et consent à courir tous les risques. La seule chance favorable serait que les compagnies qui ont l'intention de soumissionner la ligne mère aux conditions modifiées de la loi du 11 juin, souscrivissent en même temps pour l'embranchement.

Quoi qu'il en soit de ce détail, le chemin est voté maintenant en entier, non pas seulement jusqu'à Châlons, mais jusqu'à Lyon, ce qui n'a pas été facile à obtenir. Le tracé à travers les vallées de l'Yonne et de l'Armançon a été préféré, mais il n'y a rien de décidé quant à la direction précise de la route, qui passera seulement et de toute nécessité par Montereau, Dijon, Châlons et Lyon.

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CHEMIN DE FER DE PARIS A LA FRONTIÈRE DU NORD ET SUR L'ANGLETERRE. — Les votes des Chambres, relativement à la ligne de Belgique et d'Angleterre, forment, avec les principes proclamés en toute circonstance par le gouvernement et par la majorité, une contradiction choquante.

Le chemin principal de Paris à la frontière du Nord sera exécuté par l'État qui posera la voie et commencera lui-même l'exploitation des parties terminées; dans le cours de la prochaine session, une loi sera présentée aux Chambres pour régler d'une manière définitive le mode d'achèvement de la ligne. Deux embranchements du chemin du Nord seront dirigés, l'un sur Calais par Hazebrouck et Saint-Omer, l'autre sur Dunkerque par Hazebrouck et Cassel; l'exécution de ces deux prolongements sera entreprise par le gouvernement; aux termes simples de la loi du 11 juin, il sera statué sur le mode d'achèvement et d'exploitation par la loi à intervenir l'année prochaine pour déterminer le régime auquel sera soumise la ligne principale.

Un troisième embranchement partira d'Amiens et atteindra le port de Boulogne en desservant Abbeville et Étaples; cet embranchement, destiné aux communications directes de Paris avec Londres et le sud-est de l'Angleterre, formera une ligne particulière; privée des bénéfices de la loi du 11 juin, elle sera concédée sans subvention à une compagnie pour un maximum de jouissance qui n'excédera pas 99 ans.

Ainsi, trois systèmes différents sont mis à contribution pour les chemins du Nord et ses annexes : l'exécution par l'État, le système mixte de 1842, l'exécution par l'industrie; et, par un renversement de toutes les idées de raison et de la logique, on accorde aux parties les plus profitables du réseau le concours entier ou partiel de l'État, et on le refuse précisément à la ligne, tout aussi importante au point de vue politique, mais moins avantageuse au point de vue commercial, qui en aurait le plus grand besoin, et court le risque de n'être pas faite à défaut de cet encouragement.

Ce n'est point ainsi que le gouvernement et les Chambres avaient semblé comprendre jusqu'à présent l'intervention de l'État en matière de travaux publics. On avait toujours dit et recommandé au contraire de laisser l'industrie se développer librement sur tous les points où elle se porte, et de n’agir avec les fonds des contribuables que là où un intérêt national, sérieux, réclame l'exécution d'une ligne que l'industrie n'entreprend pas, faute de bénéfices immédiats suffisants. Si une pareille règle de conduite eût été suivie,

comme l'indiquaient la justice et la raison, il eût suffi d'une centaine de millions peut-être pour assurer l'exécution entière du grand réseau national, tandis qu'il en faudra dix fois plus pour le laisser incomplet en prodiguant le produit de l'impôt à des lignes privilégiées qui pouvaient s'en passer.

Dans le cours de la discussion à la Chambre des pairs, M. le comte Beugnot proposa d'appliquer aux embranchements de Dunkerque et de Calais le système créé pour l'embranchement de Troyes sur le chemin de Lyon, c'est-àdire la concession pour 99 ans à une compagnie non subventionnée; la noble Chambre n'a pas consenti à donner cette preuve de sa logique, et a maintenu quatre systèmes différents pour l'exécution des chemins de fer.

CHEMIN DE FER DE PARIS A RENNES. Cette ligne avait été promise, mais non classée en 1842; elle était considérée comme devant se faire lorsque le réseau principal serait terminé; les impatiences locales n'ont pas voulu attendre aussi longtemps, et elles ont obtenu que le chemin serait définitivement classé et immédiatement entrepris jusqu'à Chartres.

Les deux chemins de Versailles pouvant l'un et l'autre servir de tête aux points d'arrivée dans Paris à cette ligne du nord-ouest, et les deux compagnies propriétaires de ces chemins n'ayant pu se mettre d'accord sur la manière d'exploiter le prolongement en commun, le mode de rattachement du chemin de Chartres aux chemins de Versailles ou à l'un d'eux n'a point été décidé quant à présent.

M. de Bussières avait proposé, pour l'exécution du chemin de Chartres, le régime créé pour l'embranchement de Troyes; la commission n'allait même pas jusque-là, elle demandait de renvoyer à l'année prochaine toute décision sur le mode d'exécution; la Chambre des pairs a passé outre et voté le projet tel qu'il lui avait été soumis; c'est donc l'État qui fera les travaux d'art et les terrassements aux termes de la loi du 11 juin 1842.

CHEMINS DE FER DU CENTRE SUR CLERMONT-FERRAND ET SUR LIMOGES. Ces deux prolongements sont encore une aggravation des charges, déjà si lourdes, imposées au Trésor par la législature de 1842. Avec un peu de prudence, ces deux chemins, considérés comme actes de justice, eussent pu être entrepris au compte de l'État sans trop grands sacrifices; il eût suffi, pour cela, de laisser entièrement à l'industrie les grandes lignes de Lyon, du Nord, de Marseille, de Bordeaux, qu'elle réclamait: exécuter cumulativement dans la situation actuelle des finances, et d'après le système onéreux de la loi du 11 juin, l'ensemble des nouvelles et des anciennes lignes, est une faute dont il est à craindre que les événements ne donnent lieu de se repentir.

Ces conseils de prudence vulgaire n'ont pu l'emporter sur les exigences des intérêts locaux. Le double chemin du centre a été classé jusqu'à Limoges, d'une part, et jusqu'à Clermont, de l'autre; des crédits ont été votés pour le commencement des travaux, depuis Vierzon jusqu'à Châteauroux, dans la première direction, et depuis Vierzon jusqu'au confluent de l'Allier avec la Loire, dans le second cas.

La concession de ces deux prolongements sera ajoutée à celle du tronc commun de Vierzon à Orléans, dont les travaux, entrepris depuis 1842, sont terminés aujourd'hui; la durée du bail général ne pourra pas excéder quarante ans. Si dans les deux mois de la promulgation de la loi, c'est-à-dire avant le 26 septembre prochain, il ne s'est pas présenté de compagnie soumission

T. IX. Août 1844

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naire pour les chemins du centre, le ministre est autorisé à faire poser les rails sur la section d'Orléans à Vierzon aux frais du Trésor.

CHEMIN DE PARIS A STRASBOURG. Classé et doté par la loi de 1842, ce chemin s'était vu retirer, l'année dernière, les crédits qu'il avait obtenus. De vifs débats se sont engagés à son sujet dans la session qui vient de finir. Les questions de tracé, qui en soulevaient de fort graves au point de vue économique et au point de vue militaire, ont été longuement débattues; enfin le tracé direct par Châlons l'a emporté sur le tracé circulaire par Creil, Compiègne, Soissons et Reims. Deux embranchements seront dirigés, l'un sur Reims, l'autre sur Metz; leur classement seul est décidé jusqu'à présent, aucun crédit n'ayant été alloué pour leur exécution; jusqu'à l'année prochaine les travaux seront concentrés sur la ligne principale.

Comme conséquence de l'adoption du tracé direct qui longe les travaux du canal de la Marne au Rhin en construction, la Chambre a réservé tous les crédits accordés à cette entreprise à la section comprise entre Vitry-le-Français et Nancy.

Le CHEMIN DE FER DE PARIS A SCEAUX, sur lequel doivent avoir lieu les essais en grand du système de voitures articulées de M. l'ingénieur Arnoux, a été voté par les deux Chambres; aucune subvention n'a été réclamée par les concessionnaires.

Les essais du système de CHEMIN DE FER ATMOSPHÉRIQUE ont été l'objet d'un crédit de 1,800,000 francs, qui sera employé en tout ou en partie à faire des expériences sur le système anglais de propulsion par le vide, perfectionné, quant à la soupape qui donne passage à la tige d'attache du piston, par notre compatriote M. Hallette, grand constructeur à Arras. S'il reste des fonds disponibles, ils seront utilisés en faveur du système de propulsion par l'air comprimé dans un tube, dont des expériences en petit ont été faites avec succès chez M. Pecqueur, ingénieur mécanicien bien connu par le nombre et l'utilité de ses découvertes. Ce dernier système a trouvé à la Chambre des Pairs de très-énergiques partisans; le système de M. le marquis de Jouffroy, dont il a été question également, a été étudié par une commission d'ingénieurs des ponts et chaussées, dont le rapport ne tardera pas à être publié.

EN RÉSUMÉ : la situation des chemins de fer, au commencement de l'année, présentait environ 2000 kilomètres terminés ou en cours de construction; Les votes de la session y ajoutent, en travaux à entreprendre d'ici à 1845:

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