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se propose de revendre ou de racheter ces effets à l'époque dite, afin de réaliser le profit résultant de la différence1 du cours; les marchés à terme faits dans ce but, quand même l'argent serait prêt pour le payement dans les mains de l'acheteur, et quand même les effets publics seraient déposés par le vendeur, ne sont évidemment qu'un jeu de hasard; l'on ne saurait admettre que personne puisse réaliser un bénéfice licite par un pareil moyen. Il y a entre ces sortes d'affaires et les véritables spéculations du commerce cette différence fondamentale, que celles-là sont livrées au simple hasard et ne profitent jamais à l'intérêt général; tandis que les vraies spéculations du commerce consistent à emmaganiser ou à apporter de loin des marchandises dans la prévision calculée d'un besoin ultérieur de cette marchandise; ces dernières opérations, quelque profit qu'elles produisent au spéculateur, sont licites et honorables, car elles servent à l'intérêt général en approvisionnant le marché. Au point de vue de la morale, que les joueurs à la Bourse aient mis ou non des enjeux sérieux, les affaires qu'ils font ne sont rien autre chose que de simples paris; mais est-ce à dire que ces opérations puissent être interdites et surtout réprimées par la loi? Que l'on remarque bien que des opérations semblables peuvent avoir lieu au comptant; que l'on peut fort bien acheter des effets publics quand le cours parait susceptible d'augmentation et les revendre plus tard quand le cours s'est effectivement élevé. Où fixer la limite de ce qui peut être permis par la loi et de ce qui peut être défendu dans les actions de cette nature? Certainement celui qui n'a de profession que de vendre, même très-réellement, et de racheter des effets publics pour réaliser un profit qui n'est le fruit d'aucun travail utile, celui-là fait un métier dangereux et méprisable; il met son patrimoine au vent de la hausse ou de la baisse ; c'est un joueur, et un joueur n'est jamais honoré quand même il ne perdrait que son bien; mais celui qui place réellement son argent dans la rente parce qu'il y trouve un intérêt suffisant, et qui revend plus tard parce qu'il trouve mieux dans un autre placement, celui-ci, au contraire, fait une chose qui ne saurait être blâmable. Ce n'est donc que la fréquence des opérations, que l'habitude de s'y livrer, que le danger de perdre sa fortune auquel on s'expose incessamment, qui change la nature et la moralité de l'action. C'est assez dire déjà qu'il sera toujours bien difficile, si ce n'est impossible, d'empêcher par l'application de dispositions pénales que de telles opérations n'aient lieu.

Ces spéculations ne sont cependant pas, à beaucoup près, sans une grande influence sur le crédit public; elles se lient de très-près à la négociation des emprunts; vouloir les interdire quand elles sont réelles, c'est une chose qu'il ne faut point tenter; les tolérer sans limite, même sans les surveiller, comme on le fait aujourd'hui, n'est-ce pas ouvrir la carrière à l'agiotage et s'exposer à tous les dangers qu'il peut faire naître dans des temps critiques? entre ces difficultés, quel est donc le parti qu'il faut prendre? Manifestement c'est de coneilier les intérêts et les nécessités; c'est surtout de connaître exactement les faits qui se produisent, et de peser de tout le poids de l'intérêt et de la conscience publics dans la balance à tenir entre l'usage et l'abus, entre les opérations honnêtes et celles qui ne le sont pas.

Si la suite de cet écrit prouve entièrement ce que nous sommes ici amené à conclure, que la répression des abus de la spéculation sur les effets publics

1 A la Bourse on appelle en effet différence le bénéfice que l'on réalise ou la pert que l'on subit par l'effet de ces opérations.

ne peut être assurée par la voie des tribunaux ordinaires, nous arriverons plus tard à rechercher quel système pourrait utilement remplacer ce qui existe aujourd'hui ; mais alors, comme dans ce moment, nous ne dissimulerons aucune des difficultés qui se présenteront; et il faut bien que la question soit difficile. et embarrassée pour que, depuis près de quarante ans, sa solution ait été toujours ajournée.

Nous avons dit que les marchés à terme effectifs et sérieux avaient deux buts différents, et nous avons déjà fait voir que l'un de ces buts, la spéculation qui achète pour revendre, licite et nécessaire dans beaucoup de circonstances, était aussi dans beaucoup d'autres un véritable jeu funeste aux intérêts particuliers, et dangereux pour l'intérêt général. L'autre but que l'on se propose dans les marchés à terme, c'est de retirer, sans aucun risque, un intérêt d'un capital engagé, même pour peu de temps. On y parvient par des opérations qu'en termes de bourse on nomme des reports, et que nous allons faire connaître en quelques mots. Le capitaliste achète simultanément de la rente au comptant, en échange de son capital, et la revend livrable à la fin du mois courant, ou du mois prochain. Comme l'inscription de rente porte avec elle l'intérêt qui s'accroît chaque jour, le cours est d'autant plus élevé que le temps s'écoule le capitaliste vend donc toujours à terme plus cher qu'il n'achète au comptant: il réalise ainsi un intérêt qui s'élève, frais du courtage de l'agent de change déduits, à 3 ou 4 pour 100 par an.

Les reports offrent, comme on le voit, un moyen certain, facile et qui ne présente point de risque, de tirer intérêt d'un capital, même quand on ne peut en disposer que pendant un délai fort court; c'est à la fois un avantage considérable pour le commerce et pour l'industrie, qui se trouvent ainsi mis en possession de capitaux qui demeureraient en stagnation sans ces opérations; et un avantage non moins considérable pour les capitalistes qui réalisent ainsi un profit qui leur échapperait.

Dire les inconvénients qui résultent aussi des opérations de cette espèce, ce serait s'écarter du résultat que nous cherchons; évidemment ces opérations se prêtent à des abus; elles donnent à des dépositaires le moyen de faire fructifier des dépôts qui devraient rester intacts entre leurs mains; elles facilitent dans de certains cas les jeux de bourse; mais ce ne sont pas là assurément des motifs suffisants de proscrire des opérations qui sont essentiellement utiles, qui activent la circulation et soutiennent le crédit.

Ainsi, on voit que les marchés à terme sont en eux-mêmes des opérations parfaitement légitimes, et non moins nécessaires dans l'intérêt particulier que dans l'intérêt général : mais on voit aussi que l'on abuse de ces marchés pour se livrer à des opérations de jeu, à un agiotage également funeste aux individus et au crédit national. Ce jeu n'est pas moins répréhensible, soit que les joueurs aient ou non en leur possession, ou même aient ou non déposé entre les mains des agents de change l'argent ou les valeurs qu'ils engagent. Que les tribunaux, ne reconnaissant pas les dettes de jeu, les paris', déclarent nuls les engagements qui ne sont pas garantis par le dépôt des valeurs, c'est une répression insuffisante, dans un cas particulier, d'un trouble grave apporté dans

Art. 421 du Code pénal: « Les paris qui auront été faits sur la hausse ou la baisse des effets publics seront punis d'un emprisonnement d'un mois au moins, d'un an au plus, et d'une amende de 500 francs à 10,000 francs. >>

l'économie de la chose publique certainement il faut aller plus loin, certainement il importe de restreindre la spéculation à des limites mieux définies : que si dans de certains temps de prospérité elle a concouru, comme il faut le reconnaître, à élever et même à maintenir le cours des effets publics, à quels retours ne faut-il pas s'attendre de sa part s'il survenait des jours malheureux! Ne nous souvenons-nous plus déjà de la dépréciation énorme que les effets publics ont éprouvée aux derniers bruits de guerre? Qu'y avait-il cependant de réel et de véritable dans cette baisse si rapide, et qui semblait menacer le pays d'une ruine prochaine? Rien autre chose, si ce n'est que tous les joueurs à la Bourse saisissaient l'occasion de précipiter la France sur la pente où son pied se posait. Il y a eu là un grand enseignement, qui ne devrait pas être perdu: notre richesse n'avait pas diminué, notre cause était juste, nous nous préparions à une lutte que nous ne devions pas redouter, et, par l'effet des spéculations de Bourse, le ressort de la guerre faiblissait dans nos mains, même avant qu'elle fût déclarée.

Tout est calme aujourd'hui, et c'est précisément parce que les circonstances sont favorables, qu'il faut en profiter pour réglementer la Bourse de manière à ce que la spéculation ne puisse plus à l'avenir exagérer les résultats des circonstances heureuses ou malheureuses pour le pays.

Et il faut bien le reconnaître, cette réglementation qui paraît si indispensable, qui semble la première ancre de la fortune publique, cette réglementation est encore si loin de nous, que la compagnie des agents de change effectue et cote publiquement des opérations qui sont absolument de pures spéculations; c'est des marchés à prime que nous voulons parler.

Les marchés à prime ne diffèrent des marchés à terme que par une condition particulière, qui donne à l'acheteur le droit, en abandonnant une certaine somme nommée prime, payée au moment où il contracte, de ne pas prendre livraison de la rente au terme fixé par le marché. Cette opération n'est donc véritablement autre chose qu'un pari où l'une des deux parties, l'acheteur, gage que le cours de l'effet public s'élèvera, dans un délai fixé, d'une somme supérieure à la prime qu'il met en jeu, et dans lequel l'autre joueur, le vendeur, gage le contraire. Les spéculations de cette sorte diminuent ou augmentent les fortunes des joueurs, selon le succès de chacun, d'une manière immorale; elles ne servent jamais utilement à la prospérité publique; car s'il est de l'intérêt du pays que le cours des effets publics soit élevé, c'est uniquement en ce sens que le crédit public exprime le niveau de la richesse nationale; toute élévation fictive du cours des effets publics est un danger plutôt qu'un avantage; et, au contraire, dans le cas où la spéculation tend à faire baisser le cours, elle agit directement contre le pays.

La conclusion que l'on doit nécessairement tirer de cet exposé, c'est que les marchés à prime doivent être interdits 1. On a allégué, pour en maintenir

L'art. 2 du projet de décret soumis au Conseil d'État, le 24 juillet 1809, par la commission spéciale chargée par l'empereur de préparer le règlement d'administration pu blique touchant les agents de change, est ainsi conçu: «Toutes ventes et achats d'effets publics à prime sont défendus. Ceux qui en feraient seront poursuivis d'office par nos procureurs impériaux, et condamnés correctionnellement à une peine qui ne pourra excéder 3,000 francs d'amende et un an de prison; elle sera double en cas de récidive. «Les agents de change qui y auront pris part seront en outre destitués, et l'entrée de la Bourse leur sera interdite, même comme particuliers,>>

l'usage, que le cautionnement que l'État exige des compagnies avec lesquelles il traite des emprunts n'est autre chose qu'une prime que les compagnies peuvent abandonner, en résolvant ainsi le contrat qu'elles ont souscrit; mais il n'y a pas analogie dans les deux cas; il est évident qu'un marché où l'État intervient est toujours sérieux; le cautionnement exigé n'est donc pas une prime, mais une garantie aussi réelle que le gouvernement la puisse exiger.

Après avoir examiné quelles sont les diverses conditions dans lesquelles a lieu aujourd'hui la transmission de la propriété des effets publics, il devient nécessaire de jeter un coup d'œil sur la manière dont s'opère la transmission elle-même, et de bien se rendre compte de la participation des agents de change à ces opérations.

C'est un principe consacré que les agents de change doivent garder le secret aux personnes qui les chargent de négociations'. On conçoit en effet que le résultat des grandes opérations sur les fonds publics, et notamment le placement des emprunts, pourraient être compromis, si l'on savait quelles sont les personnes qui ordonnent de vendre ou d'acheter. Il paraît aussi, d'après les assertions de ceux à qui la Bourse est bien connue, qu'il suffirait quelquefois que telle ou telle personne, placée dans certaine position publique, fit vendre ou acheter des fonds, et qu'on le sût d'une manière certaine, pour que cette circonstance influât sur le cours; peut-être cette influence cesserait-elle d'être sensible, si la spéculation ne s'emparait pas avec tant de vivacité des nouvelles souvent les plus indifférentes. Quoi qu'il en soit, il faut admettre, ce qui d'ailleurs est conforme aux règles qui régissent les intérêts privés, que les agents de change doivent garder le secret à leurs clients; mais pour assurer ce secret, ou au moins à cette occasion, s'est fondé un usage qu'il est bon de faire connaître, non pour le réformer, car il paraît avoir des avantages réels, mais pour expliquer comment cet usage peut facilement conduire les agents de change à faire des opérations pour leur propre compte, ce qui, au surplus, ne paraît pas leur être interdit par leur règlement. Les agents

Cet article était motivé dans le rapport par les considérations suivantes :

« L'opinion qui proscrit les marchés à prime a été unanime dans la commission, unanime même parmi les agents de change qui ont été consultés, hors un seul. Les ventes à prime ne sont qu'un jeu, une espèce de pari sur la hausse et la baisse; et il a été reconnu que de tels contrats ont été prohibés par les lois anciennes; que les lois existantes les réprouvent aussi; qu'ils sont une occasion de ruine pour beaucoup de gens; que la masse de la dette flottante serait supposée plus considérable au moyen de ces achats conditionnels; que la hausse et la baisse ne seraient plus le résultat de l'effectif des effets vendus, mais des calculs de l'intérêt, de l'erreur et souvent de la malveillance. >>

Et cependant aujourd'hui encore les marchés à prime sont cotés officiellement dans le bulletin de la Bourse.

• Règlement de novembre 1832, titre VI, art. 2: « Les agents de change doivent garder un secret inviolable aux personnes qui les chargent de négociations, à moins que les parties ne consentent à être nommées, ou que la nature de l'opération ne l'exige, sans préjudice du droit d'examen et d'investigation complète qui appartient à la chambre syndicale. »

Le titre IV du règlement est intitulé: Des négociations de change. Il porte, article 1er: « Les agents de change ne peuvent faire aucune opération de change ou de commerce pour leur compte. » Le titre V est intitulé: De la négociation et transmission de propriété des effets publics. Il ne contient aucune interdiction aux agents de change de faire des opérations pour leur compte sur les effets publics; il faut en conclure que l'on n'a pas voulu interdire en droit ce qui a lieu en fait, ce qui peut-être, dans l'état ac

de change, toutes les fois qu'ils prêtent leur ministère à un transfert de rente, achètent ou vendent en leur propre nom; c'est-à-dire que s'ils achètent une quantité de rente quelconque pour un de leurs clients, ils font opérer d'abord le transfert à leur nom de la rente achetée, et la rétrocèdent à leur client par un second transfert : jamais il n'y a transfert direct par le titulaire de la rente vendue à celui qui l'achète. On voit tout d'abord que cet usage, nécessaire sans doute pour maintenir le secret des opérations, se combinant d'ailleurs avec l'absence dans le règlement de toute défense aux agents de change d'acheter ou de vendre des effets publics à leur propre profit, donne toute liberté aux agents de change de faire, quand ils le jugent convenable, des affaires pour leur compte.

De tous les reproches que l'on pourrait faire à l'institution des agents de change, il n'y en aurait pas de plus grave, au point de vue de la conservation du crédit national, que la participation personnelle de ces fonctionnaires à des spéculations sur les fonds publics. On ne saurait trop le répéter, l'établissement d'une compagnie à laquelle est réservé exclusivement le droit d'opérer tous les contrats de transmission de propriété des effets publics ne peut être motivé que par la nécessité pour le pays que les ventes et les achats des effets publics soient soumis à une police sévère. Le but de cette institution doit être d'empêcher toute opération fictive, toute opération qui, en compliquant les causes de la hausse ou de la baisse du cours, de faits étrangers à la situation réelle de la fortune publique, a nécessairement pour résultat de changer les bases du crédit national et de le compromettre au jour où la nation a besoin d'en user. On ne comprendrait pas en effet que la compagnie des agents de change existât pour elle-même : elle n'a pu être fondée et elle ne saurait subsister à l'avenir que dans l'intérêt public; et cet intérêt, c'est principalement, c'est presque uniquement la répression de l'agiotage; car tous les avantages subsidiaires qui résultent de l'institution des agents de change ne suffiraient pas pour motiver le privilége remis entre leurs mains, si l'État n'y avait l'intérêt immense de la conservation de son crédit.

C'est sous ce rapport qu'il peut être utile d'examiner l'étendue de ce privilége.

Il est établi par l'article 76 du Code de commerce, qui est ainsi conçu : « Les agents de change, constitués de la manière prescrite par la loi, ont seuls le droit de faire les négociations des effets publics et autres susceptibles d'être cotés; de faire pour le compte d'autrui les négociations des lettres de change et billets et de tous papiers commerçables, et d'en constater le

cours.

« Les agents de change pourront faire, concurremment avec les courtiers de marchandises, les négociations et le courtage des ventes ou achats des matières métalliques. Ils ont seuls le droit d'en constater le cours. >>

Laissons de côté la portion du privilége relative à la négociation des lettres de change, billets et tous papiers commerçables; laissons aussi de côté la négociation des matières métalliques, nom sous lequel on a sans doute voulu désigner l'or et l'argent, quoique tous les autres métaux soient apparemment aussi des matières métalliques. Ne nous occupons quant à présent que des

tuel des choses, est une nécessité pour les agents de change dans certaines circonstances, mais ce qui serait l'aveu le plus clair du mauvais état des règlements actuels. »

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