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tions, et permet à chaque instant, au premier besoin manifesté, de réaliser le capital.

L'Etat est le représentant des contribuables; quand il contracte un emprunt, la nation entière s'oblige à faire honneur à l'engagement. Le prêteur ne connaît que la personne morale avec laquelle il traite, que l'autorité; celle-ci est nominalement son unique débiteur; mais en réalité, c'est l'étendue des ressources des contribuables qui détermine la quotité de la somme qu'il se décidera à avancer. Le gouvernement ne fait que jouer le rôle d'intermédiaire; il perçoit sous forme d'impôts des valeurs qui s'écoulent de ses mains converties en arrérages.

Cette belle création du génie financier n'est pas forcément restreinte aux opérations des empires; on l'a déjà appliquée, avec succès, aux emprunts contractés par les départements, les villes, les communes. Une ingénieuse combinaison a permis aux propriétaires fonciers de se mettre sur la même ligne.

Rien de plus simple que le mouvement de cette machine financière: les propriétaires fonciers se réunissent et s'obligent, en conséquence d'un emprunt contracté par chacun d'eux, dans une proportion déterminée avec la valeur des immeubles possédés, à verser les intérêts dans une caisse commune, sous la direction de membres choisis à cet effet. Si l'autorité intermédiaire ainsi constituée est munie de pouvoirs suffisants pour assurer la rentrée exacte, et par conséquent le service régulier des intérêts, la sécurité des prêteurs devient entière. La négocia tion d'un titre uniforme, délivré par l'association, ne présente plus aucune difficulté.

Que cette association embrasse dans son réseau la commune, le canton, le département, enfin le pays tout entier, et l'on verra se reproduire avec exactitude tous les éléments qui élèvent à un si haut degré de prospérité le crédit public.

L'association territoriale, en la prenant dans sa plus large expression, constitue, comme l'Etat, une personne morale, munie de pouvoirs et de ressources nécessaires pour remplir avec exactitude tous ses engagements. Les propriétaires fonciers, ses contribuables, ne sont tenus que vis-à-vis d'elle, et les capitalistes ont aussi l'association pour unique débiteur.

Chaque domaine reçoit, jusqu'à concurrence d'une certaine portion de sa valeur, libre de toute charge, des obligations hypothécaires émises par la société, pareilles aux titres des rentes sur l'Etat, et dont la société sert les intérêts. Tout l'office de celle-ci consiste à à épargner au capitaliste le contact immédiat avec l'immeuble affecté à la créance, à généraliser le gage et le titre d'emprunt. Elle résume en elle, et réunit en un seul faisceau toutes les valeurs territoriales. N'ayant et ne pouvant avoir en vue aucune spéculation, aucun gain, elle se borne à servir de caisse centrale, à recueillir d'un côté les intérêts qu'elle dé

verse de l'autre. Les propriétaires ne payent en sus qu'une très-faible prime, destinée à couvrir les dépenses administratives. Réunis en quelque sorte en corps d'état, ils impriment à leurs obligations le sceau du crédit puissant, et les marquent au coin d'une valeur notoire. Le grand-livre de la dette foncière se forme donc et fonctionne exactement comme le grand-livre de la dette publique.

la première idée de cet ingénieux système appartient à Law, qui ne réussit pas à le faire adopter par le parlement d'Ecosse. L'application de cette idée, digne du génie financier de Law, eut d'abord lieu en

Prusse.

Par suite des dévastations de la guerre de sept ans, jointes au désordre des monnaies et à la baisse subite du prix des grains et des terres, le crédit des propriétaires fonciers de la Silésie se trouva ébranlé profondément. Les déconfitures et les expropriations forcées se multiplièrent d'une façon inquiétante, et beaucoup de familles, placées entre des emprunts usuraires et les demandes de remboursement de leurs créanciers, marchaient à grands pas vers une ruine complète. C'est dans ces circonstances que Frédéric II, sur la proposition du négociant Buhring, fonda le système de crédit connu sous le nom de système territorial silésien. Par un ordre du cabinet du 29 août 1769, tous les propriétaires de terres nobles (Rittergüter) furent réunis en une association dont le but était le rétablissement et le crédit des nobles et des Etats (Stande) de Silésie. A cette fin, l'association s'obligeait, d'un côté, envers tout possesseur de terre noble et moyennant hypothèque sur celle-ci jusqu'à concurrence de moitié de sa valeur, à lui procurer un emprunt dont le remboursement ne serait pas exigible; et de l'autre côté, vis-à-vis des créanciers, porteurs d'un titre d'obligation (Pfand-Brief, lettre de gage) délivré par la société; elle garantissait, sur tous les biens compris dans l'association, et le capital et le payement régulier des intérêts.

L'institution prospéra; les capitaux devinrent abondants, et ces heureux résultats provoquèrent d'autres créations analogues. Bientôt toutes les provinces de la vieille Prusse eurent leurs associations de crédit territorial; la Marche électorale et la Nouvelle-Marche en 1777, la Poméranie en 1781, la Prusse occidentale en 1781, et la Prusse orientale en 1789. Enfin en 1821 le grand-duché de Posen entra dans la même voie.

En dehors de la Prusse, cette institution n'eut pas moins de succès. Ainsi, sans parler de la tentative malheureuse faite en 1811 dans les duchés de Schleswig et de Holstein, nous trouvons des associations de crédit territorial établies et existantes encore dans la principauté de Lünebourg (fondée en 1790), dans les deux grands-duchés de Mecklembourg (1818), dans la Courlande et l'Iflande (1830), dans le royaume de Pologne (1825), renouvelée en 1838), dans les principautés de Calenberg, Grubenhagen et Hildesheim (1825, étendue en

1838), dans les Etats de Brême et Verden (1826), dans le royaume de Wurtemberg (1826), et dans la province de la Frise orientale (1828). L'association projetée en Bavière depuis 1823, et approuvée par une loi du 11 septembre 1825, n'a pu se réaliser; mais elle se trouve remplacée en partie par la Banque d'hypothèques et de change établie dans ce royaume en 1835 1.

Toutes ces associations ont le même but, à savoir, de venir en aide au crédit territorial, en lui prêtant l'appui d'une vaste association qui intervient entre le propriétaire et le capitaliste, en mettant à la disposition du premier, moyennant hypothèque, les sommes qui ont été prêtées en considération du crédit social. Pour atteindre ce but, elles emploient également un moyen identique, la mise en circulation de titres au porteur, émanant de la société et représentant une certaine portion de la valeur des biens hypothéqués à celle-ci. Mais au surplus et dans les détails d'application ces diverses associations ont de nombreuses différences qu'il importe de connaître, si l'on veut se rendre compte de leur efficacité. L'on peut à cet égard établir une distinction tranchée entre le vieux système prussien et les associations fondées ou réformées plus récemment. Nous parlerons d'abord de l'exigibilité de la dette (droit d'exiger le remboursement - Kündbarkeit), et de l'amortissement.

L'ancien système prussien établit bien vis-à-vis du débiteur et dans son intérêt la non-exigibilité de la dette; mais vis-à-vis de la société, il autorise d'une manière absolue le créancier à réclamer le remboursement. Si celui-ci use de cette faculté, c'est à la société soit de chercher d'autres accepteurs de la lettre de gage, soit d'en opérer le rachat moyennant son propre fonds ou par les ressources qu'elle pourra trouver ailleurs; d'un autre côté, la société peut toujours rembourser le porteur de la lettre de gage. Le débiteur a le même droit; et comme il peut l'exercer non-seulement pour sa dette tout entière, mais encore pour chaque lettre de gage garantie sur son fonds par une hypothèque spéciale, il a la faculté de diminuer ou d'éteindre sa dette par des payements successifs. Mais le remboursement est purement facultatif de sa part, et ce système n'admet pas l'amortissement forcé. En outre, depuis 1787, l'association silésienne suit le principe que les lettres de gage ne peuvent être rachetées que par des lettres de gage, et jamais en argent comptant.

Au contraire, les nouvelles associations (suivant en ceci l'exemple donné dès 1790 par l'association de Lünebourg) se distinguent par la combinaison d'une extinction graduelle de la dette et du système des lettres de gage.

Nous empruntons ces indications, plus complètes que celles que nous avions données dans notre premier Mémoire sur la Mobilisation du crédit foncier, à un travail de M. Kohlchutter, conseiller intime du royaume de Saxe, travail publié récemment dans les Archives d'économie politique, de MM. Rau et Hannsen (en allemand).

La plupart de ces associations stipulent que le porteur d'une lettre de gage ne pourra exiger le remboursement, et en même temps elles astreignent le débiteur à payer, outre les intérêts des lettres de gage et sa quote-part pour les frais d'administration, une certaine somme destinée à l'amortissement. A cette fin, le revenu de ces sommes complémentaires, réuni entre les mains de la société et croissant d'après la proportion des intérêts composés, est employé au rachat successif des lettres de gage, de telle sorte que, selon l'élévation plus ou moins grande du taux de l'intérêt et du complément destiné à l'amortissement, le capital lui-même est amorti plus ou moins rapidement, et par suite la somme des dettes de la masse des propriétaires faisant partie de l'association est de plus en plus diminuée.

L'association de crédit du grand-duché de Posen fut dès l'origine établie sur cette base; depuis lors beaucoup d'autres associations territoriales de la Prusse l'adoptèrent également et modifièrent dans ce sens leurs statuts.

Il existe donc deux espèces d'associations territoriales de crédit : celles où l'extinction de la dette n'est que facultative, et celles où la créance doit se trouver forcément éteinte au bout d'un certain laps de temps. Dans ces dernières, le débiteur ajoute à chaque payement d'intérêts une certaine somme qui, s'accumulant sans cesse et produisant elle-même des intérêts, finit par le libérer sans gêne et sans efforts.

La question de l'amortissement est une de celles qui ont été le plus vivement débattues. A l'enthousiasme primitif pour ses prétendues merveilles a succédé la défiance, et même la réprobation; des économistes célèbres le taxent de déception ruineuse, et l'Angleterre l'a déjà supprimé, en se réservant d'employer l'excédant seul du revenu à l'extinction de la dette publique.

Mais si l'amortissement est condamné comme un rouage onéreux et funeste pour l'administration des intérêts publics, il n'est pas à dire qu'on doive le bannir de l'administration des intérêts privés.

La durée limitée de la vie humaine, le déplacement rapide des fortunes, commandent à chacun de poser des bornes à ses entreprises, de dégrever son avenir; l'habileté industrielle ne se transmet pas par héritage, et l'on doit tendre à libérer ses successeurs des charges qui pourraient leur devenir par trop onéreuses.

L'Etat, qui marche toujours jeune vers un avenir sans bornes, n'éprouve pas les mêmes nécessités. La richesse peut se déplacer entre ses membres, sans que la masse des biens en éprouve aucune altération; l'Etat est le centre vers lequel tous les intérêts viennent converger, et tant que la fortune publique ne décroît point, la solvabilité et par conséquent le crédit du pays restent les mêmes, quelque variation qu'éprouvent ses éléments. Quand il est question d'amortissement, l'Etat doit se demander s'il ne prélève point entre les mains des contribuables des capitaux utilement employés, et produisant un intérêt plus

élevé que la dette publique, et ce uniquement pour éteindre cette dette, soi-disant à leur bénéfice.

En effet, ce qui profite à chaque contribuable profite à la richesse nationale et vient refluer dans le réservoir commun.

Tout s'individualise, au contraire, dans la propriété privée; l'immeuble grevé, par exemple, ne profitera pas toujours des avantages que procure l'emprunt auquel il a servi de garantie. Aussi il pourra être indifférent à l'Etat d'éteindre ou non sa dette; le pays pourra même trouver plus d'avantage à la laisser subsister, et son crédit n'en éprouvera aucune atteinte; mais il importera toujours à la propriété privée de se voir libérée dans un certain espace de temps. L'appel fait au crédit territorial ne doit pas en dessécher la source, et cela aurait lieu, si la dette devait éternellement grever le bienfonds.

D'ailleurs, dirigé par des administrateurs expérimentés, entouré de conseils et soumis à un incessant contrôle, l'intérêt public se suffit à lui-même pour se frayer la meilleure voie; l'intérêt privé a besoin qu'on la lui trace. Il est dans notre nature des instincts d'ordre et d'économie qui n'ont besoin que d'appui et de bonne direction, que d'encouragement et de but déterminé, pour prendre un développement rapide et fructueux.

Les caisses d'épargnes ont ouvert une voie d'amélioration pour les classes pauvres et laborieuses. Celles-ci n'ont pas tardé à comprendre qu'une légère somme, mise en réserve de distance à distance, peut leur créer des ressources précieuses pour l'avenir.

Les compagnies d'assurances sur la vie, celles de prévoyance et autres, travaillent à infiltrer le même esprit d'ordre et de suite dans les classes plus aisées; et un amortissement modéré, appliqué aux emprunts des particuliers, serait-il autre chose qu'une caisse d'épargnes de la propriété, caisse organisée sur une large échelle, et dont l'influence salutaire s'étendrait également sur la moralité et sur le bienêtre de la nation?

Un tel système est plus qu'utile, il est indispensable pour la propriété foncière. Nous l'avons déjà dit, si elle assure un revenu constant, elle ne le dispense, à des époques réglées, que par faibles fractions eu égard au capital engagé. Aussi pour qu'elle puisse se suffire à ellemême, pour qu'elle puisse s'affranchir, par ses propres forces, des charges qui la grèvent, il faut qu'on échelonne sa libération dans la mesure des bénéfices qu'elle procure; elle parviendra ainsi sans grand effort, sans que rien la trouble dans sa marche lente et régulière, à faire face à ses engagements.

L'amortissement, en permettant le remboursement des obligations au pair, par voie de tirage au sort, assure aussi un autre avantage, la fixité des cours; il empêche les brusques revirements du jeu et l'influence des agioteurs. Les cours oscilleront nécessairement

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