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mettre nos lecteurs au courant de cette importante question, que de placer sous leurs yeux l'excellent discours prononcé par l'honorable député.

A toute époque, les hommes pratiques, les hommes sérieux se sont préoccupés de savoir si l'institution actuelle de nos consuls suffit aux exigences de la politique, du commerce et de l'industrie de la France.

Rarement vos commissions de finances ont laissé passer une session sans examiner dans leur sein cette grave question, et pendant les huit années consécutives que j'ai fait partie de la commission du budget, j'ai toujours vu s'élever et se débattre la question de savoir si vos consuls ne devraient pas être détachés du ministère des relations extérieures, pour rentrer dans les attributions et dans la compétence du ministre de l'agriculture et du commerce.

Nos agents consulaires sont investis d'un double caractère. On les a beaucoup multipliés depuis quelques années; je ne m'en (plains pas, je m'en félicite au contraire; il importe à un haut degré que le nom, l'influence et le drapeau de la France apparaissent dans les lieux les plus importants du monde politique et commercial. Quelques centaines de mille francs inscrits tous les ans au budget de l'État trouvent une ample compensation dans les facilités nouvelles qui s'ouvrent à nos grandes relations d'outre-mer, et notre politique en a retiré souvent des avantages inappréciables.

Mais le double caractère dont sont investis nos agents consulaires, et que je rappelais tout à l'heure, n'est-il pas, en raison même de ces exigences, jusqu'à un certain point exclusif? Nous confions à un même homme le soin laborieux et toujours difficile de représenter, de protéger et de défendre les intérêts politiques, industriels et commerciaux de la France. Assurément, messieurs, je ne vais pas jusqu'à prétendre que le concours de toutes les qualités qu'exige cette large et haute mission ne puisse pas se rencontrer dans les hommes que nous honorons de notre choix; mais je ne crois pas être trop exigeant quand je demande s'il n'est pas quelquefois, souvent même, difficile de trouver des sujets également habiles dans la science commerciale et dans la science politique.

« Je ne crois pas manifester une prétention excessive quand je demande à M. le ministre des affaires étrangères lui-même, qui choisit, qui institue nos consuls, si son discernement commercial et industriel n'est pas quelquefois absorbé, envahi par sa haute et incontestable capacité politique. Je lui demande enfin si les garanties qu'il exige, si les conditions qu'il prescrit, lorsqu'il s'agit pour lui d'apprécier le mérite d'un candidat commercial, sont aussi nombreuses, aussi attentives, aussi efficaces que lorsqu'il s'agit d'apprécier son mérite politique.

Telles que mes questions viennent d'être posées, leur solution ne saurait être douteuse.

Loin de moi la pensée d'affaiblir l'influence ou l'autorité morale de nos consuls, je les tiens tous pour des hommes fort habiles, fort compétents en politique; c'est là sans doute une concession large qui doit satisfaire les membres les plus difficiles; cependant, en raison même de l'abondance de cette concession, qu'il me soit permis de faire une simple réserve. Nous avons aujourd'hui en France beaucoup d'hommes politiques; mais les hommes pratiques, les hommes d'affaires qui ont su habilement diriger leur commerce et qui pourraient, au besoin, conduire et éclairer celui des autres, m'ont toujours paru excessivement rares.

• L'abondance des uns, la rareté des autres, ont dû nécessairement amener les résultats que voici :

< Les candidats politiques ont en général une certaine assurance, une certaine dextérité de formes et de manières qui les fait aisément apprécier.

Les candidats industriels et commerciaux, au contraire, sont plus modestes. Ils connaissent sans doute la nature et la qualité des marchandises; ils sont familiarisés

avec les procédés, les usages, la langue de l'industrie; ils savent apprécier le prix vénal et le prix de revient de chaque produit; ils ont, de loin en loin, la recommandation de chambres de commerce; mais comment soutenir une concurrence presque impossible? Ils écrivent peu, ils agissent encore moins: je conçois que les candidats politiques doivent leur être préférés.

«Je dis plus, messieurs, je soutiens qu'il est dans la loi de la nature humaine d'obéir aux instincts qui nous paraissent les plus élevés; c'est aujourd'hui la politique qui aura toutes les carrières, c'est par elle qu'on obtient de la renommée, des emplois, des honneurs. De même qu'autrefois la guerre conduisait aux premières dignités de l'État, de même aujourd'hui la politique semble devenue le véritable rail-way de l'ambition.

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« Comment s'étonner, dès lors, que, dans l'exercice de leurs fonctions, nos agents consulaires donnent un soin particulier, une attention spéciale aux affaires qui, de près ou de loin, se rattachent aux grands intérêts de notre politique, dont ils sont les représentants? Peut-on exiger d'eux la même surveillance, la même sollicitude pour les affaires qui ne concernent que les intérêts commerciaux dont ils sont les défenseurs? Leur fonction est à la fois politique et commerciale; sont-ils blâmables quand le principal absorbe en eux l'accessoire?

« J'ai connu des consuls dont l'ignorance commerciale m'a véritablement confondu et attristé. Ils étaient chargés, dans des mers fort lointaines, d'ouvrir et de préparer des débouchés aux produits de notre industrie : ils ne s'étaient jamais livrés à une étude pratique quelconque, ils ne connaissaient pas même le nom des principales marchandises qui devaient servir de retour aux exportations de nos manufactures; et lorsque je songeais à tout ce qu'exige d'études réelles, de connaissances sérieuses, de jugement pratique, la science difficile qu'on appelle le commerce et l'industrie, je ne pouvais me défendre d'un véritable sentiment de découragement et de chagrin en considérant à quelles mains nous consentions à livrer la protection et la garde de nos grands intérêts économiques.

« Je n'ai aucunement l'intention d'accuser le bon vouloir et le zèle de nos agents. Chez quelques-uns ce zèle et ce bon vouloir sont véritablement extrêmes. Ils écrivent beaucoup, ils s'agitent beaucoup, et je voudrais, pour la satisfaction de MM. les ministres, comme pour l'édification de la Chambre, qu'il me fût permis d'en offrir au moins une preuve.

« Nous avons en Asie (je désigne à dessein toute cette grande partie du monde, parce que je serais désolé que ma citation pût avoir un caractère personnel); nous avons en Asie beaucoup de consuls. L'un d'eux, attaché à une résidence fort importante, se désolait un jour de la stérilité de nos rapports commerciaux avec elle; il multipliait ses excitations, il transmettait une très-grande quantité de notes, il gourmandait nos chambres de commerce de la froideur et de l'indifférence avec lesquelles elles acceptaient le résultat de ses soins laborieux et dévoués. Enfin, il se crut obligé d'envoyer des échantillons des marchandises qui lui paraissaient sans rivales dans la consommation de sa contrée. Il promettait de très-beaux bénéfices à celles de nos manufactures qui parviendraient à envoyer au moins des imitations de ce qu'il appelait les merveilles anglaises. Ces échantillons, parvenus à grands frais, furent ouverts avec la sollicitude, la curiosité que vous devez supposer. Eh bien! ces merveilles anglaises, c'étaient tout simplement des étoffes de Rouen et de Mulhouse; je n'ose pas affirmer à M. le ministre du commerce que dans ces étoffes ne figurassent pas quelques échantillons de drap de Sedan.

« Vous le voyez, l'institution de nos consuls ne suffit pas à toutes les exigences de notre commerce et de notre industrie. Est-ce à dire que cette insuffisance doive nécessairement me conduire à demander à la Chambre de faire rentrer nos consuls dans les attributions exclusives de M. le ministre de l'agriculture et du commerce? Non,

assurément. Je reconnais au contraire que l'institution des consuls, bien réglée, bien organisée, doit ou peut du moins demeurer utilement sous la direction de M. le ministre des affaires étrangères.

Si l'ordonnance réglementaire de 1833 de M. le duc de Broglie recevait son exécution, ainsi que l'ont toujours vivement réclamé vos commissions du budget, avec les modifications qu'une étude nouvelle et une certaine expérience ont rendues nécessaires, je n'hésite pas à penser que la plupart des inconvénients qui ont été signalés seraient effacés, et que les consuls rendraient à notre industrie, à notre commerce de bien meilleurs services.

Mais qu'il me soit permis de le dire, quelques efforts que l'on fasse, quelques soins qu'on prenne, l'institution actuelle des consuls, telle que l'ont préparée les événements et les traditions du passé, excellente sans doute pour une autre époque, mais vieille et caduque aujourd'hui, a besoin d'être suppléée par une institution auxiliaire, réclamée par le progrès des temps et devenue indispensable si nous voulons maintenir notre industrie et notre commerce à la hauteur que commande l'intérêt national. « Quiconque a étudié, dans ces dernières années, le grand mouvement commercial et industriel du monde ; quiconque s'est livré à l'examen sérieux et attentif de ses instincts, de ses tendances, de ses combinaisons, de ses besoins, doit nécessairement avoir été frappé de la modification profonde, je devrais dire constitutionnelle, qui s'est opérée dans ses moyens de développement, d'activité et de richesse.

« La vapeur, qui rapproche tous les rivages, les chemins de fer, qui font disparaître les frontières, les machines, qui multiplient toutes les forces productives, les perfectionnements incessants que trente ans de paix ont fait jaillir de l'intelligence humaine, l'instruction, enfin, qui se répand partout comme une vie nouvelle, ont fait naître parmi les peuples une sorte de fermentation, une sorte de besoin de rapprochement qui provoquent à la fois les progrès de la production, les grands épanchements d'exportation.

« De là cette concurrence qui ne s'arrête jamais, cette loi constante d'étendre au loin ses ramifications et ses débouchés; de là, enfin, cette nécessité plus impérieuse encore d'étudier, d'épier, de prévenir ses moindres progrès.

« Vous le savez, la concurrence donne la vie au commerce et à l'industrie, mais il faut qu'elle s'exerce dans des conditions et avec des armes égales; c'est donc à la prévoyance et à l'habileté des gouvernants qu'il appartient de frayer la voie des peuples. Sans doute, nos manufacturiers et nos industriels ont des ressources d'imagination et des facultés inventives que ne sauraient avoir au même degré le gouvernement et les Chambres; mais nous disposons aussi de moyens collectifs qui ne sauraient, dans aucun cas, leur appartenir.

Il y a trente ans, les relations commerciales et industrielles des peuples étaient à peine ouvertes, elles étaient presque exclusivement alimentées par la correspondance. Quelques rares maisons avaient des voyageurs. Aujourd'hui tout est changé. La correspondance n'est que l'accessoire. Les voyageurs sont devenus indispensables pour tout le monde, et je ne crains pas d'affirmer qu'il n'existe peut-être pas, en France, une fabrique, une manufacture de quelque importance qui puisse non-seulement se développer, mais encore se soutenir, si elle n'entretenait pas au dehors, d'un bout de l'année à l'autre, un grand nombre de voyageurs.

Ne croyez pas, messieurs, que ces voyageurs aient uniquement pour but de créer et de préparer des débouchés nouveaux. Ils ont aussi pour mission de porter à la connaissance de leurs chefs, de leurs patrons, les procédés, les découvertes, les perfectionnements des maisons rivales. De telle sorte qu'on peut dire que les efforts qu'on fait pour élargir devant soi le cercle des approvisionnements concourent aussi aux progrès de la production.

Un grand et habile industriel de Lyon mentionnait un jour les souffrances pro

fondes que faisaient éprouver à sa belle industrie les émeutes de 1851. Il redoutait la ruine de son établissement jusqu'alors si prospère, il craignait que la rareté, l'éloi– gnement des bons ouvriers ne provoquât une surexcitation extrême dans le prix de la main-d'œuvre. « Pourquoi, lui disais-je, en présence des dangers qui vous menacent, ne transportez-vous pas votre établissement en dehors de la ville? Vous y « seriez à l'abri des inquiétudes qui vous obsèdent, et vous vous trouveriez au milieu « d'une population laborieuse qui se contenterait de salaires extrêmement modérés. «Si je quittais Lyon, me répondit-il, mon établissement serait fermé avant quatre ans. Il faut que je vive et que je demeure au milieu même de mes concurrents, à « côté de leurs progrès, de leurs perfectionnements, de leurs découvertes. Si je m'é<< loignais d'eux, je serais abandonné à mes seules ressources; au milieu d'eux, je garde mon propre génie et je profite du leur?... »

« Cette réponse, pleine de justesse et de' profondeur, doit nécessairement vous frapper comme elle m'a frappé beaucoup moi-même; et si elle est émanée d'un fabricant jaloux de maintenir son établissement au niveau des progrès de ses concurrents, n'est-elle pas également vraie, également politique pour une nation qui veut maintenir son commerce au rang qui lui est dû?

« Ainsi, messieurs, rapprocher incessamment la France des grands foyers de production, la tenir régulièrement, journellement au courant de tous les perfectionnements, de toutes les inventions des peuples rivaux, lui fournir enfin les voyageurs qui préparent les débouchés et qui éclairent sur les dangers de la concurrence, telle est la triple nécessité qui a frappé la Société industrielle et commerciale et la Chambre de commerce de Paris.

«Ne croyez pas que ce soient là de simples utopies; il n'y a rien de plus pratique au monde. Nous avons déjà été devancés dans l'application de ces idées par l'Angleterre, la Russie, la Prusse, la Saxe, la Belgique et la Suisse.

« Qu'il me soit permis de porter à la connaissance de la Chambre quelques informations du plus haut intérêt, que j'ai puisées à une source précieuse.

«La Russie a eu pendant quatre ans en France M. le comte de Meyendorf. Ce diplomate était obligé de s'introduire dans tous nos ateliers, de faire un rapport mensuel sur tout ce que l'industrie française pouvait produire; il avait des subalternes qu'il faisait voyager dans nos villes manufacturières; il a rempli sa mission d'une manière si satisfaisante, que l'empereur l'a nommé grand chambellan. Il est aujourd'hui ministre. Il a été remplacé par M. le comte de Boutoski; celui-ci a la même mission; il a plusieurs agents sous ses ordres.

« L'Angleterre a deux agents spéciaux qui viennent souvent à Paris pour controler ce que d'autres agents demeurant à Paris leur rapportent tous les quinze jours. Ces derniers sont payés par l'ambassadeur anglais et ont la même mission que les agents russes; ils sont en outre chargés par divers manufacturiers anglais de nous enlever nos dessins partout où ils trouvent des ouvriers et des dessinateurs bien disposés.

« Les États-Unis, qui jusqu'à l'année dernière n'avaient pas suivi ce genre d'exploration, commencent à s'en mêler, et plusieurs agents parcourent nos manufactures dans ce but.

« Au moment de l'exposition de 1844, les Saxons, les Prussiens, les Belges et les Suisses se sont mis en mouvement et sont venus à Paris pour y procéder à peu près de la même manière; mais en agissant toutefois avec beaucoup plus de réserve et en se servant de moyens plus circonscrits.

Après l'exposé de ces faits, est-il besoin d'insister davantage? N'est-il pas évident que la concurrence nous presse et que nous devons faire ce que font nos rivaux ?

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«Il me reste à expliquer en très-peu de mots à la Chambre comment, dans ma pensée, devraient être institués les agents, quels seraient le véritable but de leur institu

tion, le véritable caractère de leurs fonctions et le mode de leurs explorations; il appartiendrait au gouvernement de déterminer leur nombre et la quotité de leur traitement.

« Les agents commerciaux devraient être exclusivement choisis parmi les hommes spéciaux, parmi les hommes pratiques, sur les informations des chambres de commerce du royaume et des chefs d'établissements des grands centres de production; ils devraient connaître, non-seulement la langue de l'industrie, mais encore celle de la nation qu'ils seraient chargés d'explorer.

• Ils n'auraient aucun caractère officiel, et encore moins aucun caractère politique. Ils seraient placés sous la protection générale de nos consuls; ils correspondraient directement avec M. le ministre de l'agriculture et du commerce; ils auraient pour mission de se transporter incessamment sur les points principaux de la contrée dont la circonscription leur aurait été tracée.

< Voici quel serait le but de leur exploration dans les lieux de production : ils étudieraient les procédés et les perfectionnements des peuples rivaux ; ils surveilleraient l'apparition des industries nouvelles ; ils rechercheraient les voies nouvelles d'écoulement de la production, les échanges de nation à nation, les frais de toute nature, ainsi que les droits de douanes qui atteignent les marchandises à leur entrée et à leur sortie.

Dans les lieux de consommation, ils apprécieraient les industries déjà existantes et les industries nouvelles qui seraient susceptibles d'apparaitre. Ils apprécieraient également les conditions de moralité, de sûreté et de profit sous l'influence desquelles s'accomplissent toujours les transactions commerciales. Ils apprécieraient enfin les produits manufacturés des peuples étrangers, les goûts, les variations, les modes de la consommation, etc.

• Dès le début, je doute qu'il fût nécessaire d'instituer un grand nombre d'agents. « Je me bornerais à en réclamer pour l'Angleterre, l'Allemagne, la Belgique et la Russie. Je ne serais pas arrêté par le chiffre de la dépense qui serait, dans tous les cas, assez inodéré.

Le commerce rend toujours avec usure les sommes qui lui sont consacrées. Une seule opération qui ne se serait point accomplie et qui serait le résultat plus ou moins direct de l'intervention d'un de nos agents, rendrait assurément au droit de douane plus que n'auraient coûté tous les autres.

Prenons-y garde, la rivalité et la lutte commerciale et industrielle des peuples menace de la décadence ou de la ruine toute nation qui voudra demeurer stationnaire et ne pas suivre les progrès des autres; les traditions, les errements du passé, ont fait leur temps; une ère nouvelle commence; mettons donc entre les mains de nos manufacturiers et de nos industriels les armes pacifiques avec lesquelles ils pourront, non-seulement conserver, mais peut-être encore conquérir les grands marchés du globe ouverts à la consommation de leurs produits. »

ALGÉRIE. NOTICE sur la SITUATION DU SAHARA. Un des principaux résultats qu'on était en droit d'attendre de la prise de possession des Zabs n'a pas tardé à se manifester. On a acquis des notions précises sur la nature des relations qui mettent ces contrées en contact avec les parties plus méridionales de l'Afrique et avec le Tell; leurs habitudes et leurs besoins commerciaux se sont révélés. Une voie nouvelle, dont l'activité et l'intelligence de nos négociants peuvent tirer le meilleur parti, s'ouvre pour écouler les produits de nos manufactures françaises.

Quelques développements succincts sur la situation du Sahara, au point de vue commercial, suffiront pour faire apprécier l'importance de ces nouveaux débouchés. La province de Constantine, sur une profondeur de 140 lieues environ, se partage en plusieurs zones commerciales successives, marquées par les points importants

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