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I

D'UNE TARDIVE INSTRUCTION.

L s'agit de décrire quelques inconveniens où tombent ceux qui, ayant méprisé dans leur jeunesse les sciences et les exercices, veulent reparer cette negligence dans un âge avancé par un travail souvent inutile. Ainsi un vieillard de soixante ans s'avise d'apprendre des vers par cœur, et de les reciter à table dans un festin, où, la memoire venant à luy manquer, il a la confusion de demeurer court. Une autre fois il apprend de son propre fils les évolutions qu'il faut faire dans les rangs à droit ou à gauche, le maniement des armes, et quel est l'usage à la guerre de la lance et du bouclier. S'il monte un cheval que l'on luy a presté, il le presse de l'éperon, veut le manier, et, luy faisant faire des voltes ou des caracolles, il tombe lourdement et se casse la tête. On le voit tantost, pour s'exercer au javelot, le lancer tout un jour contre l'homme de bois, tantost tirer de l'arc et disputer avec son valet lequel des deux donnera mieux dans un blanc avec des fleches, vouloir d'abord apprendre de luy, se mettre ensuite à l'instruire et à le corriger, comme s'il estoit le plus habile. Enfin, se voyant tout nud au sortir du bain, il imite les postures d'un luiteur, et par le defaut d'habitude, il les fait de mauvaise grace, et s'exerce d'une maniere ridicule.

1. V. le chap. de la Brutalité.

2. Une grande statuë de bois qui estoit dans le lieu des exercices pour apprendre à darder.

DE LA MEDISANCE.

E définis ainsi la médisance : une pente secrete

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de l'ame à penser mal de tous les hommes, laquelle se manifeste par les paroles; et pour ce qui concerne le médisant, voicy ses mœurs. Si on l'interroge sur quelque autre et que l'on luy demande quel est cet homme, il fait d'abord sa genealogie : «< Son pere, dit-il, s'appelloit Sosie1, que l'on a connu dans le service et parmy les troupes sous le nom de Sosistrate; il a esté affranchi depuis ce temps et reçû dans l'une des tribus de la ville. Pour sa mere, c'étoit une noble Thracienne, car les femmes de Thrace, ajoûte-t'il, se piquent la plûpart d'une ancienne noblesse. Celuy-cy, né de si honnestes gens, est un scelerat et qui ne merite que le gibet. » Et retournant à la mere de cet homme qu'il peint avec de si belles couleurs : « Elle est, poursuit-il, de ces femmes qui épient sur les grands chemins les jeunes gens au passage, et qui, pour ainsi dire, les enlevent et les ravissent.» Dans une compagnie où il se trouve quelqu'un qui parle mal d'une personne absente, il releve la conversation : « Je suis, luy dit-il, de vostre sentiment cet homme m'est odieux et je ne le puis

1. C'estoit chez les Grecs un nom de valet ou d'esclave. 2. Le peuple d'Athenes estoit partagé en diverses tribus. 3. Cela est dit par dérision des Thraciennes qui venoient dans la Grece pour estre servantes, et quelque chose de pis.

4. Elles tenoient hotellerie sur les chemins publics, où elles se mêloient d'infames commerces.

souffrir. Qu'il est insupportable par sa phisionomie! Y a-t'il un plus grand fripon et des manieres plus extravagantes? Sçavez-vous combien il donne à sa femme pour la dépense de chaque repas? Trois oboles1, et rien davantage. Et croiriez-vous que, dans les rigueurs de l'hyver et au mois de Decembre, il l'oblige de se laver avec de l'eau froide? » Si alors quelqu'un de ceux qui l'écoutent se leve et se retire, il parle de luy presque dans les mesmes termes; nul de ses plus familiers amis n'est épargné; les morts mesme dans le tombeau ne trouvent pas un asyle contre sa mauvaise langue.

1. Il y avoit au dessous de cette monnoye d'autres encore de moindre prix.

2. Il estoit deffendu chez les Atheniens de mal parler des morts par une loy de Solon leur Legislateur.

LES

CARACTERES

OU

LES MOEURS

DE CE SIECLE

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