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deux sortes d'importuns, des flatteurs de deux manieres, et autant de grands parleurs; de sorte que les caracteres de ces personnes semblent rentrer les uns dans les autres au desavantage du titre; ils ne sont pas aussi toûjours suivis et parfaitement conformes, parce que Theophraste, emporté quelquefois par le dessein qu'il a de faire des portraits, se trouve déterminé à ces changemens par le caractere seul et les mœurs du personnage qu'il peint ou dont il fait la satyre.

Les definitions qui sont au commencement de chaque Chapitre ont eû leurs difficultez : elles sont courtes et concises dans Theophraste, selon la force du Grec et le style d'Aristote, qui luy en a fourni les premieres idées; on les a étenduës dans la traduction pour les rendre intelligibles. Il se lit aussi, dans ce traité, des phrases qui ne sont pas achevées, et qui forment un sens imparfait auquel il a esté facile de suppléer le veritable; il s'y trouve de differentes leçons, quelques endroits tout à fait interrompus et qui pouvoient recevoir diverses explications; et pour ne point s'égarer dans ces doutes, on a suivi les meilleurs interpretes.

Enfin, comme cet ouvrage n'est qu'une simple instruction sur les mœurs des hommes, et qu'il vise moins à les rendre sçavans qu'à les rendre sages, l'on s'est trouvé exempt de le charger de

longues et curieuses observations ou de doctes commentaires qui rendissent un compte exact de l'antiquité. L'on s'est contenté de mettre de petites notes à côté de certains endroits que l'on a crû les meriter, afin que nuls de ceux qui ont de la justesse, de la vivacité, et à qui il ne manque que d'avoir lû beaucoup, ne se reprochent pas mesme ce petit defaut, ne puissent estre arrestez dans la lecture des Caracteres et douter un moment du sens de Theophraste.

LES

CARACTERES

DE

THEOPHRASTE

TRADUITS DU GREC

'AY admiré souvent, et j'avoue que je ne puis encore comprendre, quelque serieuse reflexion que je fasse, pourquoy, toute la Grece estant placée sous un mesme ciel, et les Grecs nourris et élevez de la mesme1 maniere, il se trouve neanmoins si peu de ressemblance dans leurs mœurs. Puis donc, mon cher Policles, qu'à l'âge de quatre-vingt dix-neuf ans où je me trouve, j'ai peut-estre assez vécu pour connoistre les hommes; que j'ay veu, d'ailleurs, pendant le cours de ma vie, toute sorte de personnes,

1. Par rapport aux barbares, dont les mœurs étoient tresdifferentes de celles des Grecs.

et de divers temperamens, et que je me suis toûjours attaché à étudier les hommes vertueux, comme ceux qui n'estoient connus que par leurs vices, il semble que j'ay dû marquer les' caracteres des uns et des autres, et ne me pas contenter de peindre les Grecs en general, mais mesme de toucher ce qui est personnel, et ce que quelques-uns paroissent avoir de plus familier. J'espere, mon cher Policles, que cet ouvrage sera utile à ceux qui viendront aprés nous : il leur trace des modeles qu'ils peuvent suivre; il leur apprend à faire le discernement de ceux avec qui ils doivent lier quelque commerce, et dont l'émulation les portera à imiter leurs vertus et leur sagesse. Ainsi je vais entrer en matiere; c'est à vous de penetrer dans mon sens et d'examiner avec attention si la verité se trouve dans mes paroles; et, sans faire une plus longue Preface, je parleray d'abord de la dissimulation, je définiray ce vice, je diray ce que c'est qu'un homme dissimulé, je décriray ses mœurs, et je traiteray ensuite des autres passions suivant le projet que j'en ay fait.

1. Theophraste avoit dessein de traiter de toutes les vertus et de tous les vices.

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