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et ses joyes, à cet âge souvent où les meilleurs biens ont déjà disparu, la santé et la jeunesse. Ce temps arrive qui nous surprend encore dans les desirs on en est là quand la fiévre nous saisit et nous éteint; si l'on eût gueri, ce n'estoit que pour desirer plus long-temps.

Il est si ordinaire à l'homme de n'estre pas heureux, et si essentiel à tout ce qui est un bien d'estre acheté par mille peines, qu'une affaire qui se rend facile devient suspecte. L'on comprend à peine ou que ce qui coûte si peu puisse nous estre fort avantageux, ou qu'avec des mesures justes l'on doive si aisément parvenir à la fin que l'on se propose : l'on croit meriter les bons succez, mais n'y devoir compter que fort rarement.

¶ Les hommes ont tant de peine à s'approcher sur les affaires, sont si épineux sur les moindres interests, si herissez de difficultez, veulent si fort tromper et si peu estre trompez, mettent si haut ce qui leur appartient et si bas ce qui appartient aux autres, que j'avouë que je ne sçay par où et comment se peuvent conclure les mariages, les contracts, les acquisitions, la paix, la treve, les traitez, les alliances.

¶ Rien n'engage tant un esprit raisonnable à supporter tranquillement, des parens et des amis, les torts qu'ils ont à son égard, que la reflexion qu'il fait sur les vices de l'humanité, et

combien il est penible aux hommes d'estre constans, genereux, fidelles, d'être touchez d'une amitié plus forte que leur interest. Comme il connoist leur portée, il n'exige point d'eux qu'ils penetrent les corps, qu'ils volent dans l'air, qu'ils ayent de l'équité; il peut haïr les hommes en general, où il y a si peu de vertu, mais il excuse les particuliers, il les aime mesme par des motifs plus relevez, et il s'étudie à meriter le moins qu'il se peut une pareille indulgence.

¶ Ceux qui sont fourbes croyent aisément que les autres le sont; ils ne peuvent gueres estre trompez ny tromper.

¶ La mort n'arrive qu'une fois et se fait sentir à tous les momens de la vie. Il est plus dur de l'apprehender que de la souffrir.

¶Si la vie est miserable, elle est penible à supporter; si elle est heureuse, il est horrible de la perdre. L'un revient à l'autre.

Le regret qu'ont les hommes du mauvais employ du temps qu'ils ont déja vêcu ne les conduit pas toûjours à faire de celuy qui leur reste à vivre un meilleur usage.

¶ I devroit y avoir dans le cœur des fonds inépuisables de douleur pour de certaines pertes. Ce n'est gueres par vertu ou par force d'esprit que l'on sort d'une grande affliction : l'on pleure amerement et l'on est sensiblement touché, mais

l'on est ensuite si foible ou si leger que l'on se console.

Il y a des maux effroyables et d'horribles malheurs où l'on n'ose penser, et dont la seule veuë fait fremir; s'il arrive que l'on y tombe, l'on se trouve des ressources que l'on ne se connoissoit point, l'on se roidit contre son infortune, et l'on fait mieux qu'on ne l'esperoit.

Il y a de certains biens que l'on desire avec emportement et dont l'idée seule nous enleve et nous transporte; s'il nous arrive de les obtenir, on les sent plus tranquillement qu'on ne l'eût pensé, on en joüit moins que l'on n'aspire encore à de plus grands.

Il n'y a rien que les hommes aiment mieux à conserver et qu'ils ménagent moins que leur propre vie..

¶ Pensons que, comme nous soûpirons presentement pour la florissante jeunesse, qui n'est plus et ne reviendra point, la caducité suivra qui nous fera regretter l'âge viril où nous sommes encore, et que nous n'estimons pas assez.

L'on craint la vieillesse, que l'on n'est pas seur de pouvoir atteindre.

L'on ne vit point assez pour profiter de ses fautes; l'on en commet pendant tout le cours de sa vie, et tout ce que l'on peut faire, à force de faillir, c'est de mourir corrigé.

Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang comme d'avoir sçû éviter de faire une sottise.

Le recit de ses fautes est penible; on aime au contraire à les couvrir et en charger quelque autre c'est ce qui donne le pas au Directeur sur le Confesseur.

L'esprit de parti abaisse les plus grands hommes jusques aux petitesses du peuple.

¶ Il est également difficile d'étoufer dans les commencemens les sentimens des injures et de les conserver aprés un certain nombre d'années.

Nous faisons par vanité ou par bienseance les mesmes choses et avec les mesmes dehors que nous les ferions par inclination ou par devoir. Tel vient de mourir à Paris de la fiévre qu'il a gagnée à veiller sa femme, qu'il n'aimoit point.

¶ C'est une chose monstrueuse que le goust et la facilité qui est en nous de railler, d'improuver et de mépriser les autres, et tout ensemble la colere que nous ressentons contre ceux qui nous raillent, nous improuvent et nous mépri

sent.

¶ Le monde est plein de gens qui, faisant interieurement et par habitude la comparaison d'eux-mesmes avec les autres, decident toûjours en faveur de leur propre merite et agissent consequemment.

Il faut aux enfans les verges et la ferule; il faut aux hommes faits une couronne, un sceptre, un mortier, des fourrures, des faisceaux, des tymballes, des hocquetons. La raison et la justice, dénuées de tous leurs ornemens, ny ne persuadent ny n'intimident: l'homme, qui est esprit se mene par les yeux et les oreilles.

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¶N** est moins affoibli par l'âge que par la maladie, car il ne passe point soixante huit ans; mais il a la goutte et il est sujet à une colique nephretique; il a le visage décharné, le teint verdâtre et qui menace ruine. Il fait bâtir dans la ruë une maison solide de pierre de taille, rafermie dans les encognures par des mains de fer, et dont il assure qu'on ne verra jamais la fin. Il se promene tous les jours dans ses ateliers sur les bras d'un valet qui le soulage. Ce n'est point pour ses enfans qu'il bâtit, car il n'en a point; ny pour ses heritiers, personnes viles et qui se sont broüillez avec luy : c'est pour luy seul, et il mourra demain.

L'esprit s'use comme toutes choses; les sciences sont ses alimens, elles le nourrissent et le consument.

Les petits sont quelquefois chargez de mille vertus inutiles: ils n'ont pas de quoy les mettre

en œuvre.

¶ L'on voit peu d'esprits entierement lourds

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