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grands talens pour la guerre; estre vigilant, appliqué, laborieux; avoir des armées nombreuses, les commander en personne, estre froid dans le peril, ne menager sa vie que pour le bien de son Etat, aimer le bien de son Etat et sa gloire plus que sa vie; une puissance tres-absqluë qui oste cette distance infinie qui est quelquefois entre les Grands et les petits, qui les rapproche et sous qui tous plient également, qui ne laisse point d'occasions aux brigues, à l'intrigue et à la caballe; qui fait que le Prince voit tout par ses yeux, qu'il agit immediatement et par luy-même; qui fait que ses Generaux ne sont, quoy qu'éloignez de luy, que ses Lieutenans, et les Ministres que ses Ministres; une profonde sagesse qui sçait declarer la guerre, qui sçait vaincre et user de la victoire, qui sçait faire la paix, qui sçait la rompre, qui sçait quelquefois, et selon les divers interests, contraindre les ennemis à la recevoir; qui donne des regles à une vaste ambition et sçait jusques où l'on doit conquerir; au milieu d'ennemis couverts ou declarez, se procurer le loisir des jeux, des festes, des spectacles; cultiver les arts et les sciences; former et executer des projets d'édifices surprenans; un genie enfin superieur et puissant qui se fait aimer et reverer des siens, craindre des étrangers; qui fait d'une Cour, et mesme de tout un Royaume, comme

une seule famille unie parfaitement sous un mesme Chef, dont l'union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde. Ces admirables vertus me semblent renfermées dans l'idée d'un Souverain; il est vray qu'il est rare de les voir ensemble dans un mesme sujet; il faut que trop de choses concourent à la fois, l'esprit, le cœur, les dehors, le temperament : de là vient que le Monarque qui les rassemble toutes en sa personne ne merite rien de moins que le nom de Grand.

DE L'HOMME.

E nous emportons point contre les hommes en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, l'amour qu'ils ont pour eux-mesmes et l'oubli où ils sont des autres : ils sont ainsi faits, c'est leur nature, c'est ne pouvoir supporter que la pierre tombe ou que le feu s'éleve.

Les hommes ne s'attachent pas assez à ne point manquer les occasions de faire plaisir; il semble que l'on n'entre dans un employ que pour pouvoir obliger et n'en rien faire; la chose la plus prompte, et qui se presente d'abord, c'est le refus, et l'on n'accorde que par reflexion.

Il est difficile qu'un fort malhonneste homme ait assez d'esprit; un genie qui est droit et perçant conduit enfin à la regle, à la probité, à la vertu; il manque du sens et de la penetration à celuy qui s'opiniâtre dans le mauvais comme dans le faux; l'on cherche en vain à le corriger

par des traits de satyre qui le designent aux autres, et où il ne se reconnoist pas luy-mesme : ce sont des injures dites à un sourd. Il seroit desirable, pour le plaisir des honnestes gens et pour la vengeance publique, qu'un coquin ne le fût pas au point d'estre privé de tout sentiment.

¶Les hommes, en un sens, ne sont point legers, ou ne le sont que dans les petites choses; ils changent leurs habits, leur langage, les dehors, les bienseances; ils changent de goust quelquefois; ils gardent leurs mœurs toûjours mauvaises, fermes et constans dans le mal ou dans l'indifference pour la vertu.

Il y a des vices que nous ne devons à personne, que nous apportons en naissant, et que nous fortifions par l'habitude; il y en a d'autres que l'on contracte et qui nous sont étrangers. L'on est né quelquefois avec des mœurs faciles, de la complaisance et tout le desir de plaire; mais, par les traitemens que l'on reçoit de ceux avec qui l'on vit ou de qui l'on dépend, l'on est bientost jetté hors de ses mesures et mesme de son naturel; l'on a des chagrins et une bile que l'on ne se connoissoit point, l'on se voit une autre complexion, l'on est enfin étonné de se trouver dur et épineux.

¶ Une grande ame est au dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la moquerie, et

elle seroit invulnerable si elle ne souffroit par la compassion.

¶ Penetrant à fond la contrarieté des esprits, des goûts et des sentimens, je suis bien plus émerveillé de voir que les milliers d'hommes qui composent une nation se trouvent rassemblez en un mesme païs pour parler une mesme langue, vivre sous les mesmes loix, convenir entr'eux d'une mesme coûtume, des mesmes usages et d'un mesme culte, que de voir diverses nations se cantonner sous les differens climats qui leur sont distribuez, et se partager sur toutes ces choses.

¶Tout est étranger dans l'humeur, les mœurs et les manieres de la plupart des hommes; tel a vêcu pendant toute sa vie chagrin, emporté, avare, rampant, soûmis, laborieux, interessé, qui estoit né gay, paisible, paresseux, magnifique, d'un courage fier et éloigné de toute bassesse. Les besoins de la vie, la situation où l'on se trouve, la loy de la necessité, forcent la nature et y causent ces grands changemens. Ainsi tel homme au fond, et en luy mesme, ne se peut definir trop de choses sont hors de luy qui l'alterent, le changent, le bouleversent; il n'est point précisément ce qu'il est ou ce qu'il paroist estre.

¶La vie est courte et ennuyeuse, elle se passe toute à desirer : l'on remet à l'avenir son repos

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