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dre interest, ou que l'on leur doive sa bonne ou sa mauvaise fortune. Nous devons les honorer parce qu'ils sont grands et que nous sommes petits, et qu'il y en a d'autres plus petits que nous qui nous honorent.

¶ Ne parler aux jeunes Princes que du soin de leur rang est un excez de précaution, lorsque toute une Cour met son devoir et une partie de sa politesse à les respecter, et qu'ils sont bien moins sujets à ignorer aucun des égards qui sont dûs à leur naissance qu'à confondre les personnes et les traiter indifferemment et sans distinction des conditions et des titres. Ils ont une fierté naturelle qu'ils retrouvent dans les occasions; il ne leur faut des leçons que pour la regler, que pour leur inspirer la bonté, l'honnesteté et l'esprit de discernement.

DU SOUVERAIN.

UAND l'on parcourt, sans la prévention de son pays, toutes les formes de gouvernement, l'on ne sçait à laquelle se

tenir : il y a dans toutes le moins bon et le moins mauvais. Ce qu'il y a de plus raisonnable et de plus seur est d'estimer celle où l'on est né la meilleure de toutes, et de s'y soûmettre.

Le caractere des François demande du serieux dans le Souverain.

¶ L'un des malheurs du Prince est d'estre souvent trop plein de son secret, par le peril qu'il y a à le répandre; son bonheur est de rencontrer une personne seure qui l'en décharge.

¶ Il ne manque rien à un Roy que les douceurs d'une vie privée; il ne peut estre consolé d'une si grande perte que par le charme de l'amitié et par la fidelité de ses amis.

Le plaisir d'un Roy qui est digne de l'estre

est d'estre moins Roy quelquefois, de sortir du Theatre, de quitter le bas de saye et les brodequins, et de jouer avec une personne de confiance un rôle plus familier.

¶ Rien ne fait plus d'honneur au Prince que la modestie de son favory.

Il ne faut ny art ny science pour exercer la tyrannie, et la politique qui ne consiste qu'à répandre le sang est fort bornée et de nul raffinement; elle inspire de tuer ceux dont la vie est un obstacle à nostre ambition: un homme né cruel fait cela sans peine. C'est la maniere la plus horrible et la plus grossiere de se maintenir ou de s'aggrandir.

Il y a peu de regles generales et de mesures certaines pour bien gouverner; l'on suit le temps et les conjonctures, et cela roule sur la prudence et sur les veües de ceux qui regnent; aussi le chef d'œuvre de l'esprit, c'est le parfait gouvernement, et ce ne seroit peut-estre pas une chose possible si les peuples, par l'habitude où ils sont de la dépendance et de la soûmission, ne faisoient la moitié de l'ouvrage.

¶ Sous un tres-grand Roy, ceux qui tiennent les premieres places n'ont que des devoirs faciles et que l'on remplit sans nulle peine : tout coule de source; l'autorité et le genie du Prince leur applanissent les chemins, leur épargnent les dif

ficultez et font tout prosperer au delà de leur attente ils ont le merite de subalternes.

¶Que de dons du Ciel ne faut-il point pour bien regner! Une naissance auguste, un air d'em pire et d'autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressez de voir le Prince, et qui conserve le respect dans le Courtisan; une parfaite égalité d'humeur, un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la permettre point; ne faire jamais ny menaces ny reproches, ne point ceder à la colere, et estre toûjours obei; l'esprit facile, insinuant; le cœur ouvert, sincere et dont on croit voir le fond, et ainsi tres-propre à se faire des amis, des creatures et des allież; estre secret, toutefois profond et impenetrable dans ses motifs et dans ses projets; du serieux et de la gravité dans le public; de la briéveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux Ambassadeurs des Princes, soit dans les conseils; une maniere de faire des graces qui est comme un second bienfait, le choix des personnes que l'on gratifie; le discernement des esprits, des talens et des complexions pour la distribution des postes et des emplois; le choix des Generaux et des Ministres; un jugement ferme, solide, decisif dans les affaires, qui fait que l'on connoist le meilleur parti et le plus juste; un esprit de droiture et

d'équité qui fait qu'on le suit jusques à prononcer quelquefois contre soy-mesme en faveur du peuple, des alliez, des ennemis; une memoire heureuse et tres-presente, qui rappelle les besoins des sujets, leurs noms, leurs requestes; une vaste capacité qui s'étende non seulement aux affaires de dehors, au commerce, aux maximes d'Etat, aux veuës de la politique, au reculement des frontieres par la conqueste de nouvelles Provinces, et à leur seureté par un grand nombre de forteresses inaccessibles, mais qui sçache aussi se renfermer au dedans et comme dans les détails de tout un Royaume; qui en bannisse un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté, s'il s'y rencontre; qui abolisse des usages cruels et impies, s'ils y regnent; qui reforme les loix et les coûtumes, si elles estoient remplies d'abus; qui donne aux villes plus de seureté et plus de commoditez par le renouvellement d'une exacte police, plus d'éclat et plus de majesté par des édifices somptueux; punir severement les vices scandaleux ; donner, par son autorité et par son exemple, du credit à la pieté et à la vertu ; proteger l'Eglise, ses ministres, ses droits, ses libertez; ménager ses peuples comme ses enfans; estre toûjours occupé de la pensée de les soulager, de rendre les subsides legers et tels qu'ils se levent sur les Provinces sans les appauvir; de

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