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¶ C'est la profonde ignorance qui inspire ordinairement le ton dogmatique celuy qui ne sçait rien croit enseigner aux autres ce qu'il vient d'apprendre luy-mesme; celuy qui sçait beaucoup pense à peine que ce qu'il dit puisse estre ignoré, et parle plus indifferemment.

Il me semble que l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire.

C'est une faute contre la politesse que de loüer immoderément, en presence de ceux que vous faites chanter ou toucher un instrument, quelque autre personne qui a ces mesmes talens; comme, devant ceux qui vous lisent leurs vers, un autre Poëte.

L'on peut définir l'esprit de politesse, l'on ne peut en fixer la pratique; elle suit l'usage et les coutumes receuës; elle est attachée au temps, aux lieux, aux personnes, et n'est point la mesme dans les deux sexes, ny dans les differentes conditions; l'esprit tout seul ne la fait pas deviner, il fait qu'on la suit par imitation et que l'on s'y perfectionne. Il y a des temperamens qui ne sont susceptibles que de la politesse, et il y en a d'autres qui ne servent qu'aux grands talens ou à une vertu solide. Il est vray que les manieres polies donnent cours au merite et le rendent agreable, et qu'il faut avoir de bien éminentes qualitez pour se soûtenir sans la politesse.

Il me semble que l'esprit de politesse est une certaine attention à faire que, par nos paroles et par nos manieres, les autres soient contens de nous et d'eux-mesmes.

¶ Il y auroit une espece de ferocité à rejetter indifferemment toute sorte de loüanges; l'on doit estre sensible à celles qui nous viennent des gens de bien, qui loüent en nous sincerement des choses loüables.

L'on dit par belle humeur, et dans la liberté de la conversation, de ces choses froides qu'à la verité l'on donne pour telles, et que l'on ne trouve bonnes que parce qu'elles sont extrémement mauvaises. Cette maniere basse de plaisanter a passé du peuple, à qui elle appartient, jusques dans une grande partie de la jeunesse de la Cour, qu'elle a déja infectée; il est vray qu'il y entre trop de fadeur et de grossiereté pour devoir craindre qu'elle s'étende plus loin et qu'elle fasse de plus grands progrez dans un pays qui est le centre du bon goust et de la politesse. L'on doit cependant en inspirer le dégoust à ceux qui la pratiquent : car, bien que ce ne soit jamais serieusement, elle ne laisse pas de tenir la place, dans leur esprit et dans le commerce ordinaire, de quelque chose de meilleur.

DES BIENS DE FORTUNE.

N homme fort riche peut manger des entremetz, faire peindre ses lambris et ses alcoves, joüir d'un Palais à la

campagne et d'un autre à la ville, avoir un grand équipage, mettre un Duc dans sa famille et faire de son fils un grand Seigneur : cela est juste et de son ressort; mais il appartient peut-estre à d'autres de vivre contens.

Une grande naissance ou une grande fortune annonce le merite et le fait plûtost remarquer.

A mesure que la faveur et les grands biens se retirent d'un homme, ils laissent voir en luy le ridicule qu'ils couvroient, et qui y estoit sans que personne s'en apperceut.

¶ Si l'on ne le voyoit de ses yeux, pourroit-on jamais s'imaginer l'étrange disproportion que le plus ou le moins de pieces de monnoye met entre les hommes?

Ce plus ou ce moins détermine à l'Epée, à la

Robe ou à l'Eglise; il n'y a presque point d'autre vocation.

¶ Un homme est laid, de petite taille, et a peu d'esprit; l'on me dit à l'oreille : « Il a cinquante mille livres de rente.» Cela le concerne tout seul, et il ne m'en fera jamais ny pis ny mieux; si je commence à le regarder avec d'autres yeux, et si je ne suis pas maistre de faire autrement, quelle sottise!

Il n'y a qu'une affliction qui dure, qui est celle qui vient de la perte de biens; le temps, qui adoucit toutes les autres, aigrit celle cy; nous sentons à tous momens, pendant le cours de nostre vie, où le bien que nous avons perdu nous manque.

¶ N'envions point à une sorte de gens leurs grandes richesses, ils les ont à titre onereux et qui ne nous accommoderoit point; ils ont mis leur repos, leur santé, leur honneur et leur conscience pour les avoir; cela est trop cher, et il n'y a rien à gagner à un tel marché.

Les P. T. S. nous font sentir toutes les passions l'une aprés l'autre; l'on commence par le mépris, à cause de leur obscurité; on les envie ensuite, on les hait, on les craint, on les estime quelquefois et on les respecte; l'on vit assez pour finir à leur égard par la compassion.

Tu te trompes si, avec ce carosse brillant,

ce grand nombre de coquins qui te suivent, et ces six bestes qui te traînent, tu penses que l'on t'en estime davantage; l'on écarte tout cet attirail qui t'est étranger, pour penetrer jusques à toy, qui n'es qu'un fat.

Ce n'est pas qu'il faut quelquefois pardonner à celuy qui, avec un grand cortege, un habit riche et un magnifique équipage, s'en croit plus d'esprit et plus de naissance: il lit cela dans la contenance et dans les yeux de ceux qui luy parlent.

¶ Sosie de la livrée a passé, par une petite recette, à une sous-ferme, et, par les concussions, la violence et l'abus qu'il a fait de ses pouvoirs, il s'est enfin, sur les ruines de plusieurs familles, élevé à quelque grade; devenu noble par une charge, il ne luy manquoit que d'estre homme de bien une place de Marguillier a fait ce prodige.

Arfure cheminoit seule et à pied vers le grand Portique de Saint **, entendoit de loin le Sermon d'un Carme ou d'un Docteur qu'elle ne voyoit qu'obliquement, et dont elle perdoit bien des paroles; sa vertu estoit obscure, et sa devotion connue comme sa personne; son mary est entré dans le huitiéme denier : quelle monstrueuse fortune en moins de six années! Elle n'arrive à l'Eglise que dans un Char, on luy porte une lourde queue, l'Orateur s'interrompt pendant

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