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¶ Les hommes souvent veulent aimer, et ne sçauroient y réüssir; ils cherchent leur defaite sans pouvoir la rencontrer, et, si j'ose ainsi parler, ils sont contraints de demeurer libres.

Il y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs et de si tendres engagemens que l'on nous défend, qu'il est naturel de desirer du moins qu'ils fussent permis: de si grands charmes ne peuvent estre surpassez que par celuy de sçavoir y renoncer par vertu.

La vie est courte, si elle ne merite ce nom que lors qu'elle est agreable, puisque, si l'on cousoit ensemble toutes les heures que l'on passe avec ce qui plaist, l'on feroit à peine d'un grand nombre d'années une vie de quelques mois.

Il n'y a qu'un premier dépit en amour, comme la premiere faute dans l'amitié, dont l'on puisse faire un bon usage.

¶ Qu'il est difficile d'estre content de quelqu'un !

¶ L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce par le cœur que par l'esprit.

Il y a de certains grands sentimens, de certaines actions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de nôtre esprit qu'à la bonté de nôtre naturel.

¶ Il y a du plaisir à rencontrer les yeux de celuy à qui l'on vient de donner.

¶Comme nous nous affectionnons de plus en plus aux personnes à qui nous faisons du bien, de mesme nous haïssons violemment ceux que nous avons beaucoup offensez.

Il n'y a gueres au monde un plus bel excez que celuy de la reconnoissance.

Il y a des lieux que l'on admire; il y en a d'autres qui touchent, et où l'on aimeroit à vivre.

Il me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit, l'humeur, la passion, le goust et les sentimens.

¶ Quelques-uns se défendent d'aimer et de faire des vers, comme de deux foibles qu'ils n'osent avoüer : l'un du cœur, l'autre de l'esprit.

Regretter ce que l'on aime est un bien, en comparaison de vivre avec ce que l'on hait.

¶ Vouloir oublier quelqu'un, c'est y penser. L'amour a cela de commun avec les scrupules, qu'il s'aigrit par les reflexions et les retours que l'on fait pour s'en délivrer. Il faut, s'il se peut, ne point songer à sa passion pour l'affoiblir.

DE LA SOCIETÉ ET DE LA CONVERSATION.

N caractere bien fade est celuy de n'en avoir aucun.

¶ C'est le rôle d'un sot d'estre importun. Un homme habile sent s'il convient ou s'il ennuye; il sçait disparoistre le moment qui précede celuy où il seroit de trop quelque part.

¶ L'on marche sur les mauvais plaisans, et il pleut par tout pays de cette sorte d'insectes. Un bon plaisant est une piece rare; à un homme qui est né tel il est encore fort délicat d'en soûtenir long-temps le personnage: il n'est pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.

Il y a beaucoup d'esprits obscenes, encore plus de médisans ou de satiriques, peu de délicats. Pour badiner avec grace et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut trop de manieres, trop de politesse, et même trop de fecondité : c'est créer que de railler ainsi, et faire quelque chose de rien.

Il y a des gens qui parlent un moment avant que d'avoir pensé; il y en a d'autres qui ont une fade attention à ce qu'ils disent, et avec qui l'on souffre dans la conversation de tout le travail de leur esprit : ils sont comme paistris de phrases et de petits tours d'expression, concertez dans leur geste et dans tout leur maintien; ils sont puristes1, et ne hazardent pas le moindre mot, quand il devroit faire le plus bel effet du monde. Rien d'heureux ne leur échape, rien ne coule de source et avec liberté; ils parlent proprement et ennuyeusement.

L'esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres; celuy qui sort de vostre entretien content de soy et de son esprit l'est de vous parfaitement. Les hommes n'aiment point à vous admirer, ils veulent plaire; ils cherchent moins à estre instruits, et mesme réjoüis, qu'à estre goûtez et applaudis; et le plaisir le plus délicat est de faire celuy d'autruy.

¶Lucain a dit une jolie chose; il y a un beau mot de Claudien; il y a cet endroit de Seneque : et là-dessus une longue suite de Latin que l'on cite souvent devant des gens qui ne l'entendent pas et qui feignent de l'entendre. Le secret seroit

1. Gens qui affectent une grande pureté de langage.

d'avoir un grand sens et bien de l'esprit : car ou l'on se passeroit des Anciens, ou, aprés les avoir lûs avec soin, l'on sçauroit encore choisir les meilleurs et les citer à propos.

¶ Rien n'est moins selon Dieu et selon le monde que d'appuyer tout ce que l'on dit dans la conversation, jusques aux choses les plus indifferentes, par de longs et de fastidieux sermens. Un honneste homme qui dit oüi et non merite d'estre crû; son caractere jure pour luy, donne créance à ses paroles et luy attire toute sorte de confiance.

¶ Celuy qui dit incessamment qu'il a de l'honneur et de la probité, qu'il ne nuit à personne, qu'il consent que le mal qu'il fait aux autres luy arrive, et qui jure pour le faire croire, ne sçait pas mesme contrefaire l'homme de bien.

Un homme de bien ne sçauroit empescher par toute sa modestie qu'on ne dise de luy ce qu'un malhonneste homme sçait dire de soy.

Il ne faut pas qu'il y ait trop d'imagination dans nos conversations ny dans nos écrits: elle ne produit souvent que des idées vaines et pueriles, qui ne servent point à perfectionner le goust et à nous rendre meilleurs. Nos pensées doivent estre prises dans le bon sens et la droite raison, et doivent estre un effet de nostre juge

ment.

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