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progrès & ne fe forme que par degrés. Mais s'enfuit il, (11) ajoûtez-vous, qu'à l'âge, de dix ans un enfant ne connoiffe pas la différence du bien & du mal, qu'il confonde la fagesse avec la folie, la bonté avec la barbarie, la vertu avec le vice? Tout cela s'enfuit, fans doute, fi à cet age le jugement n'est pas développé. Quoi ! poursuivezvous, il ne fentira pas qu'obeir à fon pere eft un bien, que lui défobéir eft un mal? Bien- loin de là; je foutiens qu'il fentira, au contraire, en quittant le jeu pour aller étudier fa leçon, qu'obéir à fon pere est un mal, & que lui désobéir eft un bien, en volant quelque fruit défendu. Il fentira auffi, j'en conviens, que c'eft un mal d'être puni & un bien d'être récompenfé; & - c'est dans la balance de ces biens & de ces maux contradictoires que fe`regle sa prudence enfantine. Je crois avoir démontré cela mille fois dans mes deux premiers volumes, & furtout dans le dialogue du maître & de l'enfant sur ce qui eft mal (12). Pour vous, Monfeigneur, vous réfutez mes deux volumes en deux lignes, & les voici. (13) Le prétendre, M. T. C. F. c'eft calomnier la nature bumaine, en lui attribuant une Stupidité qu'elle n'a point. On ne fauroit employer une réfutation plus tranchante, ni conçue en moins de mots. Mais cette ignorance, qu'il vous

(11) Mandement in-4. p. 7. in-12. p. XIV..
(12) Emile Tome I. p. 189.

(13) Mandement in-4. p› 7. in-12. p. XIV.

plaît

plaît d'appeller ftupidité, fe trouve constamment dans tout efprit gêné dans des organes imparfaits, ou qui n'a pas été cultivé; c'est une obfervation facile à faire & fenfible à tout le mon de. Attribuer cette ignorance à la nature humaine n'eft donc pas la calomnier, & c'eft vous qui l'avez calomniée en lui imputant une malignité qu'elle n'a point.

Vous dites encore; (14) Ne vouloir enseigner la fagesse à l'homme que dans le tems qu'il fera dominé par la fougue des paffions naifantes, n'est-ce pas la lui préfenter dans le deffein qu'il la rejette? Voila derechef une intention que vous avez la bonté de me prêter, & qu'affurément nul autre que vous ne trouvera dans mon Livre. J'ai montré, prémièrement, que celui qui fera élevé comme je veux ne fera pas dominé par les paffions dans le tems que vous dites. J'ai montré encore comment les leçons de la fageffe pouvoient retarder le dévelopement de ces mêmes paffions. Ce font les mauvais effets de votre é ducation que vous imputez à la mienne, & vous m'objectez les défauts que je vous apprens à prévenir. Jufqu'à l'adolefcence j'ai garanti dest paffions le cœur de mon éleve, & quand elles font prêtes à naître, j'en recule encore le progrès par des foins propres à les réprimer. Plutôt, les leçons de la fageffe ne fignifient rien. pour l'enfant, hors d'état d'y prendre intérêt.

(14), Mandement in 4. p. 9. in-12. p. XVIL

& de les entendre; plus tard, elles ne prennent plus fur un cœur déja livré aux paffions. C'eft. au feul moment que j'ai choifi qu'elles font u-tiles foit pour l'armer ou pour le diftraire; il importe également qu'alors le jeune homme en foit occupé.

Vous dites. (15) Pour trouver la jeuneffe plus docile aux leçons qu'il lui prépare, cet Auteur veut qu'elle foit dénuée de tout principe de Religion. La raison en eft fimple; c'eft que je veux qu'elle ait une Religion, & que je ne lui veux rien apprendre dont fon jugement ne foit en état de fentir la vérité. Mais moi, Monseigneur, fi je difois : Pour trouver la jeunesse plus docile aux leçons qu'on lui prépare, on a grand soin de la pren- – dre avant l'âge de raison. Ferois-je un raisonnement plus mauvais que le vôtre, & seroit-ce un préjugé bien favorable à ce que vous faites apprendre aux enfans? Selon vous, je choifis l'âge de raifon pour inculquer l'erreur, & vous, vous prévenez cet âge pour enfeigner la vérité.. Vous vous preffez d'inftruire l'enfant avant qu'il puiffe difcerner le vrai du faux, & moi j'attends pour le tromper qu'il foit en état de le connoître. Ce jugement eft-il naturel, & lequel paroît chercher à féduire, de celui qui ne veut parler qu'à des hommes, ou de celui qui s'addreffe aux enfans?

-Vous me cenfurez d'avoir dit & montré que (15) Mandement in-4, p. 7, in-12, P. XIV,

tout enfant qui croit en Dieu eft idolâtre ou antropomorphite, & vous combattez cela en difant (16) qu'on ne peut fupposer ni l'un ni l'autre d'un enfant qui a reçu une éducation Chrétienne. Voila ce qui eft en question; refte à voir la preuve. La mienne eft que l'éducation la plus Chrétienne ne fauroit donner à l'enfant l'entendement qu'il n'a pas, ni détacher fes idées des êtres matériels, au deffus defquels tant d'hommes ne fauroient élever les leurs. J'en appelle, de plus, à l'expérience: j'exhorte chacan des lecteurs à confulter fá mémoire, & à fe rappeller fi, lorfqu'il a cru en Dieu étant enfant, il ne s'en eft pas toujours fait quelque image. Quand vous lui dites que la Divinité n'est rien de ce qui peut tomber fous les fens ; ou fon efprit troublé n'entend rien, ou il entend qu'elle n'eft rien. Quand vous lui parlez d'une intel· ligence infinie, il ne fait ce que c'eft qu'intelli gence, & il fait encore moins ce que c'est qu'infini. Mais vous lui ferez répéter après vous lesmots qu'il vous plaira de lui dire; vous lui ferez même ajoûter, s'il le faut, qu'il les entend; car cela ne coûte guere, & il aime encore mieux dire qu'il les entend que d'être grondé ou puni.. Tous les anciens, fans excepter lesJuifs, fe font repréfenté Dieu corporel, & combien de Chrétiens, fur-tout de Catholiques, font encore aujourd'hui dans ce cas-là ? Si vos enfans(16) Mandement in-4. p. 7. in-12. p. xiy,

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parlent comme des hommes, c'est parce que lès hommes font encore enfans. Voila pourquoi les mifteres entaffés ne coûtent plus rien à perfonne; les termes en font tout auffi faciles à prononcer que d'autres. Une des commodités du Chriftianifme moderne eft de s'être fait un certain jargon de mots fans idées, avec lesquels on fatisfait à tout hors à la raison.

PAR l'examen de l'intelligence qui mene à la connoiffance de Dieu, je trouve qu'il n'est pas Taifonnable de croire cette connoiffance (17) toujours néceffaire au falut. Je cite en exemple les infenfés, les enfans,, & je mets dans la même claffe les hommes dont l'efprit n'a pas acquis affez de lumieres pour comprendre l'existence de Dieu. Vous dites là-deffus; (18) ne foyens point furpris que l'Auteur d'Emile remette à un tems fi reculé la connoiffance de l'existence de Dieu; il ne la croit pas nécessaire au falut. Vous commencez, pour rendre ma proposition plus dure, par supprimer charitablement le mot toujours, qui non feulement la modifie, mais qui lui donne un autre fens, puifque felon ma phrase cette connoiffance eft ordinairement nécessaire au salut; & qu'elle ne le feroit jamais, felon la phrase que vous me prêtez. Après cette petite falfification, vous poursuivez ainfi :

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IL EST clair," dit il par l'organe d'un perJonnage chimérique,,, il eft clair que tel homme

(17) Emile Tom. II. p. 352, 353.

(18) Mandement in-4. p. 9. in-12. P. XVUL

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