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défendre & repouffer les perfécuteurs. Jamais les Proteftans n'ont pris les armes en France que lorfqu'on les y a pourfuivis. Si l'on eût pû se: réfoudre à les laiffer en paix, ils y feroient demeurés. Je conviens fans détour qu'à fa naiffance la Religion réformée n'avoit pas droit de: s'établir en France, malgré les loix. Mais lorf. que, tranfmife des Peres aux enfans, cette Religion füt devenue celle d'une partie de la Nation Françoife, & que le Prince eût folennelle-ment traité avec cette partie par l'Edit de Nantes; cet Edit devint un Contract inviolable, qui ne pouvoit plus être annulé que du commun confentement des deux parties, & depuis ce: tems, l'exercice de la Religion Proteftante eft,, felon moi, légitime en France.

QUAND il ne le feroit pas, il resteroit tou-jours aux fujets l'alternative de fortir du Royaume avec leurs biens, ou d'y refter foumis au culte dominant. Mais les contraindre à ref ter fans les vouloir tolérer, vouloir à la fois qu'ils foient & qu'ils ne foient pas, les priver même du droit de la nature, annuler leurs ma riages (36), déclarer leurs enfans bâtards ........

(36) Dans un Arrêt du Parlement de Toulouse concer nant l'affaire de l'infortuné Calas, on reproche aux Proteftans de faire entre eux des mariages, qui, felon les Proteftans ne font que des Altes civils, & par conféquent foumis. entièrement pour la forme les effets à la volonté du Roi.

Ainfi de ce que, felon les Proteftans, le mariage eft un acte civil, il s'enfuit qu'ils font obligés de fe foumet tre à la volonté du Roi, qui en fait un afte de la Re

en ne difant que ce qui eft, j'en dirois trop; il faut me taire.

VOICI du moins, ce que je puis dire. En confidérant la feule raifon d'Etat, peut-être a-ton bien fait d'ôter aux Proteftans François tous leurs chefs: mais il falloit s'arrêter là. Les ma. ximes politiques ont leurs applications & leurs diftinctions. Pour prévenir des diffentions qu'on n'a plus à craindre, on s'ôte des reffources dont on auroit grand befoin. Un parti qui n'a plus ni Grands ni Nobleffe à fa tête, quel mal peutil faire dans un Royaume tel que la France? Examinez toutes vos précédentes guerres, appellées guerres de Religion; vous trouverez qu'il n'y en a pas une qui n'ait eu fa caufe à la Cour & dans les intérêts des Grands. Des intrigues de Cabinet brouilloient les affaires, & -puis les Chefs ameutoient les peuples au nom de Dieu. Mais quelles intrigues, quelles cabales peuvent former des Marchands & des Payligion Catholique. Les Proteftans, pour se marier, font legitimement tenus de fe faire Catholiques; attendu que, felon eux, le mariage eft un acte civil. Telle eft la mamiere de raifonner de Meffieurs du Parlement de Toulouse. La France eft un Royaume fi vafte, que les François fe font mis dans l'efprit que le genre humain ne devoit point avoir d'autres loix que les feurs. Leurs Parlemens & leurs Tribunaux paroiffent n'avoir aucune idée du Droit naturel ni du Droit des Gens; & il eft à remarquer que dans tout ce grand Royaume où font tant d'Univerfités, tant de Colleges, tant d'Académies, & où l'on enfeigne avec tant d'importance tant d'inutilités, il n'y a pas une feule chaîre de Droit naturel. C'est le feul peuple de l'Europe qui ait regardé cette étude comme n'étant bonne à rien,

fans? Comment s'y prendront-ils pour fufciter un parti dans un pays où l'on ne veut que des Valets ou des Maîtres, & où l'égalité eft inconnue ou en horreur? Un marchand propofant de lever des troupes peut fe faire écouter en Angleterre, mais il fera toujours rire des François (37).

SI J'ETOIS, Roi ? Non: Miniftre? Encore moins: mais homme puiffant en France, je dirois. Tout tend parmi nous aux emplois, aux charges; tout veut acheter le droit de mal faire: Paris & la Cour engouffrent tout. Laiffons ces pauvres gens remplir le vuide des Provinces; qu'ils foient marchands, & toujours marchands; laboureurs, & toujours laboureurs. Ne pouvant quitter leur état, ils en tireront le meilleur parti poffible; ils remplaceront les nôtres dans les conditions privées dont nous cher chons tous à fortir; ils feront valoir le com merce & l'agriculture que tout nous fait abandonner; ils alimenteront notre luxe; ils travailleront, & nous jouïrons.

SI CE PROJET n'étoit pas plus équitable que

(37) Le feul cas qui force un peuple ainfi dénué de Chefs à prendre les armes, c'eft quand, téduit au défef poir par fes perfécuteurs, il voit qu'il ne lui refte plus de choix que dans la manière de périr. Telle fût, au commencement de ce fiécle la guerre des Camifards. Alors on eft tout étonné de la force qu'un parti méprifé tire de fon défefpoir: c'eft ce que jamais les perfécuteurs n'ont fu calculer d'avance. Cependant de telles guerres coûtent tant de fang qu'ils devroient bien y fonger avant

ceux qu'on fuit, il feroit du moins, plus hu main, & fùrement il feroit plus utile. C'eft moins la tirannie & c'eft moins l'ambition des Chefs, que ce ne font leurs préjugés & leurs Courtes vûes, qui font le malheur des Nations.

JE FINIRAI par transcrire une espece de discours, qui a quelque rapport à mon sujet, & qui ne m'en écartera pas longtems.

UN PARSIS de Suratte ayant épousé en fecret une Mufulmanne fut découvert, arrêté, & ayant refufé d'embraffer le mahométisine, il fut condamné à mort. Avant d'aller au fupplice, il parla ainfi à fes juges.

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QUOI! vous voulez m'ôter la vie ! Eh, de quoi me puniffez-vous? J'ai tranfgreffé ma loi plûtôt que la vôtre: ma loi parle au cœur & n'eft pas cruelle; mon crime a été puni », par le blâme de mes freres. Mais que vous » ai-je fait pour mériter de mourir? Je vous ,, ai traités comme ma famille, & je mne fuis ,, choifi une fœur parmi vous. Je l'ai laiffée libre dans fa croyance, & elle a refpecté la mienne pour fon propre intérêt. Borné fans regret à elle feule, je l'ai honorée comme l'inftrument du culte qu'exige l'Auteur de mon être, j'ai payé par elle le tribut que tout homme doit au genre humain : l'amour ,,me l'a donnée & la vertu me la rendoit che »re, elle n'a point vécu dans la fervitude, el» le a poffédé fans partage le cœur de fon é

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», poux; ma faute n'a pas moins fait fon bonheur que le mien.

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POUR expier une faute fi pardonnable vous m'avez voulu rendre fourbe & menteur; vous m'avez voulu forcer à profeffer vos fentimens fans les aimer & fans y croire: comme fi le ,, transfuge de nos loix eût mérité de paffer fous les vôtres, vous m'avez fait opter entre le parjure & la mort, & j'ai choifi, car je ne

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veux pas vous tromper. Je meurs donc, puis ,, qu'il le faut; mais je meurs digne de revivre. ,, & d'animer un autre homme jufte. Je meurs ,, martir de ma Religion fans craindre d'entrer ,, après ma mort dans la vôtre. Puiffai-je re,, naître chez les Mufulmans pour leur appren.

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dre à devenir humains, clémens, équitables;. ,, car fervant le même Dieu que nous fervons », puifqu'il n'y en a pas deux, vous vous a ,, veuglez dans votre zêle en tourmentant fes ferviteurs, & vous n'êtes cruels & fanguinai, res que parce que vous êtes inconféquens. Vous êtes des enfans, qui dans vos jeux ne favez que faire du mal aux hommes. Vous vous croyez favans, & vous ne favez rien de ce qui eft de Dieu. Vos dogmes récens ,, font-ils convenables à celui qui eft, & qui ,, veut être adoré de tous les tems? Peuples ,, nouveaux, comment ofez-vous parler de Re. ,,ligion devant nous? Nos rites font auffi vieux: ,, que les aftres : les premiers rayons du foleil

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