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décider que

ce double examen, commencer par ces deux chofes vont toujours en femble, & que la Religion la plus vraye eft auffi la plus focia le; c'eft précisément ce qui eft en question; & Il ne faut pas d'abord crier que celui qui traite cette question eft un impie, un athée; puifque autre chofe eft de croire, & autre chose d'exa miner l'effet de ce que l'on croit.

IL PAROIT pourtant certain, je l'avoue, que fi l'homme eft fait pour la fociété, la Religion la plus vraye eft auffi la plus fociale & la plus humaine; car Dieu veut que nous foyons tels qu'il nous a faits, & s'il étoit vrai qu'il nous eût fait méchans, ce feroit lui défobéir que de vouloir ceffer de l'être. De plus la Religion confidérée comme une relation entre Dieu & l'homme, ne peut aller à la gloire de Dieu que par le bien-être de l'homme, puifque l'autre terme de la relation qui eft Dieu, eft par fa nature au deffus de tout ce que peut l'homme pour ou contre lui.

MAIS ce fentiment, tout probable qu'il eft, eft fujet à de grandes difficultés, par l'hiftorique & les faits qui le contrarient. Les Juifs étoient les ennemis nés de tous les autres Peuples, & ils commencerent leur établiffement par détruire fept nations, felon l'ordre exprès qu'ils en avoient reçu: Tous les Chrétiens ont eu des guerres de Religion, & la guerre eft nuifible aux hommes; tous les partis ont été perfécu

perfécuteurs & perfécutés, & la perfécution eft nuifible aux hommes; plufieurs fectes vantent le célibat, & le célibat eft fi nuifible (33) à l'efpece humaine, que s'il étoit fuivi par-tout, elle périroit. Si cela ne fait pas preuve pour décider, cela fait raifon pour examiner, & je ne demandois autre chofe finon qu'on permit

cet examen.

JE NE dis ni ne penfe qu'il n'y ait aucune bonne Religion fur la terre; mais je dis, & il eft trop vrai, qu'il n'y en a aucune parmi celles qui font ou qui ont été dominantes, qui n'ait fait à

(33) La continence & la pureté ont leur ufage, même pour la population; il eft toujours beau de fe commander à foi-même, & l'état de virginité eft par ces raifons trèsdigne d'eftime; mais il ne s'enfuit pas qu'il foit beau ni bon ni louable de perfévérer toute la vie dans cet état, en offenfant la nature & en trompant fa deftination. L'on a plus de refpe&t pour une jeune vierge nubile, que pour une jeune femme; mais on en a plus pour une mere de famille que pour une vieille fille, & cela me paroît trèsfenfé. Comme on ne fe marie pas en naiffant, & qu'il n'eft pas même à propos de fe marier fort jeune, la virginité, , que tous ont dû porter & honorer, a fa néceffité, fon utilité, fon prix, & fa gloire; mais c'eft pour aller, quand il convient, dépofer toute fa pureté dans le mariage. Quoi difent-ils de leur air bêtement triomphant des célibataires prêchent le noeud conjugal! pourquoi donc ne fe marient-ils pas? Ah! pourquoi? Parce qu'un état fi faint & fi doux en lui-même eft devenu par vos fottes inftitutions un état malheureux & ridicule, dans lequel il est déformais prefque impoffible de vivre fans être un fripon ou un fot. Sceptres de fer, loix infenfées! c'est à vous que nous reprochons de n'avoir pû remplir nos devoirs fur la terre, & c'est par nous que le cri de la nature s'éleve contre votre barbarie. Comment ofez-vous la pouffer jusqu'à nous reprocher la mifere où vous nous avez réduits

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l'humanité des playes cruelles. Tous les partis ont tourmenté leurs freres, tous ont offert à Dieu des facrifices de fang humain. Quelle que foit la fource de ces contradictions, elles exiftent; eft-ce un crime de vouloir les ôter ?

LA charité n'eft point meurtriere. L'amour du prochain ne porte point à le massacrer. Ainfi le zèle du falut des hommes n'eft point la caufe des perfécutions; c'eft l'amour-propre & l'orgueil qui en eft la caufe. Moins un culte est raifonnable, plus on cherche à l'établir par la force: celui qui profeffe une doctrine infenfée ne peut fouffrir qu'on ofe la voir telle qu'elle eft: la raifon devient alors le plus grand des crimes; à quelque prix que ce foit il faut l'ôter aux autres, parce qu'on a honte d'en manquer à leurs yeux. Ainfi l'intolérance & l'inconféquence ont la même fource. Il faut fans ceffe intimider, effrayer les hommes. Si vous les livrez un moment à leur raifon vous êtes perdus.

DE CELA feul, il fuit que c'eft un grand bien à faire aux peuples dans ce délire, que de leur apprendre à raifonner fur la Religion: car c'eft les rapprocher des devoirs de l'homme, c'eft ôter le poignard à l'intolérance, c'eft rendre à l'humanité tous fes droits. Mais il faut remonter à des principes généraux & communs à tous les hommes; car fi, voulant raisonner, vous Jaiffez quelque prife à l'autorité des Prêtres, Vous rendez au fanatifme fon arme, & vous

lui fourniffez dequoi devenir plus cruel.

CELUI qui aime la paix ne doit point recou rir à des Livres ; c'eft le moyen de ne rien finir. Les Livres font des fources de difputes intariffa. bles; parcourez l'hiftoire des Peuples: ceux qui n'ont point de Livres ne difputent point. Vou. lez-vous affervir les hommes à des autorités humaines? L'un fera plus près, l'autre plus loin de la preuve; ils en feront diverfement affectés avec la bonne foi la plus entiere, avec le meilleur jugement du monde, il eft impoffible qu'ils foient jamais d'accord. N'argumentez point fur des argumens & ne vous fondez point fur des difcours. Le langage humain n'est pas affez clair. Dieu lui-même, s'il daignoit nous parler dans nos langues, ne nous diroit rien fur quoi l'on ne pût difputer.

Nos langues font l'ouvrage des hommes, & les hommes font bornés. Nos langues font l'ou vrage des hommes, & les hommes font menteurs. Comme il n'y a point de vérité fi clairement énoncée où l'on ne puiffe trouver quelque chicane à faire, il n'y a point de fi groffier menfonge qu'on ne puiffe étayer de quelque fauffe raifon.

SUPPOSONS qu'un particulier vienne à minuit nous crier qu'il eft jour; on fe moquera de lui: mais laiffez à ce particulier le tems & les mo. yens de fe faire une fecte, tôt ou tard fes par tifans viendront à bout de vous prouver qu'il

difoit vrai. Car enfin, diront-ils, quand il a prononcé qu'il étoit jour, il étoit jour en quelque lieu de la terre; rien n'est plus certain. D'autres ayant établi qu'il y a toujours dans l'air quelques particules de lumiere, foutiendront qu'en un autre fens encore, il est très. vrai qu'il eft jour la nuit. Pourvû que des gens fubtils s'en mêlent, bientôt on vous fera voir le foleil en plein minuit. Tout le monde ne se rendra pas à cette évidence. Il y aura des débats qui dégénéreront, felon l'usage, en guerres & en cruautés. Les uns voudront des explications, les autres n'en voudront point; l'un voudra prendre la propofition au figuré, l'autre au propre. L'un dira; il a dit à minuit qu'il étoit jour; & il étoit nuit : l'autre dira; il a dit à minuit qu'il étoit jour, & il étoit jour. Chacun taxera de mauvaise foi le parti contraire, & n'y verra que des obftinés. On finira par se battre, fe maffacrer; les flots de fang coûleront de toutes parts; & fi la nouvelle fecte est enfin victorieuse, il reftera démontré qu'il eft jour la nuit. C'eft à-peu-près l'histoire de toutes les querelles de Religion.

LA PLUPART des cultes nouveaux s'établissent par le fanatifine, & fe maintiennent par l'hypocrifie; de-là vient qu'ils choquent la raison & ne menent point à la vertu. L'enthoufiafme & le délire ne raisonnent pas; tant qu'ils durent, tout paffe & l'on marchande peu fur les dogmes;

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