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la même raifon par laquelle vous expliquerez fon péché ne feroit-elle pas applicable à fes defcendans fans le péché originel, & pourquoi faut-il que nous imputions à Dieu une injustice, en nous rendant pécheurs & puniffables par le vice de notre naiffance, tandis que notre premier pere fut pécheur & puni comme nous fans cela? Le péché originel explique tout excepté fon principe, & c'eft ce principe qu'il s'agit d'expliquer.

Vous avancez que, par mon principe à moi, (3) l'on perd de vûe le rayon de lumiere qui nous fait connottre le miftere de notre propre cœur ; & vous ne voyez pas que ce principe, bien plus univerfel, éclaire même la faute du premier homme, (4) que le votre laiffe dans l'obfcurité.

(3) Mandement in-4 p. 5. in-12. P. XI.

(4) Regimber contre une défenfe inutile & arbitraire eft un penchant naturel, mais qui, loin d'être vicieux en lui-même, eft conforme à l'ordre des chofes & à la bonne conftitution de l'homme; puifqu'il feroit hors d'état de fe conferver, s'il n'avoit un amour tres-vif pour lui-même & pour le maintien de tous fes droits, tels qu'il les a reçus de la nature. Celui qui pourroit tout ne voudroit que ce qui lui feroit utile; mais un Etre foible dont la loi reftreint & limite encore le pouvoir perd une partie de lui-même, & réclame en fon coeur ce qui lui eft ôté. Lui faire un crime de cela feroit lui en faire un d'être lui & non pas un autre; ce feroit vouloir en même tems qu'il fût & qu'il ne fût pas. Auffi Pordre enfreint par Adam me paroit-il moins une véritable défenfe qu'un avis paternel; c'eft un avertiffement de s'abftenir d'un fruit pernicieux qui donne la mort. Cette idée eft affurément plus conforme à celle qu'on doit avoir de la bonté de Dieu & même au texte de la Genefe que celle qu'il plaît aux Docteurs de nous preferire: car quant à la menace

Vous ne favez voir que l'homme dans les mains du Diable, & moi je vois comment il y eft tombé; la caufe du mal eft, felon vous, la nature corrompue, & cette corruption même est un mal dont il faloit chercher la caufe. L'homme fut créé bon; nous en convenons, je crois, tous les deux: Mais vous dites qu'il eft méchant, parce qu'il a été méchant; & moi je montre comment il a été méchant. Qui de nous, votre avis, remonte le mieux au principe?

CEPENDANT Vous ne laiffez pas de triompher à votre aife, comme fi vous m'aviez terraffé. Vous m'oppofez comme une objection infoluble (5) ce mélange frappant de grandeur & de basseffe, d'ardeur pour la vérité & de goût pour l'erreur, d'inclination pour la vertu & de penchant pour le

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de la double mort, on a fait voir que ce mot morte morieris n'a pas l'emphafe qu'ils lui prêtent, & n'eft qu'un hébraïme employé en d'autres endroits où cette emphafe ne peut avoir lieu.

Il y a de plus, un motif f naturel d'indulgence & de commifération dans la rufe du tentateur & dans la féduction de la femme, qu'à confidérer dans toutes fes circonftances le péché d'Adam, l'on n'y peut trouver qu'une faute des plus légeres. Cependant felon eux, quelle effroyable punition! Il eft même impoffible d'en concevoir une plus terrible; car quel châtiment eût pu porter Adam pour les plus grands crimes, que d'être condamné, lui & toute fa race, à la mort en ce monde, & à paffer l'éteraité dans l'autre dévorés des feux de l'enfer? Est-ce là Ja peine impofée par le Dieu de miféricorde à un pauvre malheureux pour s'être laiffé tromper? Que je bais la dé courageante doctrine de nos durs Théologiens! fi j'étois un moment tenté de l'admettre, c'eft alors que je croirois blafphemer.

wice, qui fe trouve en nous. Etonnant contrafe, ajoûtez-vous, qui déconcerte la philofopbie payenne, & la laiffe errer dans de vaines spéculations!

CE N'EST pas une vaine fpéculation que la Théorie de l'homme, lorfqu'elle fe fonde fur la nature, qu'elle marche à l'appui des faits par des conféquences bien liées, & qu'en nous menant à la fource des paffions, elle nous apprend à régler leur cours. Que fi vous appellez philofophie payenne la profeffion de foi du Vicaire Savoyard, je ne puis répondre à cette imputation, parce que je n'y comprens rien (a); mais je trouve plaifant que vous empruntiez prefque Les propres termes, (6) pour dire qu'il n'explique pas ce qu'il a le mieux expliqué.

PERMETTEZ, Monfeigneur, que je remette fous vos yeux la conclufion que vous tirez d'une objection fi bien difcutée, & fucceffivement toute la tirade qui s'y rapporte.

(7) L'bomme fe fent entraîné par une pente funefte, & comment fe roidiroit-il contre elle, fi fox enfance n'étoit dirigée par des maîtres pleins de vertu, de fageffe, de vigilance, & fi, durant tout le cours de fa vie il ne faifoit lui-même, fous la protection & avec les graces de fon Dieu, des efforts puifans & continuels ?

C'EST

(a) A moins qu'elle ne fe rapporte à l'accufation que 'm'intente M. de Beaumont dans a fuite, d'avoir admis plufieurs Dieux.

(6) Emile Tome III. p. 68 & 69. prem. Edition, (7) Mandement in 4 p. 6. in-12. p. XI.

C'EST-A-DIRE: Nous voyons que les hommes font méchans, quoiqu'inceffamment tirannifés dès leur enfance; fi donc on ne les tirannifoit pas dès ce tems-là, comment parviendroit-on à les rendre fages; puifque, même en les tirannifant fans ceffe, il eft impoffible de les rendre tels?

Nos raifonnemens fur l'éducation pourront devenir plus fenfibles, en les appliquant à un autre fujet.

SUPPOSONS, Monfeigneur, que quelqu'un vint tenir ce difcours aux hommes.

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Vous vous tourmentez beaucoup pour chercher des Gouvernemens équitables & pour vous donner de bonnes loix. Je vais premiè rement vous prouver que ce font vos Gouvernemens - mêmes qui font les maux auxquels vous prétendez remédier par eux. Je vous ,, prouverai, de plus, qu'il eft impoffible quevous ayez jamais ni de bonnes loix ni des Gouvernemens équitables; & je vais vous ,, montrer enfuite le vrai moyen de prévenir, fans Gouvernemens & fans Loix, tous ces ,, maux dont vous vous plaignez.

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SUPPOSONS qu'il expliquât après cela fon fiftéme & propofât fon moyen prétendu. Je n'examine point fi ce fiftême feroit folide & ce moyen praticable. S'il ne l'étoit pas, peut-être se contenteroit-on d'enfermer l'Auteur avec les foux, & l'on lui rendroit juftice: mais fi malheureufement il l'étoit, ce feroit bien pis, &

vous concevez, Monfeigneur, ou d'autres concevront pour vous, qu'il n'y auroit pas affez de buchers & de roues pour punir l'infortuné d'avoir eu raifon. Ce n'eft pas de cela qu'il s'agit ici.

QUEL que fût le fort de cet homme, il eft fûr qu'un déluge d'écrits viendroit fondre fur le fien. Il n'y auroit pas un Grimaud qui, pour faire fa cour aux Puiffances, & tout fier d'imprimer avec privilege du Roi, ne vint lancer fur lui fa brochure & fes injures, & ne fe vantât d'avoir réduit au filence celui qui n'auroit pas daigné répondre, ou qu'on auroit empêché de parler. Mais ce n'eft pas encore de cela qu'il s'agit.

SUPPOSONS, enfin, qu'un homme grave, &. qui auroit fon intérêt à la chofe; crût devoir auffi faire comme les autres, & parmi beaucoup de déclamations & d'injures s'avisât d'argumenter ainfi. Quoi, malbeureux! vous voulez anéantir les Gouvernemens & les Loix? Tandis que les Gouver. nemens & les Loix font le feul frein du vice, & ont bien de la peine encore à le contenir. Que feroit-ce, grand Dieu! Si nous ne les avions plus ? Vous nous ôtez les gibets & les roues ; vous voulez établir un brigandage public. Vous êtes un homme abominable.

SI CE pauvre homme ofoit parler, il diroit, fans doute. Très-Excellent Seigneur, votre

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