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en violant fes loix, & même il lui fait la guerre. Alors la confervation de l'Etat eft incom compatible avec la fienne, il faut qu'un des deux périffe, & quand on fait mourir le coupable, c'est moins comme Citoyen que comme enhemi. Les procédures, le jugement, font les preuves & la déclaration qu'il a rompu le traité focial, & par conféquent qu'il n'eft plus membre de l'Etat. Or comme il s'eft reconnu tel, tout au moins par son séjour, il en doit être retranché par l'exil comme infracteur du pacte, ou par la mort comme ennemi public; car un tel ennemi n'eft pas une perfonne morale, c'eft un homme, & c'eft alors que le droit de la guerre eft de tuer le vaincu.

MAIS dira-t-on, la condamnation d'un Criminel est un acte particulier. D'accord; auffi cette condamnation n'appartient-elle point au Souverain; c'est un droit qu'il peut conférer fans pouvoir l'exercer lui-même. Toutes mes idées fe tiennent, mais je ne faurois les expofer toutes à la fois.

AU RESTE la fréquence des fupplices eft toujours un figne de foibleffe ou de pareffe dans le Gouvernement. Il n'y a point de méchant qu'on ne pût rendre bon à quelque chofe. On n'a droit de faire mourir, même pour l'exemple que celui qu'on ne peut conferver fans danger. A L'EGARD du droit de faire grace, ou

d'exempter un coupable, de la peine portée par la loi & prononcée par le juge, il n'appartient qu'à celui qui eft au deffus du juge & de la loi, c'est-à-dire au Souverain: Encore fon droit en ceci n'eft-il pas bien net, & les cas d'en user font-ils très rares. Dans un Etat bien gouverné il y a peu de punitions, non parce qu'on fait beaucoup de graces, mais parce qu'il y a peu de criminels: la multitude des crimes en aflure l'impunité lorfque l'Etat dépérit. Sous la République Romaine jamais le Sénat ni les Confuls ne tenterent de faire grace; le peuple même n'en faifoit pas, quoiqu'il révocât quelquefois fon propre jugement. Les fréquentes graces annoncent que bientôt les forfaits n'en auront plus befoin, & chacun voit où cela mene. Mais je fens que mon cœur murmure & retient ma plume; laiffons difcuter ces questions à l'homme jufte qui n'a point failli, & qui jamais n'eût lui-même befoin de grace.

CHAPITRE VI.

De la loi.

PAR le pacte focial nous avons donné l'exiftence & la vie au corps politique: il s'agit maintenant de lui donner le mouvement & la volonté par la légiflation. Car l'acte primitif par le

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quel ce corps fe forme & s'unit ne détermine fien encore de ce qu'il doit faire pour se conferver.

CE QUI eft bien & conforme à l'ordre est tel par la nature des chofes & indépendamment des conventions humaines. Toute juftice vient de Dieu, lui feul en est la fource; mais fi nous favions la recevoir de fi haut nous n'aurions befoin ni de gouvernement ni de loix. Sans doute il eft une justice universelle émanée de la raison feule; mais cette justice pour être admise entre nous doit être réciproque. A confidérer humainement les chofes, faute de fanction naturelle les loix de la justice font vaines parmi les hommes; elles ne font que le bien du méchant & le mal du jufte, quand celui-ci les observe avec tout le monde fans que perfonne les obferve avec lui. Il faut donc des conventions & des loix pour unir les droits aux devoirs & ramener la justice à fon objet. Dans l'état de nature, où tout eft commun, je ne dois rien à ceux à qui je n'ai rien promis, je ne reconnois pour être à autrui que ce qui m'eft inutile. Il n'en eft pas ainfi dans l'état civil où tous les droits font fixés par la loi.

MAIS qu'eft-ce donc enfin qu'une loi? Tant qu'on fe contentera de n'attacher à ce mot que des idées métaphyfiques, on continuera de raifonner fans s'entendre, & quand on aura dit

ce

ce que c'eft qu'une loi de la nature on n'en faura pas mieux ce que c'eft qu'une loi de l'Etat. J'AT déjà dit qu'il n'y avoit point de volonEn effet té générale fur un objet particulier. cet objet particulier eft dans l'Etat ou hors de I'Etat. S'il eft hors de l'Etat, une volonté qui lui eft étrangere n'eft point générale par rapport à lui; & fi cet objet eft dans l'Etat, il en fait partie: Alors il fe forme entre le tout & fa partie une rélation qui en fait deux êtres féparés, dont la partie eft l'un, & le tout moins Mais le tout cette même partie eft l'autre. moins une partie n'eft point le tout, & tant que ce rapport fubfifte il n'y a plus de tout mais deux parties inégales; d'où il fuit que la volonté de l'une n'eft point non plus générale par rapport à l'autre.

MAIS quand tout le peuple statue fur tout le peuple il ne confidere que lui-même, & s'il fe forme alors un rapport, c'eft de l'objet entier fous un point-de-vue à l'objet entier fous un autre point de vue, fans aucune divifion du tout. Alors la matiere fur laquelle on statue eft générale comme la volonté qui statue. C'est cet acte que j'appelle une loi.

QUAND je dis que l'objet des loix eft tou jours général, j'entends que la loi confidere les fujets en corps & les actions comme abftraites, jamais un homme comme individu ni

une action particuliere. Ainfi la loi peut bien ftatuer qu'il y aura des privileges, mais elle n'en peut donner nommément à perfonne; la loi peut faire plufieurs Claffes de Citoyens, affigner même les qualités qui donneront droit à ces Claffes, mais elle ne peut nommer tels & tels pour y être admis; elle peut établir un Gouvernement royal & une fucceffion héréditaire, mais elle ne peut élire un roi ni nommer une famille royale; en un mot toute fonction qui fe rapporte à un objet individuel n'appartient point à la puiffance législative.

SUR cette idée on voit à l'inftant qu'il ne faut plus demander à qui il appartient de faire des loix, puifqu'elles font des actes de la volonté générale; ni fi le Prince eft au de Tus des loix, puifqu'il eft membre de l'Etat; ni fi la loi peut être injufte, puifque nul n'eft injufte envers lui-même; ni comment on eft libre & foumis aux loix, puifqu'elles ne font que des régiftres de nos volontés.

ON VOIT encore que la loi réuniffant l'univerfalité de la volonté & celle de l'objet, ce qu'un homme, quel qu'il puiffe être, ordonne de fon chef n'est point une loi; ce qu'ordonne même le Souverain fur un objet particulier n'eft pas non plus une loi mais un décret, ni un acte de fouveraineté mais de magiftrature.

-J'APPELLE donc République tout Etat régi

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