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D U

CONTRACT SOCIAL;

OU,

PRINCIPES

D U

DROIT POLITIQUE

LIVRE IE

CHAPITRE L

Que la fouveraineté eft inalienable

LAPREMI

A PREMIERE & la plus importante conf quence des principes ci-devant établis eft que la volonté générale peut feule diriger les for ces de l'Etat felon la fin de fon institution, qui eft le bien commun: car fi l'oppofition des intérêts particuliers a rendu néceffaire l'établissement des fociétés, c'eft l'accord de ces mêmes intérêts qui l'a rendu poffible. C'eft ce qu'il y a de commun dans ces différens intérêts qui forme le lien focial, & s'il n'y a voit pas quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent, nulle fociété ne fauroit. exifter.. Or c'eft uniquement fur cet intérêt

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commun que la fociété doit être gouvernée..

JE DIS donc que la fouveraineté n'étant que l'exercice de la volonté générale ne peut jamais s'aliéner, & que le Souverain, qui n'eft qu'un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même; le pouvoir peut bien se tranfmettre, mais non pas la volonté.

५.

EN EFFET, s'il n'eft pas impoffible qu'u ne volonté particuliere s'accorde fur quelque point avec la volonté générale; il eft impoffible au moins que cet accord foit durable & conftant; car la volonté particuliere tend par fa nature aux préférences, & la volonté générale à l'égalité. Il eft plus impoffible encore qu'on ait un garant de cet accord quand même il devroit toujours exifter; ce ne feroit pas un effet de l'art mais du hazard. Le Souverain peut bien dire, je veux actuellement ce que veut un tel homme ou du moins ce qu'il dit vouloir; mais il ne peut pas dire; ce que cet homme voudra demain, je le vou drai encore; puifqu'il eft abfurde que la vo fonts fe donne des chaines pour l'avenir, & puifqu'il ne dépend d'aucune volonté de confentir à rien de contraire au bien de l'être qui veut. Si donc le peuple promet fimplement d'obeïr, il fe diffout par cet acte, ilperd fa qualité de peuple; à l'instant qu'il y a un maltre il n'y a plus de Souverain, &

dès lors le corps politique eft détruit.

CE N'EST point à dire que les ordres des chefs ne puiffent paffer pour des volontés générales, tant que le Souverain libre de s'y oppofer ne le fait pas. En pareil cas, du filence univerfel on doit préfumer le confentement du peuple. Ceci s'expliquera plus au:

long.

P

CHAPITRE IK

Que la fouveraineté eft indivisible..

AR LA même raifon que la fouveraineté eft inaliénable, elle eft indivifible. Car la volonté eft générale, ou elle ne l'eft pas; elle eft celle du corps du peuple, ou feulement d'une partie. Dans le premier cas cette volonté déclarée eft un acte de fouveraineté & fait Toi: Dans le fecond, ce n'eft qu'une volonté particuliere, ou un acte de magiftrature; c'eft un décret tout au plus.

MAIS nos politiques ne pouvant divifer la fouveraineté dans fon principe, la divifent dans fon objet; ils la divifent en force & en volontë, en puiffance légiflative & en puiffance exé

*Pour qu'une volonté foit générale il n'eft pas tou jours néceflaire qu'elle foit unanime, mais il eft néceffai-re que toutes les voix foient comprées; toute exclufion · formelle rompt la généralité.

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cutive, en droits d'impôts, de juftice, & deguerre, en administration intérieure & en pouvoir de traiter avec l'étranger: tantôt ils confondent toutes ces parties & tantôt ils les fé.. parent; ils font du Souverain un être fantaftique & formé de pieces rapportées ; c'eft comme. s'ils compofoient l'homme de plufieurs corps: dont l'un auroit des yeux, l'autre des bras l'autre de pieds, & rien de plus. Les charlatans du Japon depécent, dit-on, un enfant aux yeux des spectateurs, puis jettant en l'air tous fes membres l'un après l'autre, ils font retom-ber l'enfant vivant & tout raffemblé. Tels font à peu près les tours de gobelets de nos politiques; après avoir démembré le corps focial par un preftige digne de la foire, ils raffemblent les pieces on ne fait comment.

CETTE erreur vient de ne s'être pas fait. des notions exactes de l'autorité fouveraine, & d'avoir pris pour des parties de cette autorité ce qui n'en étoit que des émanations. Ainfi,. par exemple, on a regardé l'acte de déclarer la guerre & celui de faire la paix comme des actes de fouveraineté, ce qui n'eft pas; puifque chacun de fes actes n'eft point une loi mais: feulement une application de la loi, un acte particulier qui détermine le cas de la loi, comme on le verra clairement quand l'idée attachée au mot lei fera fixée.

EN SUIVANT de même les autres divifions on trouveroit que toutes les fois qu'on croit voir la fouveraineté partagée on fe trompe, que les droits qu'on prend pour des parties de cette fouveraineté lui font tous fubordonnés, & fuppofent toujours des volontés faprêmes dont ces droits ne donnent que l'exé-

.cution.

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ON NE fauroit dire combien ce défaut d'exatitude a jetté d'obscurité für les décifions des auteurs en matiere de droit politique, quand its ont voulu juger des droits refpectifs des rois & des peuples, fur les principes qu'ils a-voient établis. Chacun peut voir dans les chapitres III & IV du premier livre de Grotius comment fe favant homme & fon traducteur Barbeyrac s'enchevêtrent s'embarraffent: dans leurs fophifmes, crainte d'en dire trop ou de n'en pas dire affez felon leurs vues, & de choquer les intérêts qu'ils avoient à concilier. Grotius refugié en France, mécontent. de fa patrie, & voulant faire fr cour à Louis XIII à qui fon livre eft dédié, n'épargne rien pour dépouiller les peuples de tous leurs droits. & pour en revêtir les rois avec tout l'art pof fible. C'eut bien été aussi lë goût de Barbeyrac, qui dédioit, fa traduction au Roi d'Angle-terre George I.. Mais malheureufement l'ex-pulfion de Jaques II qu'il appelle abdication,

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