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-délibération publique. Avant donc que d'exa--miner l'acte par lequel un peuple élit un roi, il feroit bon d'examiner l'acte par lequel un peuple eft un peuple. Car cet acte étant né--ceffairement antérieur à l'autre eft le vrai fon-· dement de la fociété.

QUENCEFFET, s'il n'y avoit point de convention antérieure, où feroit, à moins que l'e lection ne fut unanime, l'obligation pour lé petit nombre de fe foumettre au choix dů grand, & d'où cent qui veulent un maître ont ils le droit de voter pour dix qui n'en veulent point? La loi de la pluralité des fuffrages eft elle-même un établiffement de convention, & fuppofe au moins une fois l'unanimité.

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E SUPPOSE les hommes parvenus à ce point où les obftacles qui nuifent à leur confervation dans l'état de nature, l'emportent par leur rés fistance fur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Af lors cet état primitif ne peut plus fubfifter, & le genre humain périroit s'il ne changeoit fa maniere d'être.

OR COMME les hommes ne peuvent engen

drer de nouvelles forces, mais feulement unir & diriger celles qui exiftent, ils n'ont plus d'autre moyen pour fe conferver, que de former par aggrégation une fomme de forces qui puiffe l'emporter fur la réfiftance, de les mettre en jeu par un feul mobile & de les faire agir de concert.

CETTE fomme de forces ne peut naitre que du concours de plufieurs: mais la force & la liberté de chaque homme étant les premiers inftrumens de fa confervation, comment les engagera-t-il fans fe nuire, & fans négliger les foins qu'il fe doit? Cette difficulté ramenée à mon fujet peut s'énoncer en ces termes.

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TROUVER une forme d'affociation qui défende & protege de toute la force commu,, ne la perfonne & les biens de chaque affo cié, & par laquelle chacun s'uniffant à tous ,, n'obéïffe pourtant qu'à lui-même & refte

auffi libre qu'auparavant?" Tel eft le pro blême fondamental dont le contract focial donne la folution.

LES CLAUSES de ce contract font telle ment déterminées par la nature de l'acte, que la moindre modification les rendroit vaines & de nul effet; en forte que, bien qu'elles n'aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles font par- tout les mêmes, par-tout tacite

le pacte focial étant violé, chacun rentre alors dans fes premiers droits & reprenne fa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça.

CES CLAUSES bien entendües fe réduisent toutes à une feule, favoir l'aliénation totale de chaque affocié avec tous fes droits à toute la communauté: Car premierement, chacun se donnant tout entier, la condition eft égale pour tous, & la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.

DE PLUS, l'aliénation fe faisant fans réserve, l'union eft auffi parfaite qu'elle peut l'être & nul affocié n'a plus rien à réclamer: Car s'il reftoit quelques droits aux particuliers, commesil n'y auroit aucun fupérieur commun qui put prononcer entre eux & le public, chacun étant en quelque point fon propre juge prétendroit bientôt l'être en tous, l'état de nature fubfifteroit, & l'affociation deviendroit néceffairement tyrannique ou vaine.

ENFIN chacun fe donnant à tous ne fe donne à perfonne, & comme il n'y a pas un affociés fur lequel on n'acquiere le même droit qu'on lui cede fur foi, on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, & plus de force pour -conferver ce qu'on a.

SIDONC On écarte du pacte focial ce qui

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n'eft pas de fon effence, on trouvera qu'il se réduit aux termes fuivans. Chacun de nous met en commun fa perfonne & toute fa puissance fous La fuprême direction de la volonté générale; & nous recevons en corps chaque membre comme partie indivifible du tout.

A L'INSTANT, au lieu de la perfonne particuliere de chaque contractant, cet acte d'affociation produit un corps moral & collectif compofé d'autant de membres que l'affemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte fon unité, fon moi commun, fa vie & fa volonté. Cette perfonne publique qui fe forme ainsi par l'union de toutes les autres prenoit autrefois le nom de Cité *, & prend maintenant celui de

Le vrai fons de ce mot s'eft prefque entierement effacé chez les modernes; la plupart prennent une ville pour une Cité & un bourgeois pour un Citoyen. Ils re favent pas que les maifons font la ville mais que les Citoyens font la Cité. Cette même erreur coûta cher autrefois aux Carthaginois. Je n'ai pas lû que le titre de Lives ait jamais été donné aux fujets d'aucun Prince, pas même anciennement aux Macédoniens, ni de nos jours. aux Anglois, quoique plus près de la liberté que tous les autres. Les fenls François prennent tout familiérement ce nom de Citoyens, parce qu'ils n'en ont aucune véritable idée, comme on peut le voir dans leurs Dietionnaires, fans quoi ils tomberoient en l'ufurpant dans le crime de Léze-Majefté: ce nom chez eux exprime une vertu & non pas un droit. Quand Bodin a voulu parler de nos Citoyens & Bourgeois, il a fait une lourde bévue en prenant les uns pour les autres. M. d'Alembert ne s'y eft pas trompé, & a bien diftingué dans fon article Genève les quatre ordres d'hommes (même cinq en y comptant les fimples étrangers, qui font dans notre vil

République ou de corps politique, lequel eft ap pellé par fes membres Etat quand il eft paffif", Souverain quand il eft actif, Puiffance en le comparant à fes femblables. A l'égard des af -fociés ils prennent collectivement le nom de peuple, & s'appellent en particulier Citoyens comme participans à l'autorité fouveraine, & Sujets comme foumis aux loix de l'Etat. Mais ces termes fe confondent fouvent & fe prennent l'un pour l'autre; il fuffit de les favoir distinguer quand ils font employés dans toute leur précision.

CHAPITRE VII.

I

Du Souverain.

ON VOIT par cette formule que l'acte d'affociation renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, & que, chaque individu, contractant, pour ainfi dire, avec luimême, fe trouve engagé fous un double rapport; favoir, comme membre du Souverain envers les particuliers, & comme membre de l'Etat envers le Souverain. Mais on ne peut appliquer ici la maxime du droit civil que nul

le, & dont deux feulement compofent la République.. Nul autre auteur François, que je fache, n'a compris le vrai fens du mot. Citoyen

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