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Ces deux bergers se retirent, l'âme pleine de douleur et de désespoir, et en suite de cette musique commence le premier acte de la comédie en prose.

Le sujet est qu'un riche paysan s'étant marié à la fille d'un gentilhomme de campagne, ne reçoit que du mépris de sa femme aussi bien que de son beau-père et de sa belle-mère, qui ne l'avoient pris pour leur gendre qu'à cause de ses grands biens.

Toute cette pièce est traitée de la même sorte que le sieur de Molière a de coutume de faire ses autres pièces de théâtre; c'est-à-dire qu'il y représente avec des couleurs si naturelles le caractère des personnes qu'il introduit, qu'il ne se peut rien voir de plus ressemblant que ce qu'il a fait pour montrer la peine et les chagrins où se trouvent souvent ceux qui s'allient au dessus de leur condition. Et quand il dépeint l'humeur et la manière de faire de certains nobles campagnards, il ne forme point de traits qui n'expriment parfaitement leur véritable image. Sur la fin de l'acte, le paysan est interrompu par une bergère, qui lui vient apprendre le désespoir des deux bergers; mais comme il est agité d'autres inquiétudes, il la quitte en colère, et Cloris entre, qui vient faire une plainte sur la mort de son amant :

Ah! mortelles douleurs!
Qu'ai-je plus à prétendre?
Coulez, coulez, mes pleurs;
Je n'en puis trop répandre.

Pourquoi faut-il qu'un tyrannique honneur
Tienne notre âme en esclave asservie?
Hélas! pour contenter sa barbare rigueur,
J'ai réduit mon amant à sortir de la vie.

Ah! mortelles douleurs !
Qu'ai-je plus à prétendre?
Coulez, coulez, mes pleurs;
Je n'en puis trop répandre.

Me puis-je pardonner, dans ce funeste sort,
Les sévères froideurs dont je m'étois armée ?

Quoi donc? mon cher amant, je t'ai donné la mort :
Est-ce le prix, hélas ! de m'avoir tant aimée ?

Ah! mortelles douleurs! etc.

Après cette plainte, commença le second acte de la comédie en prose. C'est une suite des déplaisirs du paysan marié, qui se trouve encore interrompu par la même bergère, qui vient lui dire que Tircis et Philène ne sont point morts, et lui montre six bateliers qui les ont sauvés. Le paysan importuné de tous ces avis se retire, et quitte la place aux bateliers, qui, ravis de la récompense qu'ils ont reçue, dansent avec leurs crocs, et se jouent ensemble; après quoi se récite le troisième acte de la comédie en prose.

Dans ce dernier acte l'on voit le paysan dans le comble de la douleur, par les mauvais traitements de sa femme. Enfin un de ses amis lui conseille de noyer dans le vin toutes ses inquiétudes, et l'emmène pour joindre sa troupe, voyant venir toute la foule des bergers amoureux, qui commence à célébrer par des chants et des danses le pouvoir de l'Amour.

Ici la décoration du théâtre se trouve changée en un instant, et l'on ne peut comprendre comment tant de véritables jets d'eau ne paroissent plus, ni par quel artifice, au lieu de ces cabinets et de ces allées, on ne découvre sur le théâtre que de grandes roches entremêlées d'arbres, où l'on voit plusieurs bergers qui chantent et qui jouent de toutes sortes d'instruments. Cloris commence la première à joindre sa voix au son des flûtes et des musettes.

CLORIS.

Ici l'ombre des ormeaux

Donne un teint frais aux herbettes,

Et les bords de ces ruisseaux
Brillent de mille fleurettes,
Qui se mirent dans les eaux.

Prenez, bergers, vos musettes,
Ajustez vos chalumeaux,

Et mêlons nos chansonnettes
Aux chants des petits oiseaux.

Le Zéphire entre ces eaux
Fait mille courses secrètes,

Et les rossignols nouveaux

De leurs douces amourettes

Parlent aux tendres rameaux.

Prenez, bergers, vos musettes, etc.

(1) Jouan, Beauchamp, Chicanneau, Favier, Noblet, Mayeu.

Pendant que la musique charme les oreilles, les yeux sont agréablement occupés à voir danser plusieurs bergers (") et bergères (2), galamment vêtus; et Climène chante:

Ah! qu'il est doux, belle Sylvie,

Ah! qu'il est doux de s'enflammer;

Il faut retrancher de la vie

Ce qu'on en passe sans aimer.

CLORIS.

Ah! les beaux jours qu'Amour nous donne

Lors que sa flamme unit les cœurs!

Est-il ni gloire ni couronne

Qui vaillent ses moindres douceurs?

TIRCIS.

Qu'avec peu de raison on se plaint d'un martyre
Que suivent de si doux plaisirs!

PHILÈNE.

Un moment de bon-heur dans l'amoureux empire
Répare dix ans de soupirs.

TOUS ensemble.

Chantons tous de l'Amour le pouvoir adorable;

Chantons tous dans ces lieux

Ses attraits glorieux :

Il est le plus aimable

Et le plus grand des Dieux.

A ces mots, l'on vit s'approcher du fond du théâtre un grand rocher, couvert d'arbres, sur lequel étoit assise toute la troupe de Bacchus, composée de quarante Satyres; l'un d'eux (3), s'avançant à la tête, chanta fièrement ces paroles :

Arrêtez, c'est trop entreprendre;

Un autre dieu, dont nous suivons les lois,
S'oppose à cet honneur qu'à l'Amour osent rendre
Vos musettes et vos voix :

A des titres si beaux Bacchus seul peut prétendre,
Et nous sommes ici pour défendre ses droits.

(1) BERGERS: Chicanneau, Saint-André, la Pierre, Favier.

(2) BERGÈRES : Bonard, Arnald, Noblet, Foignard.

(3) D'Estival.

CHOEUR DE BACCHUS.

Nous suivons de Bacchus le pouvoir adorable;

Nous suivons en tous lieux

Ses attraits glorieux :

Il est le plus aimable

Et le plus grand des Dieux.

Plusieurs du parti de Bacchus mêloient aussi leurs pas à la musique, et l'on vit un combat des danseurs et des chantres de Bacchus, contre les danseurs et les chantres qui soutenoient le parti de l'Amour.

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Un berger arrive, qui se jette au milieu des deux partis pour les séparer, et leur chante ces vers:

C'est trop, c'est trop, bergers. Hé! pourquoi ces débats?
Souffrons qu'en un parti la raison nous assemble.

L'Amour a ses douceurs, Bacchus a des appas :

Ce sont deux déités qui sont fort bien ensemble:
Ne les séparons pas.

(1) Le Gros.

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