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FABLE X.

LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT.

PERRETTE, sur sa tête

ayant un pot au lait

Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.

Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière ainsi troussée

Comptait déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait; en employait l'argent;
Achetait un cent d'oeufs; faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison;

Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour

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avoir un

cochon.

de
peu son;

Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable :
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.

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Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :
Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?

Qui ne fait châteaux en Espagne?
Picrocholle, Pyrrhus, la laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous.

Chacun songe en veillant; il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes;
Tout le bien du monde est à nous,

Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi;
Je m'écarte, je vais détrôner le sophi;

On m'élit roi, mon peuple m'aime;

Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ; Je suis gros Jean comme devant.

FABLE XI.

LE CURÉ ET LE MORT.

Un mort s'en allait tristement
S'emparer de son dernier gîte;
Un curé s'en allait gaîment
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,

Et vêtu d'une robe, hélas! qu'on nomme bière,
Robe d'hiver, robe d'été,

On

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Et récitait, à l'ordinaire,

Maintes dévotes oraisons,

Et des psaumes et des leçons,

Et des versets et des répons :

Monsieur le mort, laissez-nous faire,

vous en donnera de toutes les façons;

Il ne s'agit que

du salaire.

Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,

Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor;

Et, des regards, semblait lui dire :
Monsieur le mort, j'aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là-dessus l'achat d'une feuillette
Du meilleur vin des environs :
Certaine nièce assez proprette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient avoir des cotillons.
Sur cette agréable pensée

Un heurt survient : adieu le char.

Voilà messire Jean Chouart

Qui du choc de son mort a la tête cassée :

Le paroissien en plomb entraîne son pasteur; Notre curé suit son seigneur;

Tous deux s'en vont de compagnie.

Proprement toute notre vie

Est le curé Chouart qui sur son mort comptait, Et la fable du Pot au lait.

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FABLE XII.

L'HOMME QUI COURT APRÈS LA FORTUNE, ET L'HOMME QUI L'ATTEND DANS SON LIT.

QUI ne court après la Fortune?
Je voudrais être en lieu d'où je pusse aisément
Contempler la foule importune

De ceux qui cherchent vainement
Cette fille du Sort de royaume en royaume,
Fidèles courtisans d'un volage fantôme.

Quand ils sont près du bon moment,

L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe.
Pauvres gens! Je les plains; car on a pour les fous
Plus de pitié que de courroux.

Cet homme, disent-ils, était planteur de choux;
Et le voilà devenu pape !

Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux :
Mais que vous sert votre mérite?

La Fortune a-t-elle des yeux?

Et puis, la papauté vaut-elle ce qu'on quitte,
Le repos? le repos, trésor si précieux

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