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Plongez-y la glace lorsque la couche d'albumine est parfaitement sèche; retirez au bout de vingt-cinq à trente secondes, lavez abondamment et remettez à sécher verticalement sur du papier buvard neuf : toutes ces opérations se font dans le cabinet obscur.

Les glaces ainsi sensibilisées se conservent presque indéfiniment à l'abri de la lumière et de l'humidité.

Temps de pose. L'albumine ne servant que pour la reproduction des paysages et des objets immobiles, on pourra fortement diaphragmer l'objectif afin d'obtenir toute la netteté possible, et ne pas craindre d'augmenter ainsi le temps de pose; il est en moyenne de cinq à quinze minutes pour un paysage.

Développement de l'image. Plongez la glace dans une cuvette en porcelaine remplie d'eau distillée tiède contenant en dissolution 0gr,25 d'acide gallique par litre, en ayant soin de maintenir la température de la cuvette à l'aide d'un réchaud de feu peu actif ou d'un bain-marie. Au bout de quelques heures l'épreuve aura apparu. Il est bon de sortir de temps à autre la glace du bain et de la laisser exposée à l'air une ou deux minutes, ce qui favorise la production de l'image. Lorsque celle-ci est bien dessinée dans toutes ses parties, on ajoute au bain quelques gouttes de solution neutre à 4 pour 100 de nitrate d'argent fondu, on replonge la glace et on laisse l'image en repos se développer, en veillant pour l'arrêter, lorsqu'il en est besoin, par un lavage à l'eau pure.

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Fixage. On couvre la couche lavée d'une solution d'hyposulfite à 30 pour 100 que l'on renouvelle trois ou quatre fois; en dix à quinze minutes, la glace étant débarrassée de ses sels sensibles, l'épreuve devient transparente. On lave abondamment et on laisse sécher la glace, posée verticalement sur du papier buvard.

Accidents. L'accident le plus ordinaire est le dépôt de réductions moirées métalliques à la surface de l'albumine lors du développement. Lorsqu'elles sont légères et qu'elles viennent de se former, on peut les enlever en frottant légèrement avec un petit tampon de coton mouillé; si elles résistent à cette action mécanique, il faut essayer de les dissoudre en versant à la surface de la glace une partie de développement au sulfate de fer (voy. Collodion), mélangée au moment même avec une partie du bain d'hyposulfite d'or et de soude employé pour le virage des positifs (voy. Virage). Nous ne parlons pas des traces de poussière que l'on s'attachera toujours à éviter par un nettoyage soigneux du cabinet obscur, et qui formeraient sur l'épreuve des taches ou des points noirs.

Le procédé par l'albumine est surtout utile pour la production des épreuves positives transparentes pour le stéréoscope, et des négatifs qui servent à imprimer les épreuves destinées à cet instrument.

PAPIER NÉGATIF.

Choix du papier. L'idée de se servir de papier comme surface sensible, due aux Anglais, a coïncidé avec l'invention française du daguerréotype. Le procédé qui en a découlé n'est devenu réellement pratique que du jour où l'emploi de la cire a permis l'usage des feuilles sensibles impressionnées à sec.

Il est très-difficile de trouver un papier négatif exempt de taches, de trous et d'inégalités dans son épaisseur; il faut d'ailleurs qu'il soit à la fois mince et résistant.

On marquera l'envers de chaque feuille, qu'il est facile de reconnaître en regardant la feuille sous un jour frisant le côté où paraît la trace de la toile métallique sur laquelle le papier a été fait, est l'envers.

Cirage de la feuille. Il faut se procurer de la cire vierge très-pure; placer la feuille négative sur un matelas

de papier buvard neuf; faire chauffer un fer à repasser ordinaire dont la surface soit très-propre, l'enduire de cire, et en le passant sur la feuille l'imbiber très-également. On place alors cette feuille entre deux papiers buvards, et å l'aide du fer chaud on fait dégorger l'excédant de cire qui quitte la feuille négative pour imbiber le papier buvard.

loduration. Dans un litre d'alcool faites bouillir 15gr de cire coupée en petits morceaux, laissez refroidir et filtrez. La cire décomposée laissera dissoudre une portion soluble appelée céroleine. Les portions insolubles (cerine et myricine) resteront sur le filtre et serviront à cirer le papier.

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Mettez cette liqueur dans une cuvette plate de porcelaine et couvrez-la d'un verre plan; immergez-y sans bulles d'air les feuilles cirées dix minutes, ce qui se fait très-facilement en les plongeant obliquement, et prenez garde de ne pas produire dans la feuille des cassures qui se traduiraient sur l'épreuve par des raies ou des étoiles noires.

La feuille, étant retirée du bain alcoolique, est transparente; mais on la suspend, et au moment de l'évaporation, qui est rapide, la saponification de la cire devient visible, et l'ioduration se manifeste par un ton blanc laiteux, translucide et d'un grain toujours très-fin. Ce papier se conserve plusieurs mois sans altération.

Sensibilisation. Composez le bain suivant:

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Plongez les feuilles une à une dans ce bain, qui doit être assez abondant pour les recouvrir parfaitement; évitez les bulles d'air entre les feuilles et à leur surface, et laissez-les au moins vingt minutes dans le liquide. Évitez de toucher les angles des feuilles avec des doigts chargés de matières étrangères; les taches sont toujours à craindre, et la plus minutieuse propreté est de rigueur. Ayez, à côté de la cuvette au bain d'argent, deux autres cuvettes remplies d'eau distillée en quantité au moins égale à celle du bain. Sortez chaque feuille l'une après l'autre, laissez-les égoutter un moment au-dessus du bain, et mettez-les dans la première cuvette d'eau distillée : il faut qu'elles restent dans cette cuvette environ dix minutes; vous les transporterez ensuite dans la seconde et les y laisserez au moins autant de temps, puis vous les sortirez enfin les unes après les autres, et, les plaçant successivement entre du papier buvard neuf, vous épongerez l'eau qui couvre leur surface. Vous les mettrez enfin dans un troisième papier buvard neuf, où elles achèveront de sécher doucement.

Il est entendu que toutes ces opérations se font à l'abri de la lumière, ou dans un endroit éclairé par des rayons jaunes.

Les feuilles ainsi sensibilisées se conservent deux ou trois jours dans un cahier de papier buvard renfermé dans un étui ou un portefeuille noir.

Le châssis négatif qui sert à exposer ces feuilles se compose de deux glaces juxtaposées, entre lesquelles on place la feuille de papier sensible qui reçoit l'impression lumineuse à travers la glace antérieure. Il est donc important que celle-ci soit choisie très-pure, très-blanche et le plus mince possible.

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Temps de pose. L'espace de temps nécessaire pour impressionner une feuille dépend de la puissance particulière de l'objectif, de l'ouverture du diaphragme qu'on a choisi, de la quantité et de la qualité de la lumière am

biante, de la nouveauté de l'impressionnement de la feuille, et de la couleur des objets à reproduire. Faire l'énumération de ces causes diverses, c'est dire qu'aucune règle fixe ne peut être indiquée. Il faut opérer, tâtonner, se tromper quelquefois avant de réussir.

Développement de l'image. Plus tôt on fait apparaître l'image après l'impressionnement de la feuille, plus on a de chances d'éviter les insuccès. En général, c'est une opération qu'il faut faire le soir, après une journée bien remplie de courses photographiques; car le temps de pose est relativement long quand on se sert du papier ciré, principalement employé pour le paysage et les objets inanimés. Au moment où l'on a sorti les feuilles sensibilisées des deux eaux de lavage, on a dù ramasser ces deux eaux ensemble dans un grand flacon. Ces eaux, qui contiennent une quantité de nitrate d'argent proportionnelle à la surface de la feuille qu'elles ont lavée, serviront dans l'opération qui doit faire apparaître l'image.

Prenez une cuvette de porcelaine parfaitement nettoyée, faites-y filtrer une portion d'eau de lavage suffisante pour former une couche d'un centimètre d'épaisseur. Mettez dans l'entonnoir, en même temps que la première portion d'eau, une quantité approximative d'acide gallique qui représente environ 1 gramme pour 100 d'eau. Nous nous abstenons à dessein de donner un poids exact moins on mettra d'acide gallique, pourvu que l'image apparaisse et se développe, plus on sera sûr d'éviter les taches et les réductions.

feu clair de charbon, afin de refondre et de révivifier la cire qu'elle contient. Cette opération terminée, le négatif est prêt à donner des épreuves positives.

Accidents. Il serait très-difficile de faire un recueil exact de tous les accidents qui peuvent arriver en suivant une méthode qui paraît si simple; presque tous viennent du défaut de propreté ou d'une mauvaise appréciation du temps nécessaire à la pose. Si l'épreuve vient trop vite et sans opposition des ombres aux lumières, le temps de pose a été trop prolongé il sera très-difficile, sinon impossible, même en augmentant la dose d'argent du bain révélateur, d'empêcher l'épreuve d'être grise. Si le développement se fait très-lentement, ce sera le signe que le temps de pose n'a pas été assez long; il faudra alors laisser la feuille longtemps sous l'action de l'acide gallique, et il en résultera que sa surface se couvrira de réductions, et que le précipité qui forme l'image sera grenu et sans finesse.

La suite à une autre livraison.

UNE SCÈNE CHAMPÊTRE EN ÉGYPTE.

« Nous avions chassé toute la matinée, nous écrit un de nos amis voyageant en Égypte, et nous nous disposions à regagner notre barque amarrée au bord du Nil, quand, longeant un petit canal dominé par de hautes levées, nous entendimes à nos oreilles un sifflement aigu analogue à celui que produirait une balle, et, arrivés sur le revers des talus, nous vimes se développer sous nos yeux un spectacle assez étrange.

» Devant nous s'étendaient de vastes champs de sorgho, mer de verdure qui se perdait à l'horizon, et de laquelle émergeaient, par places, tantôt des buttes de terre, tantôt des échafaudages en bois de dattier, occupés par des enfants qui chassaient, au moyen de frondes, des bandes d'oiseaux, étourneaux, pigeons, passereaux, qui venaient s'abattre sur les moissons. C'était un des projectiles adressés à ces nombreux pillards que nous avions entendu siffler à nos oreilles. »

Il faut plonger dans ce bain la feuille à développer rapidement et sans bulles d'air, prendre garde qu'elle n'émerge, et remuer la cuvette de temps en temps, en évitant de toucher la feuille trop souvent par les angles. L'épreuve apparaît ordinairement noire sur un fond jaune; elle se complète peu à peu, d'une manière lente mais continue. Si le développement se ralentit, on ajoute quelques gouttes de solution faible de nitrate d'argent à 4 pour 100. Si l'opération marche bien, le bain doit conserver sa limpidité en se teignant légèrement en jaune. Si l'on voit des moirures d'argent métallique se développer à sa surface, il faut faire sortir l'épreuve avec précaution, parce que si Le tableau de M. Berchère nous offre une scène semces moirures d'argent métallique s'attachaient à sa surface, blable à celle que nous décrivait le voyageur. Des enfants elles y adhéreraient et l'épreuve serait perdue; puis on la nus, montés sur des troncs de palmiers assemblés et reliés plonge dans une cuvette contenant un bain semblable, entre eux par des cordes, surveillent d'un œil attentif le mais plus faible. Le développement de l'image continue domaine qui leur est confié. Le temps est morne, pesant; dans ce second bain. On peut, pour sortir la feuille du la chaleur du plein midi rayonne sur le paysage et, bain sans enlever de moirures, appliquer d'abord à la sur-tralisant les ombres et les lumières, enveloppe tous les face du bain une feuille de papier buvard et la relever vivement avec l'argent qui s'y est attaché.

Fixage. Préparez dans une cuvette placée le plus loin possible de celle où doit se faire le développement de l'image la solution suivante :

400gr
25

Eau ordinaire filtrée Hyposulfite de soude Lorsqu'en regardant en transparence la feuille négative l'image paraît complète, et plutôt trop chargée de détails, sortez-la du bain où elle s'est développée et plongez-la quelques minutes dans une grande bassine pleine d'eau ordinaire. Elle peut sans inconvénient y rester une minute. Vous la mettez alors dans le bain d'hyposulfite, et vous voyez peu à peu les sels d'argent sensibles que décèle leur couleur jaune se dissoudre par places, et l'image rester intacte et vigoureuse sur une feuille parfaitement transparente. Lavez à plusieurs eaux, égouttez, et laissez sécher dans un cahier de papier buvard neuf. Rappelons encore que toutes ces opérations ont dù se faire à l'abri de la lumière.

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objets d'une espèce de brume grise et chaude particulière aux pays voisins de l'équateur et des tropiques. Des bandes d'oiseaux, si nombreuses qu'elles ressemblent à des nuages de poussière, s'élèvent des moissons, pointent dans le ciel, et cherchent à se mettre hors de la portée des frondeurs.

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Le sorgho dourah (Andropogon sorghum) est une plante de la famille des graminées que l'on cultive dans l'Inde, en Égypte et dans tout l'intérieur de l'Afrique il sert de base à la nourriture du peuple et des nomades. Hérodote nous dit que le pain que l'on tire du dourah s'appelait cyllète, et l'on a trouvé dans les tombeaux plusieurs de ces pains de formes et d'espèces différentes. La tige est un chaume fistuleux présentant de distance en distance des nœuds d'où partent des feuilles alternes engainantes; elle porte à son extrémité une fleur disposée en épi, et un fruit (caryopse) enveloppé d'une gaîne et qui s'épanouit en grappe à sa maturité, offrant de nombreux grains plus gros que ceux du millet et d'une couleur de blé frappé de rouille. La tige atteint dix ou douze pieds de hauteur, et le port de la plante est en tout semblable à celui du maïs.

On sème le dourah à la fin de mars, et de là lui vient le nom de seyfy (été). On fait à la pioche des trous de

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peut dédaigner d'observer le ciel pendant les nuits voisines du 16 août, qui sont indiquées à l'avance pour le retour périodique des étoiles filantes. Ces observations deviennent chaque année de plus en plus intéressantes, et nous approchons de l'époque où les apparitions vont se manifester avec une recrudescence remarquable. Peut-être les personnes qui voudront bien disposer de leurs nuits en août 1863 assisteront-elles à un de ces magnifiques feux d'artifice naturels dont Humboldt et Bonpland ont laissé la poétique description. L'an dernier, à l'Observatoire du Luxembourg, le nombre horaire moyen des étoiles apparues a été de quarante-huit.

Le mois d'août offrira huit occultations d'étoiles appartenant toutes à la sixième grandeur, excepté x des Poissons, qui est intermédiaire entre la cinquième et la sixième. Quoiqu'une étoile de sixième grandeur n'égale pas la troiscentième partie de l'éclat de Sirius, ces phénomènes sont dignes d'être notés, parce que quatre fois dans le même mois une étoile vient s'approcher assez de la Lune pour être visible dans le champ du même télescope, après quoi on la voit s'en écarter aussitôt. On trouve dans la Connaissance des temps l'indication des points du disque lunaire où la disparition aura licu.

Ces occultations sont diverses d'aspect, suivant que l'étoile est éclipsée par le bord obscur de la Lune ou par le bord éclairé. Lorsqu'elle disparaît dans le bord obscur, on dirait qu'un bras invisible vient de l'éteindre. Malheureusement, l'éclat que notre satellite rayonne autour de lui empêche presque toujours de suivre à l'œil nu ces curieuses apparences.

Le 3 du mois d'août, dans des régions plus favorisées que les nôtres, les amateurs pourront observer à la fois le commencement et la fin d'une même éclipse du troisième satellite de Jupiter. L'entrée dans l'ombre aura lieu à 1 h. 6 m. du matin, et la sortie à 3 h. 12 m.; de sorte que le phénomène aura duré en tout 2 h. 6 m. A 8 heures du soir, les quatre satellites seront dans la partie supérieure de leurs orbes et distribués de manière que les deux premiers soient à l'orient et les deux derniers à l'occident. A ce moment, tous les quatre iront en s'éloignant de l'astre.

Si le lendemain, à la même heure, on regarde les mêmes objets célestes, on aura un spectacle bien différent. Les quatre petites lunes brilleront encore dans le firmament, mais toutes quatre seront placées à l'orient de la planète. Trois d'entre elles se trouveront encore dans la partie supérieure de leur cercle, et sembleront, par conséquent, se rapprocher de leur planète; seule, la seconde sera déjà parvenue dans la partie inférieure et paraîtra faire des efforts inutiles pour échapper à son attraction. Les plus fortes marées de 1863 auront lieu le 30 août. Elles pourront entraîner de grands désastres si l'action des vents vient aider à celle de l'attraction lunaire sur les eaux de l'Océan. La différence entre le niveau de la basse mer et le niveau de la haute mer sera, à Granville, d'après les calculs de M. Laugier, de près de 14 mètres. Le poids des eaux soulevées sur cette rive est donc de 14 milliards de kilogrammes par kilomètre carré de surface.

LES VACANCES.

J'aime à voir un brave écolier s'ébattre et jouir de ses vacances. Nul aspect ne m'est plus agréable que celui d'un heureux, robuste, viril adolescent, la main ouverte, la poitrine épanouie, le cœur généreux. La bonne humeur, la joie, rayonnent sur son honnête visage : satisfait et satisfaisant, ardent, actif, reconnaissant des services et tout

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CONSPIRATION ET MORT DE MANLIUS.

Suite et fin. Voy. t. XXIX, 1861, p. 321. Les difficultés intérieures, aggravées d'une guerre avec les Volsques, décidèrent le sénat à nommer un dictateur, Cornelius Cossus. Pendant qu'on se battait presque aux portes de Rome, la fermentation croissait dans l'enceinte des murs; Manlius acquérait des partisans par des bienfaits habiles; il payait les dettes de ceux que, selon la loi, les créanciers voulaient tenir en prison. Un centurion connu par ses belles actions à l'armée avait été condamné pour dettes; Manlius voit qu'on l'emmène, envahit le Forum avec sa faction, accuse la superbe des nobles, la cruauté des prêteurs, rappelle les misères du peuple, le mérite et le malheur du centurion: « Mais, dit-il, j'aurais vainement de ce bras sauvé le Capitole, si je laissais sous mes yeux traîner en servitude un de mes compagnons d'armes, enlevé comme par des Gaulois vainqueurs »; et, devant tous et sur l'heure, il paya le créancier. Celui qu'il a délivré s'écrie: « Dieux et mortels, bénissez le père du peuple! Tandis que je combattais pour nos pénates renversés, ma dette croissait, et je payais sans l'amortir; le principal disparaissait sous les intérêts accumulés; j'étais écrasé sous l'usure. Lumière du jour, Forum, visages amis, liberté, tout m'était ravi; Manlius m'a tout rendu, il m'a rendu la vie; à lui ce qui me reste de sang et de courage! à lui ce que je dois à la patrie, aux dieux de Rome et du foyer domestique! » Et Manlius: « Nul de vous, citoyens, tant que j'aurai un as, ne payera sa dette de sa liberté ! » C'est ainsi qu'il allumait l'enthousiasme et se préparait l'appui des masses. En outre, il formait chez lui des conciliabules où il ne cessait de répéter que le sénat, non content de posséder toutes les terres conquises par le sang du peuple, voulait accaparer la fortune publique; il alla jusqu'à répandre, à tout hasard, que le sénat cachait et gardait l'or destiné aux Gaulois, trésor qui suffisait à éteindre toute dette, rançon volontairement versée qui, restée sans emploi, devait être rendue, répartie entre les donateurs et non assimilée à un impôt. Et comme la foule demandait, pleine d'espoir, où le sénat enfouissait un pareil vol, il promettait des indications précises, en temps et lieu.

La situation parut alors si tendue que le dictateur quitta l'armée, accourut à Rome, descendit avec le sénat en corps dans le champ des comices, et fit appeler Manlius à son tribunal; bientôt, chacune entourant leur chef, la plèbe et la noblesse furent en présence; les deux partis se mesuraient des yeux. Au milieu d'un silence solennel, le dictateur parla: « Puissent le sénat et le peuple être en tout temps d'accord, comme ils vont l'être aujourd'hui sur tout ce qui te concerne et sur ce que je te demanderai! Je vois que, de bonne foi sans doute, tu as fait espérer aux débiteurs une libération complète, à l'aide de l'or gaulois caché par les premiers de l'Etat. Eh bien, je ne veux pas arrêter l'effet de tes promesses; hâte-toi, Manlius, je te le conseille, hâte-toi d'éteindre la dette du peuple; nomme, il est temps, ces recéleurs d'un vol clandestin, qui couvent le commun trésor! Si tu ne le fais, c'est qu'ils t'ont donné ta part, ou bien que tu ne les connais pas; et moi, je t'enverrai en prison, car je ne souffrirai pas que des indices

faux, que de mensongères espérances agitent la multitude. » A ces menaces calmes et mesurées, Manlius opposa des récriminations violentes : « Ce n'est pas, je le savais bien, contre les Volsques et les Latins, commode prétexte de guerre, c'est contre moi, contre le peuple romain, que le sénat a créé un dictateur; et maintenant, pour nous attaquer, on abandonne une guerre feinte! Cornelius, et vous, pères conscrits, vous déplaît-il tant que cette foule s'attache à mes côtés? Enlevez-la-moi par des bienfaits; que votre superflu soulage les misères! Mais non, ne donnez rien déduisez seulement de la dette les intérêts accumulés, dégagez le principal, et je n'aurai plus de cortége, ou tous en auront comme moi! Mais j'ai tort, direz-vous, de m'ériger en sauveur unique; avais-je tort sur le Capitole? Ce que j'ai fait pour tous alors, selon mes forces, je le fais maintenant pour chacun. Quant à l'or gaulois, pourquoi demander ce que vous savez? Pourquoi ordonner de faire tomber de votre sein ce que vous pouvez déposer vous-mêmes? Suis-je ici pour vous dévoiler le secret de vos rapines, et n'est-ce pas vous qu'il faut contraindre à les produire au grand jour? »

Cornelius ne faiblit pas devant cette jactance; il somma Manlius de prouver la vérité ou d'avouer la fausseté de ses allégations contre le sénat, et, sur sa réponse évasive, l'envoya en prison. Déjà saisi par le licteur, le condamné invoqua vainement les dieux habitants du Capitole; ceux dont il avait préservé les temples ne lui furent d'aucun secours. Le peuple, atterré par le déploiement de la force dictatoriale, n'osa lever les yeux ni remuer; le lendemain seulement, la foule, vêtue de deuil, encombra les abords de la prison. Quand le dictateur triompha des Volsques, des hommes à longue barbe, à tuniques brunes, demandèrent pourquoi Manlius ne marchait pas devant le char comme les autres vaincus. La dictature abdiquée donna un libre cours aux discours séditieux jusqu'alors contenus par la terreur. Partout des orateurs populaires s'élevaient contre la lâcheté de la multitude, qui pousse ses amis à des sommets glissants et les abandonne dès qu'ils perdent pied; ils citaient la ruine de Sp. Cassius, qui appela le peuple au partage des terres conquises; de Sp. Melius, qui défendait à ses frais les citoyens contre la famine: comme eux, Manlius est trahi. Quoi! pour n'avoir pas voulu parler sur un signe du dictateur, un homme consulaire, un héros, presque un demi-dieu, égalé à Jupiter par le surnom de Capitolin, ne sera plus qu'un menteur intimidé? Et il traînera sa vie, ce sauveur, dans les ténèbres où règne le caprice du bourreau? Ainsi donc, à lui seul il aura pourvu au salut de tous, et tous ne feront rien pour lui!

Ces invectives n'étaient pas sans effet; les portes de la prison, menacées par le peuple, furent ouvertes par un sénatus-consulte. Mais la délivrance de Manlius ne mit pas fin à la sédition; elle lui donna un chef. Le combat devint imminent. D'un côté, les patriciens plaçaient au tribunat militaire six de leurs hommes les plus sûrs et les plus illustres, et parmi eux Camille; de l'autre, Manlius conférait avec les meneurs du peuple et agitait nuit et jour des plans de révolution; piqué au vif par son récent af front, enhardi par la retraite du dictateur, qui n'avait pas osé lui envoyer un meurtrier, comme Cincinnatus fit pour Mælius; à la fois enorgueilli et exaspéré, il attisait le feu qu'il avait allumé. « Jusques à quand, disait-il au peuple, ignorerez-vous vos forces? les animaux eux-mêmes connaissent les leurs et la nature le veut. Comptez-vous donc. Si vous deviez attaquer vos adversaires à nombre égal, n'ai-je pas raison de le croire? vous combattriez pour la liberté plus vivement qu'ils ne défendraient leur tyrannie; mais autant vous étiez de clients, autant vous serez d'en

nemis pour un seul. Déclarez la guerre, et vous aurez la paix; qu'ils vous voient prêts à la violence, ils vous feront justice: il faut oser en masse ou souffrir isolément. Quand vous me regarderez d'un œil effaré ! Pour moi, je ne manquerai à aucun de vous; faites que la fortune m'accompagne désormais. Résolution et confiance! N'avez-vous pas jusqu'ici obtenu ce que vous avez demandé? Un effort de plus, et vous aurez moins de peine à créer un pouvoir qui commande au sénat que vous n'en avez eu à vous donner des chefs qui résistassent aux volontés patriciennes. Pour que les plébéiens puissent lever la tête, il faut faire table rase des dictatures et des consulats. Commencez par attaquer la loi sur les dettes; je suis et serai le patron du peuple: c'est un titre que me donnent mes services. Mais vous, revêtez votre chef de quelque insigne de commandement ou d'honneur, et il sera plus puissant à réaliser vos désirs. »

Manlius prétendait ouvertement à la royauté, et le sénat allait se décider à quelque coup d'État, lorsque les tribuns du peuple, qui s'étaient ralliés au gouvernement, ouvrirent l'avis de citer l'agitateur devant le peuple, et, changeant ses accusateurs en juges, de dénoncer ses projets de tyrannie; la haine de la royauté réveillera la défiance contre un patricien, et l'amour de la liberté affermira la domination du sénat. Manlius comparut, amenant avec lui près de quatre cents hommes, dont il avait payé les dettes et racheté les biens; il rappela ses services et ses récompenses, trente ennemis tués, deux couronnes murales, huit civiques; il découvrit sa poitrine couverte de nobles cicatrices; enfin, se tournant vers le Capitole, il invoqua la faveur de Jupiter et la reconnaissance des Romains: « Regardez la citadelle, s'écria-t-il, et jugez-moi. » Sa défense fut si belle, si entraînante, que les tribuns craignirent un acquittement; ils remirent le jugement, et eurent soin de réunir le peuple dans un lieu d'où on ne voyait pas le Capitole. L'accusation triompha, et les juges condamnèrent à regret Manlius. Il fut précipité du haut de la roche Tarpéienne, et jamais endroit de la terre ne réunit, pour un seul homme, tant de gloire et tant de misère. Manlius fut noté d'infamie, sa maison du Capitole démolie, son nont interdit à tout citoyen; mais le peuple, toujours trop tard, se repentit de sa mort comme de son emprisonnement, et une peste qui survint fut attribuée à la colère des dieux irrités de voir le Capitole souillé du sang de son sauveur.

DU CALME NÉCESSAIRE A LA STATUAIRE.

La figure en bronze que M. Salmson a exposée au Salon de cette année, sous le nom de la Dévideuse, n'est peut-être pas une de celles qui attirent le plus les regards de la foule, mais elle est de celles que les artistes et les connaisseurs ont le plus remarquées et auxquelles ils reviennent le plus volontiers. Une jeune fille assise, modestement vêtue d'une tunique dont les plis serrés l'enveloppent presque entièrement, pelotonne autour d'une étoile le fil des écheveaux placés dans une corbeille à côté d'elle. Le sujet, comme on voit, est fort simple, et la composition de la figure aussi bien que son exécution répondent à cette simplicité. Il n'y a là rien qui puisse exciter une curiosité banale, aucune séduction grossière ou frivole, point de mouvements violents qui appellent et retiennent forcément l'attention; mais une attitude gracieuse, un geste vrai, des lignes harmonieuses, la pureté du goût, le calme dont l'impression se communique à l'esprit du spectateur: que faut-il de plus à l'œuvre du statuaire pour produire tout son effet? Ce sont là peut-être, dans les incompa

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